Pour un collectif d'économistes, "le pognon de dingue" freine les inégalités

Par Grégoire Normand  |   |  1089  mots
"Sur l'ensemble de la période 1990-2018, la puissance redistributive du système français a fortement progressé passant d'une réduction des inégalités de 17% à 30%", expliquent plusieurs économistes dans une note. (Crédits : Reuters/Vincent Kessler)
Dans une note consacrée aux inégalités et à la redistribution, un groupe d'économistes indique que le système socio-fiscal français a contribué à diminuer les écarts de revenu disponible de 23% en moyenne sur la période 1990-2018.

"Pognon de dingues", "ras-le-bol-fiscal". Le système socio-fiscal fait régulièrement l'objet de critiques et remises en cause de la part du pouvoir ou d'une partie de l'opinion publique. Dans une vidéo diffusée au mois de juin, le président de la République, Emmanuel Macron, estimait que les aides sociales coûtaient "trop de pognon" parce que ces aides échouent à sortir des gens de la pauvreté.

"On met un pognon de dingue dans des minima sociaux, les gens, ils sont quand même pauvres, on n'en sort pas. Les gens qui naissent pauvres restent pauvres, ceux qui tombent pauvres ils restent pauvres. On doit avoir un truc qui permet aux gens de s'en sortir", ajoute-t-il. "Sur la santé, c'est pareil."

En dépit de ces attaques répétées, (*) plusieurs économistes, dont l'auteur du best-seller, Le Capital au XXIème siècle Thomas Piketty,  viennent d'expliquer, dans une note pour le laboratoire sur les inégalités mondiales, que la redistribution n'est pas si inefficace. "Sur l'ensemble de la période 1990-2018, la puissance redistributive du système français a néanmoins fortement progressé passant d'une réduction des inégalités de 17% à 30%. Cette tendance a permis de contrecarrer l'augmentation des inégalités primaires en France, au contraire des États-Unis." À l'heure où les populismes progressent dans de nombreux pays européens, la question des disparités de revenus devient un enjeu crucial à quelques mois des élections européennes.

Des inégalités en légère hausse en France

Dans leurs travaux, les chercheurs ont comparé l'évolution des inégalités de revenus et de la redistribution fiscale en France et aux États-Unis. L'un des premiers enseignements est que la part des revenus des 10% des Français les plus riches dans le revenu total est passée de 30% à 32% (+6%) en 30 ans tandis que celle des 50% les plus modestes a baissé de 24% à 22% (-8%).

Aux États-Unis, la hausse des inégalités est bien plus significative. "La part des 50 % les plus pauvres a décru de 23% (de 22% à 17%) alors que celle des 10% les plus riches a augmente de 18%."

Des inégalités réduites après impôts

Le poids des prélèvements obligatoires en France est souvent raillé. Selon les données de l'OCDE, la France fait partie des pays présentant un des taux les plus élevés (45% du PIB contre 34% dans la moyenne de l'OCDE) avec le Danemark parmi les pays développés.

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Pour autant, les experts soulignent que les inégalités de revenus après impôt sont plus faibles que celles des revenus avant impôt. Ce qui témoigne "de l'impact qu'a le système social et fiscal sur la distribution des revenus." L'ensemble du système socio-fiscal aurait contribué à réduire les inégalités de 23% en moyenne sur la période 1990-2018.

Aux États-Unis, les résultats exprimés dans l'étude sont particulièrement surprenants. Sur la période 1990-2018, la redistribution fiscale a permis de diminuer les écarts de revenus de 34% en moyenne. Pour les économistes, "le système fiscal et social est donc plus redistributif aux États-Unis qu'en France, même si le système fiscal
français s'est renforcé plus fortement qu'aux États-Unis."

La fiscalité indirecte au centre des critiques

Sur l'ensemble des prélèvements obligatoires, les économistes visent particulièrement les taxes indirectes (comme la TVA) qui "sont fortement régressives." "Les ménages les plus modestes paient un taux effectif de taxes indirectes supérieur aux plus riches car ils consomment une plus grande part de leur revenu".

Dans le viseur des auteurs de la note figurent également les cotisations sociales non contributives qui reposent à la fois "sur un barème légèrement régressif et du fait que les revenus du capital, principalement présents chez les plus riches, y sont soumis à un taux plus faible que ce ceux du travail."

Des leviers multiples

Les résultats de cette note indiquent que la moindre inégalité de revenu disponible en France par rapport aux États-Unis ne passe pas par une meilleure redistribution fiscale "mais par une plus faible inégalité avant impôt." Outre la fiscalité et des transferts directs, les économistes rappellent qu'il existe de nombreux autres leviers qui contribuent à freiner les inégalités. Ils citent, entre autres, les politiques éducatives, la santé, l'organisation du travail et le rôle du salaire minimum, la concentration et la transmission des patrimoines.

Sur ce dernier sujet, la France est en pointe sur la question des inégalités de patrimoine. En juin dernier, les économistes de l'Insee ont signalé dans une étude que sur la période 1998-2015, la patrimoine immobilier et financier des Français a doublé sauf pour les 20% des ménages les moins dotés. Au début de l'année 2015, les 10% de ménages les mieux dotés détenaient ainsi chacun plus de 595.700 euros d'actifs, tandis que les 10% les moins biens dotés possédaient moins de 4.300 euros de patrimoine.

Lire aussi : Le patrimoine creuse fortement les inégalités françaises

Des prestations sociales efficaces

Les politiques publiques en faveur d'une redistribution fiscale par des transferts sociaux seraient efficaces dans la lutte contre les inégalités selon les économistes. Les experts décomposent ces transferts en trois principales catégories :

- les prestations sociales (dont les minimas sociaux comme le RSA) ;

- les prestations familiales (allocations familiales) ;

- les allocations logement (APL).

Les universitaires soulignent que les prestations sociales ont contribué à la réduction des inégalités de manière stable depuis les années 1990. "Elles sont avant tout perçues par les 50% les plus pauvres, dont elles représentent environ 7% du revenu national moyen. Les 40% suivants dans la pyramide des revenus disposent de 3,5% du revenu national moyen sous forme de prestations, un chiffre qui tombe à 2,5% pour les 10% les plus riches." Les transferts les plus progressifs reposeraient avant tout sur l'allocation logement, "dont l'attribution se fait sous condition de revenus".

Au moment où le gouvernement, dans le budget 2019, a prévu de faire des économies importantes (900 millions d'euros) sur les aides personnelles au logement, cette étude risque d'alimenter encore les débats sur la nécessité de revaloriser cette prestation.

Lire aussi : Un budget 2019 qui ne va pas réduire les fractures territoriales

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(*) Jonathan Goupille-Lebret (ENS Lyon/PSE-WIL/INSEAD), Bertrand Garbinti (CREST), Thomas Piketty (PSE/EHESS/WIL). Antoine Bozio(PSE/EHESS/IPP) et Malka Guillot-Netchine (UC Berkeley).