Réforme du droit du travail : Juppé se démarque (un peu) de Sarkozy

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1009  mots
Alain Juppé veut remonter de 35 à 39 heures hebdomadaires le seuil légal de déclenchement des heures supplémentaires
Après Nicolas Sarkozy, c'est au tour d'Alain Juppé d'avancer ses propositions pour réformer le droit du travail. Il suggère un retour aux 39 heures et veut instituer un contrat de travail prévoyant ses motifs de rupture.

Réformer le droit du travail... Chez les leaders du parti « Les Républicains » (LR) ce thème est manifestement central. La semaine dernière, c'est Nicolas Sarkozy qui, dans un entretien au journal « Les Echos », présentait ses propositions tendant notamment à supprimer les 35 heures comme seuil de déclenchement des heures supplémentaires. Cette fois, c'est au tour de son grand rival pour la primaire, Alain Juppé, de présenter sur son "blog"  son propre programme de réforme du droit du travail. Certes, il y a quelques points communs entre les deux hommes. Ainsi, tous les deux prônent davantage de souplesse en donnant plus de place aux accords d'entreprise. Mais Alain Juppé fait cependant entendre une petite musique différente. Explications.

Sur la durée du travail, Alain Juppé estime que la France « souffre de la faiblesse de la quantité globale de travail réalisé ». Et d'asséner: « parce qu'ils travaillent moins qu'ailleurs, les Français produisent moins de richesses qu'ailleurs »... Ce qui est tout à fait discutable si l'on se réfère au niveau de productivité de l'Hexagone.

Le retour aux 39 heures légales

Le Maire de Bordeaux, à l'instar de Nicolas Sarkozy, veut donc « en finir avec les 35 heures ». Pour lui, il doit revenir à chaque entreprise « la liberté de définir la durée du travail au sein de l'entreprise ». C'est-à-dire que chaque entreprise pourrait fixer son seuil de déclenchement des heures supplémentaires. A défaut d'accord, et c'est une grande différence avec Nicolas Sarkozy, l'ancien premier ministre de Jacques Chirac propose que la durée de référence soit fixée à 39 heures. Ce qui veut dire que les « heures sup » se déclencheraient à compter de la 40ème heure de travail. Ce serait donc un retour à la situation antérieure aux lois Aubry.

Alain Juppé propose aussi pour les salariés qui travaillent déjà plus de 35 heures actuellement et «qui ne devront pas perdre de pouvoir d'achat » si de nouvelles règles étaient adoptées, d'instituer un "mécanisme d'exonération fiscale". Un dispositif similaire - et très couteux - avait été adopté en 2008 dans le cadre de la loi « Tepa ». Il avait été supprimé en 2012 après l'élection de François Hollande.

Priorité à l'accord d'entreprise ou de branche

Reprenant une antienne très en vogue en ce moment, Alain Juppé estime que le code du Travail constitue un « carcan qui limite considérablement le dynamisme des entreprises et leur propension à embaucher ».

Il propose donc que, à terme, le code du Travail ne contienne plus que « les grands principes protecteurs du salarié, notamment en matière de sécurité et de santé au travail, et ceux qui organisent les relations de travail». Tout le reste doit en revanche relever de l'accord de branche, d'entreprise ou du contrat de travail. Alain Juppé est donc moins réticent que Nicolas Sarkozy à l'égard des accords de branche.

 Les cause de rupture d'un contrat de travail prévues dès sa signature

En revanche, sur le contrat de travail, le maire de Bordeaux avance une piste personnelle... empruntée au Medef et à la CGPME. Dès le début du prochain quinquennat, il souhaite que les règles encadrant la rupture du contrat de travail soient modifiées. Il suggère qu'une loi permette de fixer dès la conclusion du contrat les motifs de sa rupture, « pour prendre notamment en compte la santé économique de l'entreprise ». En d'autres termes, un licenciement provoqué par la chute du chiffre d'affaires ou la perte d'un contrat important sera automatiquement considéré comme ayant une cause « réelle et sérieuse »... On imagine déjà l'explosion du contentieux car un salarié pourra toujours contester l'origine de la chute du chiffre d'affaires ou son importance.

Par ailleurs, à l'instar de Nicolas Sarkozy, Alain Juppé se déclare favorable au principe de la démocratie directe : en cas de blocage du dialogue social dans l'entreprise entre les syndicats et l'employeur, un referendum sera organisé « parce que les salariés sont en dernier ressort les meilleurs juges de ce qui est bon ou mauvais pour eux ». Certes, mais le risque du « chantage à l'emploi » ne peut pas être totalement écarté.

Critique du CICE

Enfin, Alain Juppé veut aussi s'attaquer aux seuils sociaux. Il s'engage à supprimer les commissions paritaires régionales, instituées par la loi Rebsamen sur le dialogue social, dont le but et de permettre, en dehors de l'entreprise, un dialogue social pour toutes les PME de moins de dix salariés. Surtout, il suggère également « un allègement massif des contraintes imposées aux entreprises franchissant les seuils des 10 et 50 salariés ». Rappelons que la loi Rebsamen a déjà décidé de geler durant trois ans  les conséquences pour les entreprises du franchissement de ces seuils. Une évaluation sera faite à l'issue de ce délai.

En matière de coût du travail, l'ancien premier ministre juge le mécanisme actuel du Crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) « couteux et relativement inefficace à force d'être complexe »... Pourtant, les organisations patronales reconnaissent que maintenant que les entreprises se sont appropriées le CICE, cet outil est plutôt apprécié.

Alain Juppé propose de remplacer le CICE par une suppression totale des « charges pesant sur le Smic et des allègements complémentaires jusqu'aux environs d'un Smic et demi ». Rappelons qu'actuellement, depuis le 1er janvier 2015, il n'y a plus aucune cotisation patronale de sécurité sociale au niveau du Smic. Restent dues, notamment, les cotisations sur les retraites complémentaires, et l'assurance chômage. En outre, le mécanisme d'Alain Juppé ne viserait que les salaires atteignant environ 1,5 Smic. Alors que le CICE concerne toutes les rémunérations jusqu'à 2,5 Smic.

Certes, il y a donc des convergences sur les questions liées au travail entre Alain Juppé et Nicolas Sarkozy. Mais tout à son impérieuse nécessité de se démarquer de l'ancien chef d'Etat dans la perspective de la primaire, le maire de Bordeaux joue une partition un peu différente.