Comment la sobriété devrait contraindre les villes à repenser leur modèle économique

A la veille de la présentation de la stratégie gouvernementale en matière de sobriété, trois agences et cabinets de conseil spécialisés dans les services publics viennent de publier un rapport sur les infrastructures collectives, leur financement et leur dimensionnement. Leur diagnostic est sans appel : la course en avant vers toujours plus de réseaux « risque d'enclencher un cercle vicieux financier ». Malgré l'urgence énergétique, cela implique un « changement de logiciel » chez les élus locaux. Décryptage.
César Armand
(Crédits : DR)

C'est un rapport qui tombe à pic à la veille de la présentation de la stratégie gouvernementale en matière de sobriété. Une étude décidée avant le déclenchement de la guerre en Ukraine qui se penche sur les infrastructures collectives, leur financement et leur dimensionnement. Un document réalisé par l'agence de conseil et d'expertise en économie urbaine ibicity, le cabinet de conseil en gestion des services publics Espelia et l'agence de conseils en coopérations territoriales, Partie Prenante.

« Les grands réseaux urbains et leur modèle économique sont construits sur l'hypothèse d'une croissance continue de la demande », affirment les auteurs de la note, soutenue par l'Agence de la transition écologique (Ademe), la Banque des territoires (groupe Caisse des Dépôts) et le Plan urbanisme construction architecture (Puca - ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires).

Avant même l'actuelle crise énergétique, l'ensemble des services locaux ont néanmoins été orientés à la baisse. La loi incite au réemploi et au recyclage des déchets ménagers, tout comme elle interdit, entre 2023 et 2032, la location des logements les plus énergivores. Elle interdit parallèlement les voitures thermiques et hybrides en 2035 tout comme elle grave dans le marbre la baisse de moitié de l'artificialisation des sols d'ici à 2032.

Le « risque d'enclencher un cercle vicieux financier »

Paradoxalement, « le modèle historique des infrastructures urbaines repose sur l'hypothèse d'une croissance continue des volumes, linéaire et prévisible ». Autrement dit, les intercommunalités perçoivent une taxe sur le prélèvement des ordures de leurs administrés, tout comme les régions fixent une taxe sur le certificat d'immatriculation - la carte grise - et bénéficient d'une part de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE).

« Chaque baisse de consommation vient dégrader le coût de revient du réseau et risque d'enclencher un cercle vicieux financier (...) La baisse des consommations peut conduire à dégrader la rentabilité des infrastructures voire à les transformer en actifs échoués », poursuivent les analystes.

Alors que les épisodes de sécheresse se multiplient, il n'existe par exemple pas de contraintes réglementaires spécifiques sur l'eau potable. Sauf que les consommations doivent être suffisantes pour ne pas stagner dans les canalisations et « garantir les normes d'hygiène en vigueur ». Idem en matière d'économie circulaire : « combien vaut un incinérateur s'il n'y a plus assez de déchets pour le faire fonctionner ? », relèvent-ils.

L'urgence est là

Ce raisonnement fonctionne dans l'autre sens. La distribution de gaz et d'électricité est pensée pour répondre aux pics de consommation. Autrement dit, la sobriété n'est pas au rendez-vous, car la capacité du réseau risque d'être toujours privilégiée à l'état réel de la demande. « L'inversion de la courbe des consommations accentue le risque de surdimensionnement structurel des réseaux et des infrastructures », pointent-ils encore.

L'urgence est toutefois là. Dans une interview accordée le 3 octobre à La Tribune, la maire (PS) de Nantes et présidente de l'association d'élus France urbaine alerte sur un possible « sacrifice » de la continuité des services publics. Et ce malgré « la réduction des températures de chauffage, la réduction des amplitudes horaires des éclairages publics, la limitation des plages d'ouverture des bâtiments publics... » évoquée par la même Johanna Rolland.

Les opérateurs facturant les quantités, il convient de « dissocier la rémunération des volumes consommés par l'usager », recommandent les rédacteurs de cette synthèse. Ils plaident ainsi pour la généralisation des contrats de performance qui leur permettent de gagner en ressources environnementales et financières. A condition d'incorporer dans la prestation la part des charges fixés liées au financement, à l'exploitation et à la maintenance desdites infrastructures.

Cela implique un  « changement de logiciel » chez les élus locaux

Entre la « fragilité des recettes » et la « rigidité des coûts », il est recommandé aux collectivités d'améliorer la « sobriété infrastructurelle ». C'est-à-dire privilégier les réseaux qui peuvent s'ajuster à l'offre et à la demande. Cela implique toutefois « un changement de logiciel » dans les choix des élus locaux et des dépenses d'investissement différentes de d'habitude.

Des outils peuvent être lancés en ce sens, comme des tableaux de bord de la sobriété qui suivent l'évolution des consommations et qui peuvent aider les territoires à repérer leur marge de progression. Ou encore les programmations pluriannuelles des investissements (PPI) sous réserve de mieux les articuler avec les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) pour « valoriser financièrement les investissements qui seraient évités » grâce à la baisse des consommations.

En matière d'aménagement, le plan local d'urbanisme (PLU) constitue, en théorie, un bon moyen d'y arriver. Dans la pratique, à rebours de l'objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) des sols, le prix d'un terrain - le foncier - dépend encore de son potentiel de constructibilité. Des voix, comme celle de la directrice générale de SNCF Immobilier Katayoune Panahi, commencent à s'élever pour demander l'intégration de la performance environnementale, mais la loi ne change pas (encore ?).

 En attendant, le conseil régional d'Île-de-France vient de communiquer sur sa stratégie de sobriété - réduction de la température, arrêt de l'éclairage, regroupement du personnel - mais il ne semble pas question d'actionner le levier de la commande publique pour changer de paradigme. Il revient pourtant aux responsables politiques de prendre ce genre de décisions...

César Armand
Commentaires 2
à écrit le 06/10/2022 à 8:54
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Les villes devraient se penser, sinon se transformer, en domaines ruraux, il n'y a plus lieu, a une classe ouvrière a s'agglutiner autour des usines, ni a une classe bourgeoise autour des lieux de plaisir! ;-)

à écrit le 05/10/2022 à 18:29
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Les elus francais n'ont pas le courage ni l'interet de reformer soit de matriser les/leur depenses pour eviter un conflict avec le valeur additive de leur "job".

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