Loi travail : quelles chances les opposants ont-ils de l'abroger ?

Par Jean-Christophe Catalon  |   |  893  mots
"il va y avoir une bataille juridique à mener", a prévenu Jean-Claude Mailly, indiquant que les "services juridiques travaillent d'arrache-pied pour trouver des axes de recours".
Conseils des prud'hommes, questions prioritaires de constitutionnalité, ... Malgré la promulgation de la loi travail divers recours sont possibles pour abroger ses dispositions.

L'épisode semblait terminé, mais la contestation contre la loi travail se ravive. Alors que le texte a été adopté puis promulgué dans l'indifférence générale cet été, les syndicats sont bien décidés à reprendre le combat en cette rentrée. Philippe Martinez et Jean-Claude Mailly, leaders respectifs de la CGT et de FO, se sont réunis mercredi à Nantes avec leurs homologues de la FSU, de Sud et de l'Unef pour échanger sur les actions à mener.

Outre la manifestation du 15 septembre prochain, "il va y avoir une bataille juridique à mener", a prévenu Jean-Claude Mailly, indiquant que les "services juridiques travaillent d'arrache-pied pour trouver des axes de recours". Une étude qui se poursuivra certainement à la fête de l'Huma, à laquelle le patron de FO participera pour la première fois et où plusieurs candidats à la présidentielle seront présents.

Dépôt de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), rappel des conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT) ratifiées par la France, les arguments ne manquent pas pour abroger la loi travail. Mais ces recours ont-ils une chance d'aboutir ?

"Le Conseil constitutionnel n'est pas une voie de recours sérieuse"

En juillet dernier, les députés frondeurs du PS ont réuni 61 signatures autour d'un recours porté au Conseil constitutionnel. Celui-ci a censuré cinq mesures secondaires, mais ne s'est pas prononcé sur les dispositions les plus contestées, notamment sur l'inversion de la hiérarchie des normes et le licenciement économique. En faisant ce choix, "le Conseil constitutionnel a laissé ouverte la voie des QPC", analyse Emmanuel Dockès, professeur de droit du travail à l'université Paris-Ouest Nanterre.

Avant d'être étudiée par les sages, toute demande de QPC doit être validée par le Conseil d'État ou la Cour de cassation. "La transmission en tant que tel au Conseil constitutionnel a un impact politique car cela signifie que la demande est sérieuse, qu'il existe un doute sur la validité du texte", souligne Emmanuel Dockès. Dans un tel scénario, il est tout à fait possible de s'attendre à ce que "la décision de transmission se fasse avant l'élection présidentielle", estime le professeur de droit du travail.

Par la suite, si les sages valident la QPC, la disposition sera purement et simplement abrogée. Une éventualité qui a "peu de chances d'aboutir", pointe Emmanuel Dockès. Ces dernières années, les sages ont eu tendance à rendre des décisions en faveur de la liberté d'entreprendre, plutôt qu'à la protection des salariés. La censure de la "loi Florange" en est un exemple parmi d'autres. "Le Conseil constitutionnel n'est pas une voie de recours sérieuse", en conclut l'universitaire.

De longues batailles aux prud'hommes

L'application de la loi travail risque aussi de créer des litiges, dont la bataille judiciaire se déroulera aux conseils de prud'hommes. Ces derniers, à la différence du Conseil constitutionnel, peuvent statuer sur la base des traités internationaux.

La France a ratifié plusieurs conventions de l'OIT, dont certaines seraient remises en cause par la loi travail selon les représentants des salariés. Les conventions 87 et 98 portant sur l'exercice de l'activité syndicale sont notamment évoquées. Dès qu'un accord d'entreprise remettra en cause un accord de branche, comme le prévoit le contesté article 2 de la loi El Khomri, les syndicats pourront saisir les prud'hommes. De même, des salariés licenciés via les nouvelles dispositions sur les licenciements économiques pourront, eux, invoquer la convention 158 de l'institution onusienne.

L'exemple du contrat nouvelles embauches

De telles procédures prennent habituellement du temps. Mais la nature très sensible et politique de l'application de la loi travail amènerait les conseils de prud'hommes à "traiter les dossiers plus rapidement" que pour les affaires courantes, selon Emmanuel Dockès.

Le contrat nouvelles embauches (CNE) est un parfait exemple. Cette mesure autorisait l'employeur à licencier un salarié sans justifier le motif sur une période donnée. Début 2006, soit six mois après la promulgation de la loi, un conseil des prud'hommes a rendu une décision en faveur du salarié sur la base de la convention 158 de l'OIT.

Un an plus tard, l'Institution onusienne a déclaré le CNE contraire au droit international. En 2008, le CNE est abrogé. Concernant la loi travail, il ne serait pas surprenant que des conseils de prud'hommes rendent des décisions début 2017.

127 décrets à publier

Les dispositions les plus contestées sont déjà appliquées. Mais d'autres, notamment celles concernant les dérogations au temps de travail, n'entreront en vigueur qu'à la publication des décrets. Le patron de la CFDT, Laurent Berger, a réclamé une parution rapide de ces textes suite aux menaces de Philippe Martinez de les bloquer. La majorité sera publiée en octobre, selon un échéancier publié au Journal officiel ce vendredi.

Le travail risque de prendre du temps, beaucoup de temps. Pour faire appliquer toutes les dispositions des 123 articles de la loi El Khomri, le ministère du Travail doit rédiger pas moins de 127 décrets. "Pour les fonctionnaires du ministère du Travail, il est impossible de produire tous ces textes rapidement", selon Emmanuel Dockès. "On voit d'ailleurs que tous les décrets de la loi Macron ne sont pas encore publiés un an après son adoption", note l'universitaire.