Pourquoi le chômage subit-il de tels soubresauts ?

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  915  mots
La structure du marché du travail où les embauches se font essentiellement sur des contrats courts, explique en grande partie les successions de baisses et hausses du chômage observées ces derniers mois.
Le nombre des chômeurs a bondi en octobre après avoir fortement décru en septembre. Un phénomène qui s'explique par la structure du marché du travail où les embauches se réalisent essentiellement sur des contrats précaires très courts, faute de croissance suffisante.

Un véritable coup de massue. Avec 42.000 demandeurs d'emplois supplémentaires inscrits en catégorie « A » en octobre, la France a connu sa plus forte progression mensuelle du chômage depuis avril 2013. Pis, il y a 700.000 chômeurs de plus depuis l'élection de François Hollande, alors que son mandat ne se termine que dans 18 mois. Une hausse, pour l'instant, à peine moins forte donc que celle enregistrée sur l'ensemble du quinquennat de Nicolas Sarkozy (750.000). Des données qui font très mal pour le gouvernement, surtout à dix jours du premier tour des élections régionales. Il aurait en effet été plus facile pour la majorité PS de se présenter au scrutin en affichant un deuxième mois consécutif de baisse du chômage après la « divine » surprise de septembre où le nombre des demandeurs d'emploi avait diminué de 23.000, soit la plus forte baisse depuis la crise financière de la fin 2007. C'est raté.

Le chômage fait du "yo-yo"...

Mais, au risque de heurter, structurellement, il n'y a pas que du mauvais dans les données statistiques mensuelles du chômage d'octobre si on les replace dans leur contexte. Ces données prouvent, en effet, que nous ne sommes plus dans une période de progression linéaire du chômage.

En réalité, depuis juillet, le chômage fait du yo-yo, alternant les baisses (parfois faibles comme en juillet et parfois fortes comme en septembre) et les hausses (parfois fortes, comme en octobre). Mais un constat s'impose, il n'y a plus de linéarité dans la progression de la courbe du chômage, comme cela était le cas les années précédentes. Maintenant il y a des soubresauts.

... à cause de la "croissance molle"

Comment expliquer ce phénomène ? D'abord en raison de la période de « croissance molle » que vit la France. Selon l'Insee, le PIB a progressé de 0,3% au troisième trimestre. Au quatrième trimestre - mais attention aux effets post-attentats - cette hausse devrait atteindre 0,4%. In fine, sur l'ensemble de l'année 2015 le PIB devrait croître de 1,1%. C'est trop peu pour faire baisser le chômage. Mais, en même temps, il est exact que les marges des entreprises se redressent... d'où quelques embauches. Cependant, les entreprises n'ont pas vraiment encore assez confiance pour se lancer dans des recrutements stables.

Là réside la seconde explication à la hausse du chômage d'octobre : méfiantes, les entreprises préfèrent multiplier les CDD et les missions d'intérim, tant que la croissance et la confiance ne seront pas réellement au rendez-vous. Pour preuve, en octobre, selon le baromètre Prism'emploi établit par les sociétés d'intérim, l'emploi intérimaire a progressé de 9,6%, soit la croissance la plus forte depuis le deuxième trimestre 2011. Et tous les secteurs sont orientés à la hausse, y compris le BTP, sortant d'une baisse continue depuis plus de quatre ans.

Mais ces CDD et missions d'intérim sont de plus en plus courts. Une étude du Conseil d'Analyse Economique (CAE) montrait qu'entre 2000 et 2014, le nombre des contrats à durée déterminée (CDD) de moins d'un mois ont progressé de...146%. Et la durée moyenne des CDD a été divisée par trois pour s'établir à cinq semaines. Quant à la durée moyenne d'une mission d'intérim, dans le même temps, elle est passée d'un peu plus d'un mois à ... un peu moins de deux semaines.

... et de la structure du marché du travail où les embauches se font sur des contrats courts

 Le turn-over s'est donc accentué. Davantage de personnes passent très rapidement du statut de salarié à celui de chômeur en un laps de temps réduit. Or, en octobre, justement, les fins de contrats à durée déterminée ont représenté 22,7% des motifs d'inscription à Pôle emploi. C'est même, de loin, le premier motif d'inscription au chômage, si l'on exclut la catégorie « autres cas » qui regroupe des motifs très divers, comme, par exemple, les ruptures conventionnelles.

Une tendance d'ailleurs souligné par les experts de la Dares (service statistiques du ministère du Travail) qui remarquent que :

«Depuis le début de l'année, on constate un mouvement de hausses et de baisses successives caractéristique d'une reprise graduelle de l'activité économique, en lien avec des embauches encore majoritairement en CDD et en intérim ».

En fait, le marché du travail va continuer de faire preuve dans les mois à venir d'une grande volatilité. En d'autres termes, en raison de la structure du marché du travail où plus de 80% du flux des embauches se font sur des emplois précaires, pendant plusieurs mois encore la courbe mensuelle du chômage va être chaotique, alternant les hausses et les baisses en fonction du ratio entre nombre de CDD et de missions d'intérim conclus et rompus. Ainsi, il est possible qu'en novembre, on assiste à une chute drastique des inscriptions à Pôle Emploi, car de nombreux CDD auront été conclus. Et le mois d'après, ce peut être encore l'inverse. Répétons-le, c'est l'importance de l'emploi précaire qui provoque ces brusques et importants soubresauts mensuels sur le nombre de chômeurs.

Le phénomène s'atténuera -si ça arrive !- quand la croissance sera plus conséquente. La courbe du chômage redeviendra plus linéaire... mais à la baisse. Selon la quasi-totalité des économistes, ce phénomène devrait se produire en 2016. Reste à savoir à quel moment.