
Mettre tout le monde d'accord n'a jamais été simple, dans l'immobilier encore moins. Pourtant, il y a urgence. Alors que le secteur doit atteindre la neutralité carbone en 2050, sa décarbonation patine. De fait, 44% des propriétaires des 5,2 millions de passoires thermiques recensées n'ont pas encore fait de rénovations énergétiques, selon un sondage de la Fédération nationale de l'immobilier (Fnaim) paru en juin. Parmi ces logements très mal isolés, ou impossibles à chauffer, se trouvent de nombreux appartements. Mais ces derniers sont confrontés à des difficultés inattendues : les propriétaires n'ont parfois pas la possibilité, à eux seuls, d'améliorer leur diagnostic de performance énergétique (DPE).
« Si vous voulez vraiment décarboner un logement, il faut passer par des travaux à l'échelle de l'immeuble, car une grande partie de l'efficacité énergétique d'un appartement vient des voisins », assure Frédéric Utzmann, président d'Effy, spécialiste des rénovations énergétiques.
Problème, cela doit passer par un vote des copropriétés. « Les artisans ont peur de travailler avec elles, car il y a des délais très longs, notamment dus à des conflits d'intérêts entre les propriétaires-bailleurs » pointe Raphaël Di Meglio, directeur général de la startup de gestion de copropriété Matera.
Des copropriétaires divisés et peu motivés à faire des travaux
Les travaux des parties communes doivent en effet être adoptés à la majorité, lors d'une assemblée générale (AG) ayant lieu une fois par an. Résultat, leur validation prend généralement entre trois et cinq ans le temps de voter, AG après AG, la réalisation d'un audit, la sélection d'un devis et le budget des travaux.
« Il est possible d'organiser des AG extraordinaires pour aller plus vite, mais il faut pour cela une demande du conseil syndical ou bien d'un groupe de propriétaires représentant 25% de la copropriété, ce qui est rare, puisqu'un grand nombre d'entre eux traînent des pieds pour lancer les rénovations », confie Gilles Frémont, président de l'Association nationale des gestionnaires de copropriété (ANGC).
Lors de la présentation de son bilan du premier semestre 2022, le 13 juin dernier, la Fédération nationale de l'immobilier a ainsi proposé d'assouplir les modalités de convocation des assemblées générales des syndics de copropriété lorsqu'il s'agit de travaux de rénovation pour contraindre les propriétaires à les voter plus rapidement.
Des problèmes de financements...
Même une fois rassemblés, les copropriétaires reportent souvent les rénovations. Et pour cause, ceux qui ne louent pas ne voient généralement pas l'intérêt de rénover leur logement, puisque le retour sur investissement d'une rénovation énergétique « se voit au bout de 10 ans alors que le temps de détention moyen d'un bien est de 7 ans », ajoute Gilles Frémont.
Dans les cas où les voisins réfractaires accepteraient de lancer des travaux dans l'immeuble, « ces derniers veulent souvent aller au moins-disant sur les coûts des travaux », poursuit Raphaël Di Meglio. De fait, les montants s'établissent en général entre 10.000 et 30.000 euros par propriétaire, en fonction de leur nombre et de l'ampleur des travaux.
Des solutions existent pour alléger le portefeuille des habitants. Le fonds travaux, une réserve d'argent - obligatoire depuis la loi Alur de 2014 - pour les copropriétés est d'ailleurs réservée à ce type d'investissement.
« Sauf que la plupart des copropriétés ne déposent que le minimum légal correspondant à 5% des revenus des cotisations dans ce fonds et distillent cet argent dans des petits travaux qui n'ont rien à voir avec la rénovation énergétique », accuse le président de l'ANGC.
... malgré des aides conséquentes
Pour inciter les propriétaires à se lancer, l'État a donc mis en place des aides conséquentes. Ma Prime Rénov' permet par exemple de financer 25% des travaux, sous réserve que ces derniers permettent un gain de performance énergétique de 35% minimum. « Ce n'est pas quelque chose d'inatteignable, il faut simplement faire le chauffage et l'isolation en même temps », affirme Frédéric Utzmann.
« Les seules rénovations qui fonctionnent, ce sont les rénovations globales (ouvrants, toitures, VMC). C'est uniquement comme cela que vous pouvez gagner deux, voire trois lettres, et sortir de la classe G ou F », appuie Etienne Dequirez, directeur général de Sergic et président de Plurience, le syndicat des administrateurs de biens.
En réalité, aujourd'hui, ce sont surtout les crédits à la consommation qui servent de moyen de financement des travaux dans la plupart des copropriétés. Mais, là encore, rien n'est simple. Pour que tous les propriétaires contribuent équitablement aux travaux - même ceux n'ayant pas la possibilité d'emprunter de l'argent à titre individuel - le syndic peut contracter un prêt collectif, c'est-à-dire porté par la copropriété et financé par les copropriétaires selon leurs tantièmes, la part de copropriété possédée par chacun d'entre eux.
Une technique rarement mise en place
Une technique intéressante, mais « très rarement mise en place », tacle encore Gilles Frémont. Ce dernier regrette que ce mécanisme nécessite le vote à l'unanimité des copropriétaires. Quand bien même tous les membres se mettent d'accord sur un prêt collectif, « trop d'établissements bancaires rechignent à (les) financer », avait concédé le ministre du Logement Olivier Klein en décembre.
« Aujourd'hui, cela reste des dossiers extrêmement compliqués pour les banques : qui est le prêteur et qui paie à la fin ? Ce n'est peut-être pas rentable pour elles, mais elles n'ont que des avantages : les copropriétaires n'ont pas besoin de s'attendre les uns les autres, et une fois le prêt lancé, le syndic s'occupe de tout », défend Etienne Dequirez.
Les professionnels de l'immobilier sont donc unanimes quant à la nécessité de développer les financements de copropriétés, en passant notamment par les crédits. Pour éviter que les contractants de prêts collectifs ne voient leurs crédits refusés, la Fnaim propose d'appliquer le taux d'usure affilié au crédit à la consommation. Celui-ci plafonne les crédits de 6% à 22%, contre 4 à 5% pour le taux d'usure accordé à des crédits immobiliers et collectifs.
Une situation à nuancer
Pour Gilles Frémont, en revanche, la véritable solution ne tient pas qu'au crédit : « Il faudrait obliger les copropriétés à mettre beaucoup plus d'argent de côté et les empêcher d'y toucher jusqu'à avoir atteint 50% du coût des travaux pour qu'elles puissent les réaliser au plus vite. »
Une situation que nuance Realisa, une entreprise spécialisée dans la rénovation globale de petites et moyennes copropriétés (entre 80 et 100 logements). L'entreprise qui a effectué 8.000 rénovations en 13 ans constate, en effet, « une vraie dynamique vers la rénovation globale depuis deux ans », affirme son co-fondateur Harold Hugonenc, qui explique avoir multiplié ses projets par deux entre 2022 et 2023.
Pour cet acteur de la rénovation, de plus en plus de copropriétaires, notamment les bailleurs, poussent aux travaux. Les copropriétés volontaires parviennent en effet à voter des travaux en 12, voire 8 mois, contre 3 à 5 ans en moyenne. Selon Harold Hugonenc, « les propriétaires qui étudient l'option de rénovation globale y voient un véritable intérêt, car ces gros travaux coûtent au final moins cher que des petits travaux mis bout à bout ».
Reste maintenant à convaincre le reste des copropriétés qui se montrent encore majoritairement réfractaires aux lourds travaux.
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