Les restrictions à la circulation des personnes qui s'imposent depuis mardi 2 mars à la frontière entre la Moselle et l'Allemagne vont mettre les nerfs des frontaliers à rude épreuve. Depuis ce matin, toute personne se rendant depuis la Moselle en territoire allemand doit présenter un test de dépistage négatif au Covid réalisé moins de 48 heures avant le voyage, et effectuer une déclaration électronique d'entrée sur le territoire. "C'est une situation invivable et elle me met en colère", s'emporte Christophe Arend, député (LREM) de Moselle et vice-président de l'assemblée parlementaire franco-allemande.
Ce "serrage de vis" de l'administration allemande était pourtant prévisible. Le 12 février, le ministre de la Santé Olivier Véran a effectué un déplacement médiatisé à Metz, à la rencontre des élus et des autorités sanitaires dans ce département dont les données statistiques sanitaires semblaient échapper à la gouvernance locale. Vendredi dernier, l'Institut Robert Koch, organe du gouvernement fédéral en matière de biomédecine, a classé le territoire de la Moselle parmi les zones à risque.
Dialogue de sourds franco-allemand
Dans le Grand-Est, cette décision a ravivé les mauvais souvenirs du printemps 2020, quand les frontières avec l'Allemagne avaient été fermées pendant plusieurs semaines lors de la première vague de l'épidémie. "Je croyais que c'était réglé, qu'on ne reviendrait plus à une telle situation. Le sujet nous est retombé dessus", déplore aujourd'hui Jean Rottner, président (LR) du Conseil régional du Grand-Est. Lundi soir, les élus locaux des deux côtés de la frontière ont réuni en urgence leur conseil consultatif transfrontalier, en présence (à distance) de Markus Kerber, secrétaire d'Etat au ministère fédéral de l'Intérieur et de Clément Beaune, secrétaire d'Etat français aux affaires européennes. Les échanges rapportés par le côté français relèvent du dialogue de sourds. "Berlin a élaboré un narratif totalement erroné de la situation sanitaire en Moselle", juge Christophe Arend.
Dans les mouvements de travailleurs entre le territoire lorrain et les pays voisins, le poids relatif de l'Allemagne est inférieur à celui du Luxembourg. 100.000 Français occupent un emploi au Grand-Duché, contre 16.000 en Sarre et quelques milliers en Rhénanie-Palatinat. Les emplois frontaliers en Allemagne se concentrent chez des acteurs majeurs de l'industrie : l'aciérie Dillinger Hütte, l'équipementier automobile ZF à Sarrebruck, le constructeur Ford à Sarrelouis. 1.000 jeunes mosellans fréquentent aussi des écoles et des lycées en Allemagne. "On ne sait pas comment ils vont être testés, ni à partir de quel âge ils devront être testés", reconnaît Jean Rottner.
Des frontaliers en colère
"Rares sont les régions à être autant marquées par la vie et le travail transfrontaliers que celle située entre la Sarre et la Moselle. J'ai donc accepté les mesures, à la seule condition qu'il n'y ait pas de nouveaux contrôles à la frontière", a concédé Heiko Maas, ministère fédéral des Affaires étrangères, originaire de la Sarre, après la décision fédérale d'imposer de nouvelles contraintes à ces déplacements locaux. En Moselle, la décision allemande génère la colère. "Tous les travailleurs frontaliers devraient se mettre en arrêt. C'est une situation invivable pour eux", juge une internaute sur la page Facebook du député Christophe Arend, transformée depuis ce week-end en forum où s'expriment les mécontents. De part et d'autre de la frontière, les élus pointent une décision venue de Berlin. "Les échanges en conseil consultatif transfrontalier ont été rudes. Les Allemands eux-mêmes, élus de la Sarre et de Rhénanie-Palatinat, se plaignent de la méthode employée par Berlin", confirme Jean Rottner. Certains élus pointent aussi, à demi-mot, le contexte électoral allemand avec des élections régionales à venir le 14 mars et les élections fédérales législatives en septembre.
Les retombées économiques des nouvelles mesures allemandes de lutte contre l'épidémie ne sont pas encore chiffrées. "La conséquence, c'est du chômage partiel à venir chez les industriels qui emploient des frontaliers", anticipe Christophe Arend. Cette perspective ravive d'autres craintes, liées à la double imposition de certains travailleurs frontaliers. "La double imposition des travailleurs est interdite", rappelle Christophe Arend. "Mais depuis 2015, l'administration allemande a fait basculer les travailleurs placés au chômage partiel dans une autre catégorie fiscale. Elle effectue un prélèvement illégal sur leurs indemnités. La France continue de prélever leur impôt sur le revenu. Résultat, avec 64 % d'indemnités de chômage partiel et un double prélèvement, ils perdent la moitié de leurs revenus", explique-t-il.
L'inconnue des contrôles à la frontière
En Moselle, l'administration dénombre 37 points de passage "officiels" vers la Sarre. L'Allemagne n'a pas instauré de contrôles systématiques aux frontières. Mais des contrôles effectués un peu plus loin ont déjà entraîné des bouchons. Des moyens fédéraux sont attendus en renfort pour effectuer ces contrôles, comme au printemps 2020. "La France dit que c'est une décision allemande, que c'est aux Allemands de tester", rappelle Jean Rottner. "Mais les laboratoires et les pharmacies en Moselle sont totalement dépassés parce que tout le monde veut son test et son certificat pour aller travailler. Nous allons voir si nous pouvons aider à renforcer le dispositif", propose le président du Grand-Est. Un centre de tests bi-national est opérationnel depuis le début de cette semaine à la frontière entre Forbach et Sarrebruck, sur le lieu-dit Goldene Bremm, l'un des principaux points de passage des travailleurs frontaliers. Les autorités sarroises y tablent sur 1.600 tests quotidiens.