Pour favoriser la mixité sociale, les ménages en difficulté ne seront plus relogés dans les quartiers sensibles

Par latribune.fr  |   |  1021  mots
« Toutes les difficultés ne peuvent pas être rassemblées au même endroit. La mixité est une chance. Elle est nécessaire », a martelé Elisabeth Borne. (Crédits : GONZALO FUENTES)
Le gouvernement va demander aux préfets de ne plus attribuer de logements dans les quartiers prioritaires de la ville aux ménages les plus en difficulté, afin d'encourager la mixité sociale. Ils auront également pour consigne de stopper la création de nouvelles places d'hébergement d'urgence, destinées aux personnes sans domicile, dans ces mêmes quartiers. La mesure a ulcéré à gauche et au sein des associations contre le mal-logement.

[Article publié le vendredi 27 octobre 2023 à 14h09 et mis à jour à 16h00] En réponse aux émeutes de juin, la Première ministre Elisabeth Borne veut favoriser la mixité sociale. Pour y va parvenir, la cheffe du gouvernement, à l'issue du Comité interministériel des villes (CIV), qui s'est tenu ce vendredi 27 octobre à Chanteloup-les-Vignes, demande « aux préfets de ne plus installer via les attributions de logements ou la création de places d'hébergement, les personnes les plus précaires dans les quartiers qui concentrent déjà le plus de difficultés ».

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Dans les faits, ce sont les ménages reconnus Dalo, pour « droit au logement opposable », qui ne devront plus se voir attribuer de logements dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), a précisé Matignon.

« La mixité est une chance »

Les ménages Dalo disposent d'un droit au logement reconnu par la justice et doivent être prioritaires dans l'attribution de logements sociaux. Tous les ménages Dalo ne seront toutefois pas concernés par la mesure, seulement les plus précaires, a-t-on précisé au ministère du Logement.

Les ménages Dalo disposent d'un droit au logement reconnu par une commission de médiation ou la justice, et doivent être prioritaires dans l'attribution de logements sociaux. Près de 35.000 ont obtenu la reconnaissance de ce droit en 2022. Plus de 93.000 restent en attente d'un relogement malgré cette reconnaissance, en grande majorité en région parisienne.

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 « Toutes les difficultés ne peuvent pas être rassemblées au même endroit. La mixité est une chance. Elle est nécessaire », a martelé Elisabeth Borne.

La mesure a ulcéré à gauche et au sein des associations contre le mal-logement.

« Punir les ménages prioritaires Dalo à cause des émeutes, quel contre-sens abyssal »!, s'est emporté sur X (ex-Twitter) le directeur des études de la Fondation Abbé Pierre, Manuel Domergue. « Cette décision (illégale !) leur barrerait l'accès à un tiers du parc HLM », a-t-il soutenu.

« Ce qui favoriserait la 'mixité sociale' ce serait que les maires voyous qui refusent de respecter la loi SRU (instaurant des quotas de logements sociaux par commune, NDLR) soient sanctionnés sévèrement et obligés d'en construire », a affirmé sur le même réseau le député LFI François Piquemal.

Parmi les autres mesures annoncées par Matignon, un programme Entrepreneuriat Quartiers 2030, doté de 456 millions d'euros sur quatre ans, visant à favoriser la création d'entreprises dans les QPV.

Lutter contre les discriminations à l'embauche

Pour lutter contre les discriminations à l'embauche, au logement ou dans l'accès aux prêts bancaires, le gouvernement va également lancer « dès 2024 des opérations de testing massives », a annoncé la cheffe du gouvernement. Pour rappel, le testing consiste à envoyer au même employeur, bailleur ou banquier des CV ou dossiers de personnes différenciées seulement par un point pouvant faire l'objet de discrimination (couleur de peau, nom à consonance étrangère, adresse, handicap...). Pilotée par la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme (Dilcrah), cette politique visera « à terme 500 entreprises par an », selon Matignon.

L'éducation, priorité selon nombre d'élus pour atténuer les inégalités entre quartiers populaires et reste du territoire, bénéficie de plusieurs mesures : l'extension des cités éducatives, où la prise en charge des élèves est renforcée, et l'ouverture garantie des collèges de 8 heures à 18 heures, dès la rentrée 2024. Les bibliothèques verront également leurs horaires d'ouverture étendus dans 500 quartiers, promet Matignon. Et la géographie de l'éducation prioritaire, dont les établissements bénéficient de davantage de moyens, va être progressivement réformée pour coller exactement à celle des QPV.

Pour la transition écologique des quartiers populaires, le programme Quartiers résilients, visant à verdir la politique de la ville, concernera 24 quartiers supplémentaires, avec 250 millions d'euros fléchés en ce sens, contre 100 millions auparavant. Le gouvernement veut également doubler la part du Fonds vert, doté de 2 milliards d'euros, allouée aux QPV, pour la porter à 15%. Enfin, l'exécutif va présenter avant la fin de l'année un projet de loi pour favoriser la rénovation des copropriétés dégradées, dont l'entretien correct n'est plus assuré à cause d'une accumulation de charges impayées.

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Des réponses sécuritaires après les émeutes de juin

Ce CIV, reporté à plusieurs reprises, intervient quatre mois après les émeutes de cet été et au lendemain d'une première salve d'annonces plutôt sécuritaires. Pour corriger la « démission » de certains parents devant la « dérive » de leurs enfants, l'exécutif entend légiférer pour proposer des peines de travaux d'intérêt général à ceux « qui se soustraient à leurs devoirs éducatifs », a déclaré jeudi la Première ministre à Paris, à La Sorbonne, devant plusieurs élus.

« Quand un mineur a causé des dégradations, nous allons nous assurer que les deux parents, qu'ils soient séparés ou non, qu'ils vivent avec leur enfant ou non, soient responsables financièrement des dommages causés », a-t-elle ajouté, après avoir rappelé que, parmi les émeutiers, « les jeunes issus de familles monoparentales » en juin étaient « fortement surreprésentés ».

Pour les maires qui le souhaitent, les polices municipales pourront accomplir des actes de police judiciaire, sous l'autorité du parquet, a par ailleurs prévenu la Première ministre. Cet élargissement des champs d'action de la police municipale avait déjà été voté en 2021, mais censuré par le Conseil constitutionnel.  « Il faudra des dispositions législatives », a précisé Matignon.

Des « forces d'action républicaine » - policiers, magistrats et personnels sociaux - seront également mises en place dans certains quartiers pour une plus grande efficacité « en matière de sécurité, mais aussi pour des réponses judiciaires, éducatives ou sociales ». Les premiers déploiements auront lieu à Besançon, Valence et Maubeuge d'ici à la fin de l'année.

(Avec AFP)