Trois questions pour comprendre le déficit commercial record de la France

Par latribune.fr  |   |  1003  mots
(Crédits : PHILIPPE WOJAZER)
Face à la flambée des prix de l'énergie qui gonfle le montant de ses importations, les exportations, moins vigoureuses, contribuent à creuser le déficit commercial français qui atteint 11,5 milliards d'euros en mars. La France est-elle seule dans ce cas ? Comment inverser la tendance ? La Tribune revient sur les principales problématiques de ce déficit commercial record.

C'est un record dont la France se serait bien passée : le déficit commercial des biens français a atteint en mars 11,5 milliards d'euros. Il se situe également à un record absolu en cumul sur douze mois glissants, à 100 milliards d'euros. Un résultat qui résulte non seulement de la flambée des prix des importations d'énergies provoquée par la guerre en Ukraine, comme l'ont indiqué les Douanes ce lundi, mais également de la faiblesse des exportations françaises au mois de mars. En ce qui concerne la balance des paiements, qui inclut les échanges de services, le déficit des transactions courantes est ressorti à 3,2 milliards d'euros en janvier, contre 2,3 milliards le mois précédent, indique la Banque de France.

Ce n'est pas la première fois que la France franchit la barre des 10 milliards d'euros de déficit commercial. Ce palier avait en effet déjà été atteint, avec 10,3 milliards d'euros, en février dernier (contre 7,95 milliards le mois précédent). Sur l'année, il s'établissait à "84,7 milliards d'euros en 2021, son plus bas historique", avait indiqué le ministre en charge des échanges commerciaux et de l'attractivité, Franck Riester. Le précédent record datait de 2011, à 75 milliards d'euros, pendant la crise de la zone euro qui avait suivi la crise financière de 2008.

Pourquoi une telle dégradation ?

Comment s'explique une telle conjoncture ? L'un des principaux facteurs réside dans la hausse des montants des produits importés par la France par rapport aux marchandises exportées, soit 57,4 milliards d'euros contre 45,9 milliards d'euros en mars, selon les Douanes. "La hausse des montants échangés est portée par l'augmentation des prix", expliquent-elles, précisant que les prix à l'importation ont augmenté de 5% alors qu'ils n'ont pris que 2% à l'exportation.

Au rang des marchandises les plus coûteuses : les hydrocarbures pour lesquels la France est largement dépendante. Le prix du baril de pétrole a en effet connu une flambée vertigineuse ces derniers mois dépassant les 100 dollars. En mars dernier, le Brent dépassait 110 dollars le baril tandis que le WTI atteignait 109,60 dollars, un record depuis 2013. Si la hausse des prix était d'abord à attribuer à la reprise de l'activité notamment celle du transport aérien et routier, c'est surtout la guerre en Ukraine qui a fait grimper le coût de l'or noir. Certaines décisions internationales ont, en effet, lourdement pesé sur les prix à l'instar des sanctions économiques américaines sur le pétrole russe. D'autant que, l'organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) se montre toujours réticente à ouvrir les vannes et augmenter considérablement la production de barils par jour, une des solutions pour limiter la hausse des prix.

L'électricité et le gaz ont aussi vu leurs prix exploser. Depuis un an, leur prix s'est envolé en raison de la vigueur de la reprise de l'économie mondiale, notamment en Chine. Comme pour le pétrole, les sanctions économiques prises contre la Russie ont accentué la hausse des prix de l'énergie.

Face à un coût plus élevé des importations, les exportations françaises se sont révélées moins vigoureuses en mars, creusant le déficit commercial, ajoutent les Douanes. Elles connaissaient pourtant une hausse continue depuis début 2021. Là encore, l'une des pistes d'explication est à chercher dans le conflit en Ukraine, indique le cabinet Asteres. Les exportations européennes vers l'Ukraine, la Russie et la Biélorussie ont en effet chuté. Les nouveaux confinements en Chine qui maintiennent la stratégie  zéro Covid de Pékin pèsent également sur les échanges, précise Asteres.

La France est-elle la seule dans ce cas ?

Ailleurs en Europe, certains pays connaissent eux aussi un déficit commercial en hausse. Même l'Allemagne, a vu ses exportations diminuer en mars avec une chute de 3,3% par rapport au mois précédent, provoquée majoritairement par l'effondrement des exportations avec la Russie. Mais, à l'inverse de la France, Berlin enregistre néanmoins une progression (+8,1%) sur un an, a indiqué début mai l'office fédéral des statistiques Destatis. Du côté du montant des importations allemandes, il est, comme en France, en hausse de 3,4% par rapport à février et de 20,3% sur un an, atteignant 117,4 milliards d'euros.

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En Italie, le déficit commercial a atteint 5,05 milliards d'euros sur un an, selon les chiffres de l'Institut national des statistiques (Istat) communiqués en mars dernier. Le pays avait pourtant affiché un excédent commercial de 1,58 milliard d'euros en janvier 2021.

À l'échelle européenne, la zone euro a, elle, enregistré un déficit des échanges de biens avec le reste du monde de 7,6 milliards d'euros en février 2022, contre un excédent de 23,6 milliards d'euros en février 2021, selon les premières estimations données par l'office statistique de l'UE, Eurostat.

Comment inverser la tendance ?

Cette nette dégradation semble s'être installée durablement dans l'avenir français si l'on en croit les propos de Bruno Le Maire en janvier. Selon le ministre de l'Économie, il faudra dix ans à la France pour retrouver l'équilibre entre ses exportations et ses importations. Pessimiste, le ministre avait néanmoins avancé des explications à cette tendance française : "La faiblesse de notre commerce extérieur est le reflet de la faiblesse de notre économie intérieure", avait-il expliqué. Pour Bruno Le Maire, la solution est donc "la reconquête industrielle""Cela sera long, difficile, ça demandera des décisions courageuses mais c'est la condition de la prospérité nationale", avait-il justifié.

D'autant que, dans quelques secteurs, la France a déjà réussi le pari de la réindustrialisation. "En 2021, la France a importé pour 900 millions d'euros de masques, contre 6 milliards d'euros en 2020: la politique de réindustrialisation et de chaînes de production de masques a payé", s'est ainsi félicité Franck Riester en février soulignant la bonne santé d'autres secteurs comme les produits pharmaceutiques, les produits de luxe, l'agroalimentaire, les produits textiles.