Macron demande 13 milliards d'euros aux collectivités en échange de plus de libertés

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1578  mots
Suppression de la taxe d'habitation, possible "recentralisation" du RSA, 13 milliards d'économies demandés aux régions, "autonomie" de la fonction publique territoriale, refonte de la Métropole du Grand Paris... Emmanuel Macron a multiplié les annonces, parfois explosives, lors de la première Conférence nationale des territoires.
Lors de la première Conférence nationale des territoires, Emmanuel Macron a confirmé la suppression de la taxe d'habitation sur trois ans ans et s'est dit favorable à une "recentralisation" de la gestion du RSA. Par ailleurs, il demande 13 milliards d'euros d'économies aux collectivités en échange de davantage de "libertés" d'organisation et de gestion.

Des chantiers, une méthode et plusieurs annonces concrètes d'Emmanuel Macron. La première "Conférence nationale des territoires", promise par le président de la République durant sa campagne électorale, a éclairé quelques points très attendus par les élus locaux, notamment financiers: réduction des dépenses de fonctionnement, taxe d'habitation, financement du RSA, etc.

La taxe d'habitation supprimée sur trois ans

Première annonce capitale: Emmanuel Macron a confirmé que la suppression de la taxe d'habitation (TH), mesure très contestée par les collectivités locales et notamment le bloc communal, serait bien mise en œuvre, pour une première étape, dès 2018. Elle s'effectuera en trois temps pour être totalement aboutie en 2020. Emmanuel Macron a répété son credo. Pour lui la TH "est un mauvais impôt qui ne tient pas compte de la capacité fiscale des citoyens".

Pour rassurer les élus, il a affirmé que les prochaines conférences territoriales, qui se tiendront désormais tous les six mois, seront l'occasion de vérifier que l'État compensera bien aux collectivités l'intégralité de suppression de la TH, soit un manque à gagner pour elles d'environ 10 milliards d'euros. Par ailleurs, le chef de l'Etat  a annoncé la création d'une commission de travail dont la mission sera de réfléchir à une "refonte complète de la fiscalité locale". L'objectif sera de maintenir l'autonomie fiscale des collectivités. Pour y parvenir, le Président n'exclut pas d'affecter à l'avenir aux collectivités une partie du produit d'un prélèvement national, et de citer, à titre d'exemple (et d'ailleurs curieusement)... la CSG. Un peu sur le modèle de ce qui a été fait avec la TVA pour les régions.

Vers une recentralisation du RSA en 2019?

Deuxième annonce, très attendue par les départements qui en ont la charge, Emmanuel Macron a donné son accord à une remise en cause du financement actuel du RSA. Il a proposé une alternative: soit une recentralisation du RSA - option qui a sa préférence - au niveau national, soit une amélioration de la compensation par l'Etat et une meilleure péréquation entre les départements. Il laisse les élus locaux et l'Etat en débattre jusqu'au printemps 2018, mais il souhaite que ce point soit réglé dans la loi de finances 2019.

Les collectivités doivent économiser... 13 milliards d'euros

Troisième point, qui a fait grincer les dents des élus, Emmanuel Macron - et avant lui son ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin - a annoncé aux représentants des collectivités locales qu'ils devront réaliser 13 milliards d'économies dans leurs dépenses sur la durée du quinquennat. Il a reconnu avoir auparavant évoqué 10 milliards, ce sera donc finalement 3 milliards d'euros de plus... Pour lui "ces 13 milliards correspondent à la part des collectivités locales dans la dépense publique". Il a aussi rappelé que le plan global d'économies sur le quinquennat atteindrait trois points de PIB, soit 60 milliards d'euros, l'Etat et la Sécurité sociale prendront donc aussi leur part.

" C'est injuste et beaucoup trop" a estimé Olivier Dussopt, président de l'association des petites villes de France.

En introduction de la conférence, le Premier ministre Edouard Philippe s'est pourtant voulu inflexible :

"Vous connaissez parfaitement la situation des finances publiques. Vous savez l'évolution des effectifs dans les trois fonctions publiques. Rien de tout cela n'est soutenable". Nous devons diminuer notre montant de dépense publique. Les collectivités territoriales doivent prendre leur part à cet effort et cet effort sera globalement important".

Pour autant, afin de se démarquer des mesures arrêtées sous le précédent quinquennat, Edouard Philippe s'est voulu « rassurant » en excluant, a priori, une nouvelle baisse des dotations aux collectivités :

"Plutôt que de parler directement et spontanément de baisse des dotations, nous devons essayer, et c'est un exercice délicat, de trouver un mécanisme assurant la baisse de la dépense publique, la baisse de l'endettement public, plus intelligemment que par l'imposition brutale d'une baisse des dotations". Mais cela "ne veut pas dire qu'on peut contourner une baisse des dépenses".

Emmanuel Macron est venu confirmer la position de son Premier ministre: "il n'y aura pas de baisse brutale des dotations, mais les collectivités devront baisser leurs dépenses de fonctionnement". L'injonction est donc très claire.

Une méthode différente donc de celle employée par François Hollande qui avait décidé une diminution de la dotation globale de fonctionnement de 10,7 milliards d'euros entre 2015 et 2017.

Gérald Darmanin a proposé à cet égard que soit instituée une mission de personnalités qualifiées sur les façons de suivre une trajectoire de baisse des dépenses de fonctionnement. Au ministère de la Cohésion des territoires, on évoque une « piste » pour tenir ces dépenses : rendre plus « directif » ou « incitatif » l'actuel mécanisme de « l'objectif d'évolution de la dépense locale » (ODEDEL). Aujourd'hui simple outil d'analyse et de prévision de la dépense locale, cet ODEDEL pourrait devenir un objectif qui devrait être tenu obligatoirement.

Grogne des élus

C'est peu dire que les représentants des élus locaux étaient plutôt grognons à l'idée de devoir de nouveau serrer la ceinture des finances locales, alors qu'ils ont déjà réduit leurs dépenses de fonctionnement d'environ 11 milliards d'euros en cinq ans. Ce que reconnaît d'ailleurs Bercy qui a constaté que les dépenses de fonctionnement des collectivités n'avaient augmenté « que » de 0,9% en 2016, contre 1,9% en 2015 et 4,1% en 2016.

Et selon l'Insee, la dette publique atteignait 2.147 milliards d'euros fin 2016, soit l'équivalent de 96% du PIB. Or, les administrations publiques locales contribuent à cette dette à hauteur de « seulement » 199,6 milliards d'euros, soit moins de 10%.

Quoi qu'il en soit donc, les collectivités devront donc faire encore un effort de réduction des dépenses de13 milliards d'euros sur cinq ans. Pas facile à faire avaler. A cet égard, les élus demandent de la visibilité, via l'instauration d'une loi quinquennale de financement des collectivités locales, comme l'ont encore une fois rappelé François Baroin président de l'Association des maires de France et Gérard Larcher, président du Sénat... une vieille antienne. Emmanuel Macron ne s'est pas prononcé sur ce point.

Davantage de "libertés" de gestion et d'organisation pour les collectivités

En revanche, dans le cadre d'un "pacte girondin", il a proposé aux collectivités toute une panoplie de nouveaux moyens, appelés par le président "nouvelles libertés", pour rationaliser et diminuer leurs dépenses. Il invite les collectivités à "innover" dans leur organisation, via par exemple, des fusions de communes pour créer des "communes nouvelles" qui permettent de mieux mutualiser les équipements et les dépenses. Il s'est dit aussi favorable à une "liberté d'organisation" sur les différents points du territoire. Autrement dit, l'organisation territoriale ne sera plus forcément la même aux quatre coins de l'Hexagone, les départements qui veulent fusionner entre eux (ou avec des Métropoles, comme ce fût le cas entre Lyon et le département du Rhône) pourront le faire, à la condition que cela ne conduise pas à une aggravation "des fractures territoriales" ou à une complexification des structures. À cet égard, il souhaite la création d'une Agence nationale de la cohésion des territoires.

Pour faciliter ces innovations locales, Emmanuel Macron compte changer les règles en matière "d'expérimentation": il n'y aura plus de généralisation obligatoire au bout de deux ans. Certaines spécificités territoriales d'organisation décidées localement le demeureront donc.

Il s'est dit également favorable à de nouvelles délégations de compétences (et donc de moyens) économiques et sociales de l'Etat vers les collectivités et notamment les Régions.

Le Premier ministre a pour autant précisé qu'il ne s'agissait pas de créer un nouveau "big bang", après le choc de la loi NOTRe, qui a redéfini les compétences entre les collectivités. Il conviendrait  juste de permettre "les ajustements" et les "agilités" nécessaires.

Des pistes explosives: statut des fonctionnaires, refonte de la métropole du Grand Paris.

Sans entrer dans le détail, Emmanuel Macron a également évoqué d'autres pistes d'économies possibles qui s'avèrent assez explosives. Ainsi, il a plaidé pour une diminution du nombre des élus locaux, mais, surtout, il souhaite "une modernisation de la fonction publique territoriale", en différenciant la gestion des trois fonctions publiques (Etat, hospitalière et territoriale). Et de citer l'exemple de l'évolution du point d'indice qui ne devrait pas forcément être similaire pour l'ensemble des fonctionnaires.... Les syndicats ne vont pas manquer de réagir.

Très prolixe en annonces, Emmanuel Macron a aussi abordé un autre sujet sensible: la Métropole du Grand Paris (MGP). Il souhaite qu'à l'automne, après une concertation entre tous les acteurs, se tienne  une conférence territoriale spécifique à la MGP pour bâtir "une nouvelle organisation institutionnelle". On sait que les "frontières" et les compétences de la MGP sont un sujet frictionnel depuis deux ans.

La prochaine conférence nationale des territoires devrait se tenir en décembre. D'ici là, des groupes de travail associant représentants des collectivités et de l'Etat vont travailler en commissions pour faire avancer les différents chantiers  afin de parvenir à un "pacte" entre l'Etat et les collectivités.