Quelle transition écologique avec François de Rugy ?

Par Dominique Pialot  |   |  2079  mots
Le Président de l'Assemblée nationale François de Rugy succède à Nicolas Hulot à la Transition écologique et solidaire (Crédits : Charles Platiau)
Le nouveau ministre à la Transition écologique et solidaire accède au gouvernement dans une période compliquée. Ce choix de cet ancien Vert, président de l’Assemblée nationale depuis juin 2017, ne présage d’aucun changement de modèle, contrairement à l’appel lancé par son prédécesseur en quittant le gouvernement.

Ce ne sera donc ni Pascal Canfin (directeur général du WWF France), ni Ségolène Royal (ambassadrice chargée des négociations internationales relatives aux pôles arctiques et antarctique), ni Laurence Tubiana (ex-négociatrice pour la France lors de la COP21), ni Sébastien Lecornu (secrétaire d'État auprès de Nicolas Hulot) ni Barbara Pompili (députée LREM de la Somme).

A l'issue de la semaine de suspens et de rumeurs qui a suivi la démission fracassante de Nicolas Hulot le 28 août, c'est donc finalement l'ancien président de l'Assemblée nationale François de Rugy qui prend la tête du Ministère de la Transition écologique et solidaire. C'est avec Barbara Pompili, autre alliée à la macronie issue de EELV , l'un des seuls poids lourds écologistes du gouvernement.

« Je sais d'expérience (...) que c'est sans doute l'un des postes ministériels les plus difficiles », avait-il écrit sur son compte Facebook le jour-même du départ de Hulot. « Celui ou celle qui lui succédera à cette difficile responsabilité devra justement avoir pour lui la possibilité d'agir dans la durée. » « Il faut faire preuve de détermination, d'engagement, mais aussi de persévérance dans le temps. »

A 44 ans, le locataire du perchoir accède pour la première fois à un ministère, après un parcours politique sinueux qui l'a mené chez Génération écologie fondée par Brice Lalonde, chez les Verts puis à la co-présidence du groupe écologiste (EELV) à l'Assemblée avec Barbara Pompili. Il aura été entretemps conseiller de Jean-Marc Ayrault alors maire de Nantes. Élu député sous l'étiquette des Verts en 2007, il est réélu en 2012 puis en 2017 sous l'étiquette la République en marche.

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Dénonçant l'opposition de sa dirigeante Cécile Duflot au virage social-libéral du gouvernement socialiste qu'il qualifie de « dérive gauchiste », il avait quitté EELV en août 2015 pour fonder le Parti écologiste avec le sénateur Jean-Vincent Placé, lui aussi démissionnaire d'EELV.

En mai 2016, il intégrait le groupe socialiste et devenait vice-président de l'Assemblée nationale, suite à la démission de Denis Baupin. Il participe donc à la primaire de la gauche dans laquelle il s'attache à incarner l'écologie. Mais il ne recueille que 3,88% des suffrages et contre toute attente, décide alors dans un souci de «cohérence» de soutenir Emmanuel Macron et non pas Benoît Hamon contrairement à son engagement.

« Écologiste réformiste » autoproclamé

Contrairement à son prédécesseur, François de Rugy n'a jamais opposé le libéralisme à l'écologie et se veut pragmatique et non dogmatique dans ce domaine.

« L'écologie, cela ne peut pas être que des grands discours d'analyse, de dénonciation ou même de propositions, mais bien de l'action, encore de l'action et toujours de l'action », a déclaré celui qui se définit lui-même comme un "écologiste réformiste".

Les dossiers en cours en manquent pas au programme de celui qui était devenu Président de l'Assemblée nationale en juin 2017: le projet de loi d'orientation sur les mobilités (et ses volets infrastructures, compétences des autorités locales et mobilités propres) qui doit être présenté cet automne, un plan vélo également dans les tuyaux, le passage de la loi Alimentation devant le Parlement, le verdissement de la politique agricole commune (PAC), la deuxième phase des Assises de l'eau, le chantier de la rénovation de 500.000 logements....

Dans un autre registre, l'inscription de la "préservation de l'environnement" à l'article 1er de la constitution a été approuvée en juillet par les députés, mais l'examen de la révision constitutionnelle a été reporté sine die. Quant à la loi Pacte, qui prévoit notamment la modification du Code civil pour que les entreprises prennent en considération leurs impacts sociaux et environnementaux dans leur gestion, elle doit être examinée par le parlement à la fin du mois.

Le test de la PPE

Mais c'est sur l'énergie que le menu est le plus complet : l'avenir des énergies marines renouvelables, la fin des tarifs réglementés du gaz, l'ouverture à la concurrence des concessions hydroélectriques et, bien évidemment, le nucléaire. Alors que la programmation pluri-annuelle de l'énergie (PPE) est en cours de rédaction, annoncée pour octobre ou novembre par le secrétaire d'État auprès de Nicolas Hulot en charge de ces dossiers Sébastien Lecornu, le débat sur la part du nucléaire et surtout sa composition vient d'être relancé par la fuite d'un rapport préconisant la construction de six nouveaux EPR à compter de 2025. Le départ de Nicolas Hulot ne serait d'ailleurs pas étranger à des arbitrages qu'il aurait pu perdre sur le sujet, lui qui avait promis que figurerait dans cette PPE un calendrier des réacteurs à fermer pour atteindre une part de 50% d'électricité issue de l'atome.

Sortie du nucléaire à l'horizon 2040

 Sur le sujet, François de Rugy a eu l'occasion de faire à plusieurs reprises des commentaires sévères sur le poids de EDF dans l'élaboration de la politique énergétique française.

« Ce n'est plus EDF qui fait la politique de l'énergie, a-t-il ainsi déclaré en juillet dernier au micro de Jean-Jacques Bourdin. "Si le patron d'EDF veut faire la loi à la place des députés, qu'il se présente aux élections législatives", avait-il également expliqué.

Suite à l'abandon de l'échéance de 2025 pour atteindre 50% d'électricité nucléaire assumée par son prédécesseur en novembre dernier, il s'était dit « déçu que depuis des années on ait sans cesse repoussé les échéances". "Dans cette loi, il y avait l'objectif de baisser la part du nucléaire. Pendant cinq ans, malheureusement, EDF n'a rien voulu faire et les gouvernements ont cédé aux pressions d'EDF".

En 2011 déjà, il avait déclaré, à propos d'un courrier adressé par le président de l'époque Henri Proglio à ses employés afin qu'ils se mobilisent en faveur de l'industrie nucléaire : "Que le président d'une société détenue à 85% par l'État tente de faire de ses collaborateurs les agents d'un lobby est incompatible avec la neutralité que l'on est en droit d'attendre d'une entreprise qui exerce des missions de service public".

Candidat à la primaire de la gauche, il avait milité pour l'élaboration de programmes de reconversion pour chaque centrale atteignant les 30 ans, un abandon total du nucléaire à l'horizon 2040 et une France alimentée à 100% aux énergies renouvelables dès 2050.

Vigilance des professionnels des énergies renouvelables

Les acteurs économiques des secteurs couverts par le ministère,  à commencer par ceux des énergies renouvelables,  souhaitent la bienvenue à François de Rugy tout en lui rappelant les enjeux du moment.

« Nous sommes confiants et pensons que le nouveau ministre s'inscrira dans la ligne tracée par Nicolas HULOT, qui a rappelé que l'urgence climatique nous oblige à changer d'échelle dans le développement des énergies renouvelables », a déclaré Jean-Louis Bal, Président du Syndicat des énergies renouvelables.

« L'engagement de longue date de François de Rugy dans la défense de l'environnement et sa connaissance approfondie du secteur des énergies renouvelables constituent des signaux positifs qui doivent conduire à une programmation pluriannuelle de l'énergie en cohérence avec la Loi de transition énergétique pour la croissance verte, adoptée en 2015. Cette dernière nous permettra d'atteindre au moins 32% d'énergies renouvelables dans notre consommation finale à l'horizon 2030, dont 40% d'énergies renouvelables dans notre production d'électricité, 38% dans notre consommation de chaleur et de froid, 10% de notre consommation de gaz et 15% dans les transports. »

Autre syndicat des énergies renouvelables, ENERPLAN salue la nomination du nouveau ministre d'État, ministre de la Transition écologique et solidaire, François de Rugy, et l'appelle à poursuivre la mobilisation pour faire de l'énergie solaire l'accélérateur de la transition énergétique. « Nous souhaitons la bienvenue au ministre François de Rugy et comptons sur son action pour prolonger la dynamique solaire impulsée par son prédécesseur depuis mai 2017. Il peut s'appuyer sur le secteur solaire pour agir comme accélérateur de la transition énergétique, si les bonnes décisions sont prises concernant la PPE et l'autoconsommation. Le ministre peut libérer l'énergie des territoires en facilitant l'émergence du solaire digitalisé qui recèle nombres d'innovations et d'emplois. Soyons ambitieux et pragmatiques » déclare Daniel Bour, son président.

 « Nous sommes désolés de la démission de Nicolas Hulot, qui souhaitait faire avancer les choses et supporter la décentralisation comme solution indispensable», a pour sa part déclaré le co-fondateur du producteur alternatif d'électricité ekWateur.

 « Cependant, nous espérons sincèrement que les 25 années de militantisme de Monsieur de Rugy serviront la cause d'une transition écologique complète et responsable » continue Julien Tchernia.

Des ONG déçues par le statu quo

En revanche, les ONG se montrent plus dubitatives, insistant sur l'absence de « big bang institutionnel » appelé de ses vœux par Pascal Canfin, directeur du WWF France un temps pressenti pour le poste.

«Tous les ministres de l'Environnement précédents, de droite, de gauche, du centre, ont été confrontés au fait que l'État, aujourd'hui, n'est pas organisé pour produire la transition écologique à l'échelle dont on a besoin, avait-il déclaré. L'État est organisé comme au XXe siècle, voire même parfois comme au XIXe, or la transition écologique c'est un besoin du XXIe siècle».

Selon Canfin, il en va de la «responsabilité» du chef de l'État, faute de quoi, ce «sera le signe de l'échec de n'importe quel autre nouveau ministre de l'Environnement».

« Peu importe le nom du nouveau ministre. Nous jugerons cette nomination sur les actes. La présentation du budget la semaine prochaine permettra de savoir si l'électrochoc de la démission de Nicolas Hulot a ouvert les yeux du gouvernement sur l'urgence de la situation », a expliqué la présidente de la Fondation pour la nature et l'homme, lancée par Nicolas Hulot, Audrey Pulvar.

Le commentaire du WWF France n'est pas très éloigné : " Son parcours en tant qu'élu écologiste, sa connaissance des institutions et sa capacité à emmener la majorité parlementaire sur les dossiers qui seront les siens, lui confèrent une indéniable légitimité, reconnaît dans un communiqué l'ONG dirigée par Pascal Canfin. Cependant, c'est le périmètre du ministère dont il aura la responsabilité et surtout la feuille de route qui sera la sienne qui permettront de déterminer si sa nomination est une réponse crédible à la hauteur des enjeux décrits par son prédécesseur, Nicolas Hulot.

"Le temps n'est plus aux promesses déjà tant de fois entendues. Face à l'électrochoc envoyé par Nicolas Hulot, des preuves du nécessaire sursaut politique collectif doivent être apportées rapidement. Le WWF France sera particulièrement vigilant sur les dossiers en cours, en particulier dans les domaines de l'énergie, de la biodiversité, de l'agriculture, des transports..."

Même tonalité à la Ligue de protection des oiseaux (LPO). « Au-delà de ce remaniement, la LPO attend donc que le plus haut sommet de l'État donne des preuves concrètes de sa volonté de changement afin que tous les ministères s'impliquent concrètement par un changement des pratiques et des comportements », a insisté son directeur Allain Bougrain Dubourg.

« Peut-on sérieusement croire que François de Rugy fera mieux que Nicolas Hulot si Emmanuel Macron et le Premier ministre poursuivent dans la voie du tout nucléaire, du tout voiture et d'une agriculture intensive aussi dominante? » s'interroge Jean-François Julliard, président de Greenpeace France. Sans changement de cap, aucun ministre de l'écologie ne réussira. »

L'eurodéputée EELV Michèle Rivasi se montre plus dure. Elle dit ne rien attendre de François de Rugy, "un pseudo-écologiste, un homme de main du président"

L'avocat spécialisé en environnement Arnaud Gossement en revanche préfère attendre avant de juger. « Critiquer le nouveau ministre de l'écologie à peine nommé n'est pas le meilleur moyen de lui donner du poids dans le Gouvernement. Mieux vaut lui donner sa chance et les moyens d'agir car on n'a pas le temps d'attendre 4 ans », a-t-il ainsi tweeté.