Plan de sobriété : ce que propose le gouvernement pour éviter les coupures de gaz et d'électricité

Par latribune.fr  |   |  1829  mots
Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique, porte ce plan de sobriété qui doit permettre de passer un hiver sans coupure de gaz et d'électricité. « Ce plan sobriété est un plan volontaire de long terme qui part du terrain et qui a vocation à être irréversible », a souligné en début de semaine la ministre devant les députés.(Photo d'illustration: la ministre au sortir du conseil des ministres du 13 juillet 2022) (Crédits : Reuters)
Le gouvernement français présente ce jeudi son plan de sobriété énergétique destiné à préparer un hiver difficile avec de nombreux réacteurs nucléaires arrêtés et sans gaz russe. Objectif: réduire de 10% la consommation d'énergie de la France en deux ans, et dans l'intervalle, faire que le pays passe l'hiver sans coupure de gaz ni d'électricité.

[Article publié le jeudi 6 octobre 2022 à 7:22, mis à jour à 16:10]

« Il y a urgence à agir, le combat ne s'arrêtera pas à l'hiver 2022-2023 », a affirmé Agnès Pannier-Runacher, ce jeudi. La ministre de la Transition énergétique s'exprimait lors d'une grand-messe au Parc des expositions de la Porte de Versailles d'où elle a sonné la « mobilisation générale ».

Pour signifier l'urgence, pas moins de neuf ministres devaient se succéder tout l'après-midi, échangeant avec des élus locaux, des représentants d'entreprises ou encore du Haut conseil pour le climat (HCC), pour présenter ces « mesures d'économie », fruit d'un travail de quelques mois. Objectif: atteindre « 10% de réduction de consommation énergétique », par rapport à 2019, une « première marche » pour atteindre la trajectoire de 40% préconisée pour 2050 par les experts du climat, et dans l'intervalle, faire que le pays passe l'hiver sans coupure de gaz ni d'électricité.

Mais cette sobriété sera « choisie », loin de l'« écologie punitive », car ce plan est le fruit d'un « travail de concert » avec l'ensemble du monde économique, a assuré Agnès Pannier-Runacher. Un message appuyé par les propos d'Emmanuel Macron qui a également défendu le plan de sobriété devant des entrepreneurs. « Si la nation toute entière arrive à tenir cet objectif, qui est purement volontariste - il ne faut pas de décret de loi, de choses compliquées -, si on se mobilise tous pour le tenir, dans les pires scénarios on passe l'hiver », a-t-il affirmé. Le président a de nouveau souligné que « l'énergie qu'on sauve, c'est la moins chère". Mais « cela ne veut pas dire "produire moins" ou "aller vers une économie de la décroissance". Pas du tout, la sobriété ça veut juste dire "gagner en efficacité" ».

Les ONG approuvent mais demandent un vrai contrôle des engagements

D'avance, les ONG environnementales ont salué la démarche du gouvernement, tout en appelant, comme France Nature Environnement (FNE), à « voir plus loin que la fin de l'hiver ». Anne Bringault, qui interviendra jeudi pour le Réseau Action Climat, doute ainsi déjà de l'atteinte de l'objectif de -10% sur deux ans, tant « qu'on en reste essentiellement à des encouragements et incitations, sans suivi prévu des engagements pris et des impacts réels des mesures ».

C'est pourtant l'objectif prôné par l'exécutif qui assure vouloir agir à court terme afin d'assurer la sécurité d'approvisionnement en énergie, mais aussi sur le long terme pour répondre à des enjeux de souveraineté énergétique et baisser nos émissions.

Devant les ministres, Anne Bringault, pour le Réseau Action Climat, a, en outre, mis en garde contre l'inefficacité de mesures volontaires sans mécanisme de suivi, « sans reporting », « cela risque de démobiliser ». Ce à quoi le gouvernement a répondu qu'il suivrait les consommations hebdomadaires de gaz et d'électricité.

Une campagne en 3 axes (« Je baisse, j'éteins, je décale ») et 5 gestes

Pour les aiguiller, les Français pourront compter sur une campagne de communication diffusée largement à partir du 10 octobre. Intitulée « chaque geste compte », elle se concentre sur trois axes : « Je baisse, j'éteins, je décale » et détaille cinq gestes à mettre en œuvre dont le premier - que le gouvernement n'a de cesse de marteler depuis plusieurs semaines - est le maintien de la température intérieure à 19°C, comme le prévoit le code de l'énergie depuis 1978. « C'est la loi, mais les clients nous demandaient plutôt 21°C voire 22°C, parce que le prix des énergies fossiles était bas », relève Pierre de Montlivault, président de la fédération des services de l'énergie. « Aujourd'hui, les conditions sont réunies pour qu'ensemble, entreprises, syndics, bailleurs le fassent "pour de bon" ».

En outre, les Français seront incités à installer un thermostat, régler leur chauffe-eau à 55°C et rester moins longtemps sous la douche, mais aussi à éteindre leurs appareils en veille. Enfin, le spot de communication les invitera à décaler l'usage de leurs appareils électriques en dehors des horaires de pointe. Pour cela, ils seront informés par le système Ecowatt des périodes où il est nécessaire de réduire sa consommation énergétique.

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Ils pourront également compter sur plusieurs dispositifs d'aide à la rénovation énergétique, a assuré le gouvernement ce jeudi peu avant la prise de parole des différents ministres, professionnels et associatifs, avec en tête « ma Prime Rénov' » dont le financement a été augmenté dans le projet de loi de finance 2023.

Le dispositif devrait également être réorienté afin de ne pas bénéficier aux ménages les plus aisés, mais aux plus défavorisés, comme l'avait appris La Tribune en septembre. « L'objectif est de moins aider les CSP+ qui ont changé leurs fenêtres avec le soutien de l'Etat,-  et qui peut être, d'ailleurs, l'auraient fait, sans MaPrimeRenov'-  et de faire en sorte que ce soit surtout les 12 millions de foyers les moins fortunés qui vivent dans des passoires thermiques, qui se lancent dans des travaux », nous expliquait un ministre proche du dossier.

2,6 milliards d'euros vont ainsi être consacrés à la rénovation énergétique des ménages, auxquels s'ajoutent 200 millions d'euros pour les logements ainsi que 150 millions d'euros pour les bâtiments publics d'Etat, soit quasiment 3 milliards au total, s'est félicité l'exécutif.

Une plateforme pour les entreprises

Du côté des efforts demandés aux entreprises, les partenaires sociaux se sont entendus sur quinze actions à mettre en œuvre et la mise en place d'une plateforme, « Les entreprises s'engagent », sur laquelle lesdites entreprises seront invitées à énoncer les engagements qu'elles sont prêtes à prendre autour de quatre axes : la lutte contre le gaspillage énergétique, l'efficacité énergétique, la mobilité, et l'organisation du travail.

Un Etat qui se veut exemplaire

Si tous les Français, des ménages aux entreprises, sont sollicités, l'Etat veut d'abord montrer l'exemple en se fixant pour objectif de passer d'une consommation d'énergie de 20 térawattheures (TWh) par an, soit l'équivalent de la consommation de l'ensemble des foyers parisiens (3 millions de personnes) à celle d'une ville comme Montpellier (300.000 habitants). Un plan qui se concentre sur deux axes et trente mesures.

D'une part, l'immobilier, avec un investissement de 150 millions d'euros pour accompagner les administrations dans la rénovation de chaudières, l'installation de thermostats intelligents, le recours au photovoltaïque... Les établissements publics appliqueront bien sûr, eux aussi, la baisse du chauffage à 19°C, mais « il n'y a pas d'obligation dans le sens où il n'y aura pas de police des températures », a déclaré la ministre de la Transition écologique. Est aussi demandé le décalage de quinze jours du début et de la fin de la période de chauffe ainsi que la suppression de l'eau chaude pour se laver les mains, mesure qui représente une économie de 20 millions d'euros. Le plan prévoit également un numérique plus responsable consistant notamment en la suppression des écrans non essentiels

D'autre part, la mobilité, avec la limitation de la vitesse à 110 km/h maximum pour les agents de la fonction publique en déplacements professionnels et une augmentation du forfait mobilité durable pour les agents de la fonction publique de 200 à 300 euros.

Enfin, concernant le télétravail, son forfait, pour ceux qui en bénéficient, va être accru, passant l'indemnité journalière de 2,50 euros à 2,85 euros soit une hausse de 15%. Le télétravail n'a toutefois d'intérêt que s'il permet de fermer (et donc d'arrêter de chauffer) des bâtiments pendant plusieurs jours de suite.

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La culture et le sport mis à contribution

Enfin, concernant la culture et le sport, plusieurs mesures ont d'ores et déjà été actées au sein des établissements culturels notamment à La Villette qui va diminuer les périodes de chauffe de deux heures par jour ou encore l'Opéra Bastille avec 1h30 d'éclairage quotidien en moins de son écran géant en façade (photo ci-dessous. Crédit Reuters). Le Musée d'Orsay est, quant à lui, parvenu à réduire sa consommation énergétique d'un tiers grâce à l'installation d'ampoules LED. Dans les cinémas, l'éclairage sera éteint lorsque l'établissement sera fermé tout comme les machines non utilisées.

Le plan énergétique du sport sera, lui, dévoilé le 23 octobre. En attendant, des mesures comme la diminution de l'éclairage et du chauffage dans les infrastructures comme les gymnases et la réduction de 1°C en moyenne de la température des bassins des piscines, particulièrement énergivores, ont d'ores et déjà été actées.

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ZOOM - Les partenaires sociaux se mettent au diapason

Régulation de la température des bureaux, aménagement du temps de travail, désignation de « référents » sobriété : le Medef a transmis au gouvernement un « compte-rendu » des discussions des partenaires.

Première proposition, « réguler (les) températures sur les lieux de travail ». Le texte rappelle « l'utilité d'optimiser les températures de chauffage à 19°C et de climatisation à 26°C dans la mesure du possible » tout en soulignant que cela « ne doit pas nuire au bien-être, à la santé et à la sécurité des salariés (...) qui occupent des postes statiques ». Cette mesure doit passer, selon les syndicats, par des "discussions dans le cadre de la négociation et du dialogue social de proximité".

Seconde proposition consensuelle, « lutter contre le gaspillage énergétique » : il faut « éteindre les enseignes, changer les ampoules par des LED, fermer les portes », mettre en veille le matériel électrique...

Troisième point, le plus sujet à crispations: « aménager le temps de travail ». Pour le patronat, « des aménagements du temps de travail peuvent permettre de diminuer la consommation d'énergie », ou de lisser des pics, notamment par « des plages horaires de travail différenciées ». Pour les syndicats, « cela doit se faire par une négociation avec les partenaires sociaux », écrivent les auteurs.

Selon des sources syndicales, les représentants des salariés craignent que le patronat ne prenne appui sur cet argument pour étendre le travail de nuit ou le week-end, et plus largement accroître la flexibilité du temps de travail. Ils s'accordent en revanche sur l'instauration de « référents de la sobriété énergétique », le refus d'une « généralisation systématique du télétravail », la nécessité d'envisager « des investissements à plus long terme » (rénovation de bâtiments, énergies renouvelables), l'intérêt d'un système de « météo énergie » (Ecowatt), l'encouragement au « développement des transports ferroviaires et fluviaux ».

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(Avec AFP)