
"Je ne suis pas complètement satisfait de la situation économique française. Nous avons bâti de bonnes bases avec les réformes de 2017 sur le Code du travail, la loi Pacte, mais il reste des chantiers importants. La balance extérieure n'a cessé de se dégrader depuis 20 ans", avait déjà prévenu Bruno Le Maire lors d'une réunion avec des journalistes à la fin du mois d'août dernier.
Alors que la croissance économique de 2021 a été revue récemment à la hausse (+7%) -sans toutefois rattraper le niveau dee 2019- et que les créations d'emplois (+648.200) ont battu des sommets l'année dernière, ce creusement abyssal de la balance commerciale assombrit le tableau pour l'exécutif à seulement quelques semaines du premier tour de l'élection présidentielle.
Après plus de deux années de pandémie, les indicateurs du commerce extérieur sont toujours au rouge. Lors d'un point presse ce mardi, le ministre en charge des échanges commerciaux et de l'attractivité, Franck Riester, a dévoilé les chiffres du pire déficit commercial de l'histoire de l'économie tricolore.
« Le déficit commercial a atteint 84,7 milliards d'euros en 2021, son plus bas historique », a déclaré le membre de l'exécutif devant les journalistes.
Le précédent record datait de 2011, à 75 milliards d'euros, au lendemain de la grave crise de 2008.
En revanche, la contribution du commerce extérieur au produit intérieur brut (PIB) est légèrement positive, à 0,2 point. S'agissant des perspectives en 2022, "l'OMC [Organisation mondiale du commerce] table sur un léger ralentissement des échanges mondiaux. Nous avons bon espoir que le commerce extérieur contribue positivement à la croissance", a déclaré Franck Riester sans avancer de chiffres précis. Déjà en 2020, le commerce extérieur tricolore avait enregistré une chute spectaculaire dans le sillage de la fermeture des frontières et des mesures drastiques de confinement dans un grand nombre de pays.
La fièvre des prix plombe le déficit
Le premier facteur qui explique une telle chute est la hausse plus rapide des importations (+18,8%, 585 milliards d'euros) que celle des exportations (17%, 500 milliards). La flambée des prix de l'énergie et des matières premières l'année dernière dans le contexte du rebond économique a considérablement alourdi la facture énergétique et fait grimper le montant des importations en valeur. "Les prix de l'énergie, qui ont grimpé toute l'année, ont grevé le résultat de 2021", a expliqué Julien Pouget, chef du département de la conjoncture à l'Insee, lors d'un point presse. Hors énergie et matériel militaire, le déficit s'établit à 8,4 milliards d'euros, contre 20 milliards au total.
La persistance des pressions inflationnistes et les vives tensions géopolitiques en Ukraine "pourraient continuer de peser sur la balance commerciale" de l'économie tricolore à court terme, a rappelé le ministre interrogé par La Tribune.
Dépendance de la France aux énergies fossiles
Cette situation rappelle que, si le gouvernement ne cesse de mettre en avant ses efforts en faveur de la décarbonation du modèle économique hexagonal, la France reste extrêmement dépendante des énergies fossiles provenant de l'étranger.
Dans le détail, les exportations de matériel aéronautique et d'automobiles restent bien en deçà de leur niveau d'avant-crise. Sur l'automobile, la pénurie de semi-conducteurs et les difficultés d'approvisionnement ont plombé les exportations des constructeurs hexagonaux. "L'aéronautique est le secteur accusant la plus faible dynamique de rattrapage, son solde demeurant nettement inférieur à son niveau record de 2019 (30,8 milliards d'euros)", explique l'exécutif.
Succès de la politique de réindustrialisation pour les masques
En revanche, certains secteurs ont retrouvé des couleurs. "Certains biens sont en excédent comme les produits pharmaceutiques, les produits de luxe, l'agroalimentaire, les produits textiles. En 2021, la France a importé pour 900 millions d'euros de masques, contre 6 milliards d'euros en 2020: la politique de réindustrialisation et de chaînes de production de masques a payé", a déclaré Franck Riester. En 2020, l'absence de masques de protection sur le sol tricolore avait jeté une lumière crue sur la dépendance de la France aux pays asiatiques en matière de santé.
La balance des services retrouve des couleurs, en partie
Concernant les services, l'économie française affiche de meilleurs résultats. Selon les documents dévoilés par le ministre, les échanges de services ont connu un excédent record de 36,2 milliards d'euros. Ce sommet s'explique notamment par l'excédent dans les services de transport à hauteur de 14,2 milliards d'euros. "Il y a un net rebond du tourisme en seconde partie de l'année", a indiqué Franck Riester.
En revanche, la pandémie et les mesures prophylactiques n'ont pas permis au tourisme de retrouver son niveau d'avant-crise. Les exportations de services de voyages sont encore inférieures de 62% par rapport à 2019. L'économie française a traversé plusieurs vagues de contaminations l'année dernière, limitant les échanges touristiques internationaux. Malgré l'accélération de la vaccination en 2021, la pandémie risque de laisser de profonds stigmates pendant encore des années sur le tourisme en première ligne depuis le printemps 2020.
Exportations: la France continue de perdre des parts de marché
Au final, la France a perdu des parts de marché à l'étranger. Selon les décomptes des douanes, l'appareil exportateur tricolore a perdu 0,3% de parts de marché dans les exportations mondiales depuis 2020.
Et ces parts de marché dans les exportations mondiales n'ont cessé de s'effondrer depuis 30 ans, passant d'environ 6,5% pour les biens et services en 1990 à 3,4% en 2021. Et le plongeon est encore plus impressionnant si l'on regarde uniquement les biens, c'est-à-dire les produits manufacturés: ils passent d'environ 6,3% à quelque 2,5% en 2021 sur la même période.
Alors que le mot réindustrialisation est sur la bouche de la plupart des candidats à la présidentielle, la pente pourrait bien être difficile à remonter pour le prochain gouvernement.