Présidentielle : pourquoi la préférence nationale voulue par le FN est un non-sens économique

Par Jean-Christophe Catalon  |   |  793  mots
Si elle parvient à remporter le scrutin le 7 mai, la candidate frontiste a assuré qu'elle créera 1,7 million d'emplois en trois ans.
Si elle est élue, Marine Le Pen veut appliquer une taxe sur les embauches de travailleurs étrangers, pour décourager les employeurs de les engager. Pourtant, loin de se substituer à l'emploi des Français, les étrangers permettent de répondre à un besoin de main-d'œuvre dans certains secteurs.

A deux jours du premier tour de la présidentielle, Marine Le Pen figure toujours parmi le duo tête dans les sondages. Si elle parvient à se qualifier, puis à remporter le scrutin le 7 mai, la candidate frontiste a assuré, dans une interview au Figaro cette semaine, qu'elle créera 1,7 million d'emplois en trois ans. Une performance rendue possible par ce qu'elle appelle un "patriotisme économique", passant par plusieurs mesures phares, dont la sortie de l'euro, mais aussi une politique de "préférence nationale" inscrite dans la proposition 38 de son programme :

"Supprimer sur notre territoire la directive 'détachement des travailleurs' qui y crée une concurrence déloyale inadmissible. Mettre en place une taxe additionnelle sur l'embauche de salariés étrangers afin d'assurer effectivement la priorité nationale à l'emploi des Français."

En clair, l'idée est d'augmenter le coût du recrutement des étrangers, de sorte à désinciter les employeurs à avoir recours à cette main-d'œuvre, et donc à privilégier les nationaux. Derrière cette mesure, se trouve l'idée qu'embaucher des étrangers est un moyen pour les employeurs de faire baisser le coût du travail. Or, si certains le font sans doute dans cette optique, cette affirmation ne reflète pas la dynamique générale.

"Fluidifier le marché du travail"

En France, on compte 1,77 million d'étrangers actifs en 2015, soit 6% de la population active totale, selon l'Insee (ces données concernent uniquement les individus en situation légale sur le territoire, ndlr). Ils sont d'abord particulièrement touchés par le chômage, qui concerne environ 20% d'entre eux, contre plus de 9% pour les actifs français. Le taux de chômage est encore plus élevé (environ 25%) pour les étrangers hors-Union européenne. Autrement dit, leur accès à l'emploi est difficile.

Concernant ceux qui travaillent, ils sont présents à tous les échelons de compétences, de l'ouvrier non qualifié au cadre. Mais la majeure partie (64%) exerce des métiers d'ouvriers et d'employés, les deux catégories combinées représentant plus de 1,1 million d'étrangers actifs en 2015. Ils sont surreprésentés dans les secteurs de la construction (15% de l'emploi total), le commerce de gros et de détail (12%), de la santé et social (10%), de l'industrie (9%) ou encore de l'hôtellerie-restauration (8%), selon l'Enquête emploi en continu 2014 de l'Insee.

De nombreux travailleurs étrangers exercent des métiers pénibles, dont certains sont à forte saisonnalité, mais qui ont pour particularité d'avoir un besoin de main-d'œuvre important. Si l'on prend en compte le cas des immigrés, c'est-à-dire les étrangers et les personnes nées à l'étranger puis naturalisées, "ils sont surreprésentés dans les professions les plus en croissance", analyse Jean-Christophe Dumont, directeur de la division migration internationale à l'OCDE. Finalement, leur présence permet de "fluidifier le marché du travail", poursuit-il.

Sans emploi, les étrangers seraient redirigés vers l'aide sociale

Dans ces conditions, décourager les employeurs à embaucher des étrangers ne profiterait pas à l'emploi des nationaux. Les étrangers permettant davantage de combler une pénurie que de se substituer à une main d'œuvre française.

A l'inverse, la préférence nationale voulue par le Front national rajouterait une barrière supplémentaire aux étrangers dans leur insertion sur le marché du travail. Celle-ci est pourtant déjà longue et laborieuse, moins de quatre immigrés récents (c'est-à-dire présents en France depuis cinq ans, ndlr) sur dix ont un emploi en 2015, selon l'OCDE.

Puisque, on l'a dit, 1,77 million d'étrangers actifs sont présents sur le territoire, leur contraindre toujours plus l'accès à l'emploi risque d'avoir pour effet de les rediriger vers l'aide sociale. Alors qu'en travaillant, ces actifs peuvent non seulement vivre mieux, mais également contribuer au financement du système social français. Mieux, s'ils étaient employés à hauteur de leur niveau de qualification, ils feraient gagner 0,6 point de PIB, selon l'OCDE.

La question de la légalité d'une taxe discriminatoire

Enfin, demeure la question de la légalité d'une telle taxe sur l'embauche des étrangers. Pour les ressortissants de pays membres de l'Union européenne, les traités garantissent la libre circulation des travailleurs et abolissent toute discrimination. Certes Marine Le Pen veut s'affranchir de Bruxelles, mais encore faut-il que les Français approuvent un Frexit lors du référendum qu'elle promet en cas de victoire.

De même, le principe de non-discrimination prévaut également dans le code du travail français, qu'il faudrait alors réformer. Même d'un point de vu constitutionnel, cette mesure est-elle possible ? La question de la validité juridique est importante. De l'autre côté de l'Atlantique, le président Trump en a fait les frais avec son décret anti-immigration, bloqué le lendemain de sa promulgation, puis suspendu une semaine plus tard...