"La balance commerciale n'a cessé de se dégrader depuis 20 ans". Lors d'une réunion avec des journalistes à la fin de l'été 2021 à Bercy, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire broie du noir. "L'économie française ne serait plus agricole, ni industrielle. Je préfère Karl Marx à Michel Houellebecq. Il faut retrouver de la puissance industrielle. C'est l'angle mort de toutes les politiques économiques française", a-t-il regretté. A l'heure des bilans du quinquennat Macron, le commerce extérieur reste un point noir de l'économie tricolore.
Et les derniers chiffres de la croissance du produit intérieur brut (PIB) en 2021 plus élevée qu'anticipé par l'Insee à 7% au lieu de 6,7% n'y changent rien. La balance commerciale reste largement déficitaire.
"L'année 2021 a été moins positive pour la balance commerciale (que la croissance). Les échanges extérieurs ont augmenté beaucoup moins vite que la croissance du PIB. Certains secteurs comme l'aéronautique ou le tourisme ont encore été affectés. L'orientation de l'économie française est moins dirigée vers des secteurs porteurs. La croissance en 2021 a surtout été portée par la consommation extérieure", a résumé l'économiste d'ING en charge de la France, Charlotte de Montpellier, interrogée par La Tribune.
Si l'exécutif s'est empressé de se féliciter du pic de croissance en 2021 ce vendredi, il reste beaucoup plus silencieux sur le déficit commercial.
Le commerce extérieur reste bien en deça de son niveau d'avant crise
Le niveau des exportations et des importations demeurent bien inférieur au niveau enregistré avant la pandémie. "En moyenne annuelle, les exportations et les importations demeurent en 2021 à un niveau particulièrement dégradé, respectivement inférieures de 8,5 % et 5,5 % à leur niveau moyen de 2019", soulignent les statisticiens. Il faut rappeler que la fermeture des frontières et des ports de commerce au printemps 2020 a profondément chamboulé le commerce mondial.
En seulement quelques semaines, les chaînes logistiques sur la planète ont été mises à rude épreuve pour un grand nombre de pays très dépendants des pays producteurs de médicaments, de masques ou de matériel pour les hôpitaux. A ces pénuries s'est ajoutée la crise des semi-conducteurs et d'autres composants électroniques utilisés dans un grand nombre d'industries.
Si la contribution du commerce extérieur tricolore est légèrement positive en 2021 de 0,2 point, les entreprises exportatrices sont loin d'être le moteur de l'activité. "La contribution positive du commerce extérieur en 2021 peut s'expliquer car au pire de la crise en 2020 les exportations avaient chuté beaucoup plus fortement que les importations. Au moment de la reprise, les exportations ont fortement rebondi par un effet mécanique", rappelle Charlotte de Montpellier. En outre, l'Insee a révisé à la baisse la contribution du commerce extérieur à la croissance en 2021 de 0,2 point par rapport à la note de conjoncture de décembre.
La dépendance énergétique et la spécialisation peuvent fragiliser le commerce extérieur
Compétitivité-prix, compétitivité hors prix, spécialisation sectorielle et géographique, politique économique, mondialisation...de nombreux facteurs structurels et conjoncturels peuvent expliquer la déroute du commerce extérieur tricolore. La fièvre des prix de l'énergie en 2021 liée notamment au fort rebond de l'économie mondiale a renchéri le coût des importations dans de nombreux secteurs. "La hausse de prix de l'énergie pèsent sur l'ensemble de l'Europe. La France et l'Europe sont dépendantes du reste du monde. Le renchérissement des prix de l'énergie peut donc avoir un impact sur les échanges extérieurs. Cela pèse sur l'économie tricolore", ajoute Charlotte de Montpellier. Les importations de gaz et de pétrole en France creusent mécaniquement le déficit commercial de l'économie tricolore. Et la situation ne devrait pas s'arranger avec les tensions aux portes de l'Europe entre l'Ukraine et la Russie.
A cela s'ajoute la forte spécialisation de l'appareil exportateur français sur le matériel aéronautique. La propagation de la pandémie sur toute la planète depuis deux ans a mis un violent coup d'arrêt aux exportations de la filière aéronautique française. Pourtant, le poids de cette filière dans la balance commerciale française n'a cessé de s'envoler. En effet, l'aéronautique est avec quelques autres grands secteurs comme la chimie, les parfums et cosmétiques, les produits agricoles et agroalimentaires ainsi que la pharmacie un secteur largement excédentaire en 2019. Résultat, l'effondrement de 2020 des exportations de matériel aéronautique a provoqué un véritable séisme sur toute la filière.
Enfin, la balance commerciale hexagonale est devenue négative dans le milieu des années 2000 en raison notamment des pertes de compétitivité à l'égard de l'Allemagne qui a comprimé les salaires, "mais aussi sous l'effet d'une spécialisation géographique qui a joué notamment au détriment des exportations, avec notamment l'entrée de la Chine dans l'organisation mondiale du commerce", soulignent les économistes de l'OFCE Hervé Péléraux et Mathieu Plane dans l'ouvrage "L'économie française 2021" (éditions La Découverte).
Un déficit chronique depuis près de 20 ans
La dégradation de la balance commerciale est loin d'être un phénomène récent. La commission d'enquête parlementaire qui a récemment interrogé plus de 135 personnes et dévoilé un volumineux rapport de plus de 450 pages soulignent que "la désindustrialisation et la balance commerciale sont deux sujets intimement liés". Le constat est dorénavant bien connu, la part de l'industrie dans le produit intérieur brut tricolore s'effondre depuis des décennies. Et cette tendance de long terme est loin de concerner seulement la France. Hormis quelques exceptions comme l'Allemagne, la plupart des grands pays européens sont également concernés par cette chute abyssale.
Des perspectives assombries en 2022
L'économie française entame 2022 dans un épais brouillard. L'éruption du variant Omicron dans les chaînes de contamination partout en Europe, les records de contamination quotidiens, les difficultés d'approvisionnement et les poussées inflationnistes plombent le moral des chefs d'entreprise rappelle une récente enquête menée par OpinionWay pour La Tribune et le réseau des chambres de commerce et d'industrie (CCI).
A cela s'ajoute le coup de frein de la croissance mondiale attendue en 2022. Le ralentissement plus fort qu'anticipé de la croissance en Chine et aux Etats-Unis pourraient avoir des répercussions sur les échanges mondiaux rappelle le Fonds monétaire international dans la mise à jour de ses dernières perspectives. "Sur les marchés de l'énergie, les risques ne sont pas à la baisse. La situation géopolitique en Ukraine et en Russie pèse déjà. L'économie française est en phase d'atterrissage. La demande se modère en Chine. Après cette reprise, il y a un ralentissement de l'activité à prévoir au niveau global", résume Charlotte de Montpellier. "On peut s'attendre à un ralentissement du commerce extérieur en 2022",complète-t-elle. A quelques semaines de la présidentielle, la publication des derniers chiffres du commerce extérieur en 2021 pourrait bien assombrir le bilan du gouvernement.