Après l'embargo pétrolier européen, l'Opep face à l'équation russe

Le retrait croissant d'une partie de l'offre russe de pétrole sur le marché international du pétrole va confronter les pays membres du partenariat de l'Opep+ à plusieurs équations. Comment compenser le retrait de l'offre russe dans le cadre de l'accord de partenariat qui soumet les pays à des quotas de production? Quel sera le statut de la Russie, un des deux poids lourds avec l'Arabie Saoudite, au sein de l'Opep+ si elle n'arrive plus à remplir ses obligations en termes de production?
Robert Jules
Ce mercredi 1er juin à Riyad, le ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov a rencontré Nayef bin Falah Al-Hajraf, secrétaire général du Conseil de coopération du Golfe (CCG) qui regroupe six monarchies du golfe Persique, à la veille d'une réunion de l'Opep+.
Ce mercredi 1er juin à Riyad, le ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov a rencontré Nayef bin Falah Al-Hajraf, secrétaire général du Conseil de coopération du Golfe (CCG) qui regroupe six monarchies du golfe Persique, à la veille d'une réunion de l'Opep+. (Crédits : Reuters)

La réunion de l'Opep+ (partenariat entre les 13 membres de l'Opep et 10 autres pays exportateurs dont la Russie) tient ce jeudi sa réunion mensuelle en visioconférence. Elle prend une dimension particulière après l'accord signé lundi soir par les pays de l'Union européenne (UE) pour imposer un embargo immédiat sur deux tiers des importations de pétrole et produits raffinés russes, qui sera porté à 90% d'ici la fin de l'année.

Si les partenaires de l'Opep+ devraient approuver une nouvelle augmentation de leur offre, de 430.000 barils par jour (b/j), dans le cadre de leur stratégie de retour au niveau d'avant la pandémie du Covid-19, ils pourraient également évoquer le cas de la Russie, comme l'ont confié certains délégués des pays membres du cartel, cités par le Wall Street Journal (WSJ). "Nous sommes tous d'accord sur le fait que la Russie est pour le moment techniquement hors d'une participation effective à la Déclaration de coopération [l'accord qui régit le partenariat de l'Opep+, Ndlr]", confiait au WSJ un délégué d'un pays membre de l'Opep.

Réduction des débouchés pour la Russie

Le troisième producteur mondial, derrière l'Arabie Saoudite et les Etats-Unis, voit en effet ses débouchés se réduire avec l'embargo pétrolier européen (42% de ses exportations en avril) qui s'ajoute à ceux des Etats-Unis et du Royaume-Uni.

En prélude à la réunion de demain, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, s'est d'ailleurs rendu ce mercredi dans plusieurs pays du Golfe dont l'Arabie Saoudite pour s'assurer de la cohésion du partenariat, les pays exportateurs n'ayant pas à ce jour condamné l'invasion russe de l'Ukraine.

Pour autant, la difficulté à trouver de nouveaux clients va obliger la Russie à réduire ses extractions de brut. La tendance est déjà amorcée. En mars, son offre était de 10 millions de barils par jour (mb/j). En avril, elle a chuté à 9,1 mbj, soit un peu moins de 10%. Avant l'embargo européen, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) prédisait même une chute de 2 mbj en juin.

Un niveau qui s'éloigne de son quota officiel, fixé à 10,44 mbj en avril. De facto, cette incapacité croissante à honorer ses objectifs remet en cause toute l'architecture du partenariat. D'autant qu'il n'est pas le seul producteur dans ce cas. Pour les membres de l'Opep soumis à quotas (Iran, Venezuela et Libye étant exemptés), la production s'élevait à 24,47 mbj en avril pour un quota de 25,32 mbj. C'est également le cas pour les non-Opep, dont l'offre s'élevait à 14,45 mbj pour un quota de 16,38 mbj. Finalement, malgré ses engagements, l'Opep+ a manqué son objectif de plus de 2 millions de barils en avril.

Record historique des prix de l'essence aux Etats-Unis

C'est d'ailleurs un des griefs des pays consommateurs, notamment du premier d'entre eux, les Etats-Unis. Cette semaine, les prix de l'essence (4,671 dollars le gallon en moyenne) et du diesel y ont atteint des pics historiques, qui alimentent l'inflation. La colère des consommateurs pourrait se traduire dans les urnes lors des élections de mi-mandat en novembre infligeant un revers à l'hôte de la Maison Blanche, et la perte de sa fragile majorité démocrate au Congrès.

Car l'augmentation du prix de l'énergie se propage à travers toute l'économie. "Une hausse marquée des prix du pétrole contribuera à un niveau d'inflation plus élevé. En effet, les coûts de transport augmenteront, ce qui entraînera une hausse des prix de nombreux biens. Il s'agira d'une inflation poussée par des coûts, qui est très différente de l'inflation causée par l'augmentation de la demande globale et d'une croissance excessive. Historiquement, la hausse du prix du brut engendre une augmentation des prix à la consommation", rappelle John Plassard, chez Mirabeau Equity Research.

Ce mercredi, le prix du baril de Brent, référence européenne, évoluait autour de 118 dollars, celui du WTI autour de 117 dollars. En un an, ils ont respectivement augmenté de 65% et 70%. Des cours élevés malgré la mise sur le marché depuis avril de barils puisés dans les stocks stratégiques des pays de l'OCDE. Au total, le volume s'élèvera à 240 millions dont 120 millions pour les seuls Etats-Unis.

"L'Opep est non seulement trop lente à augmenter ses niveaux de production cibles, mais elle produit également moins que son quota. C'est un choix politique qui ne changera pas", juge Nitesh Shaj, expert des marchés de matières premières chez WisdomTree.

D'autant que rares sont les pays qui peuvent augmenter rapidement leurs capacités. Selon l'AIE, l'Opep dispose de 5,7 mbj de capacités résiduelles, principalement en Arabie Saoudite, aux Emirats Arabes Unis, en Iran (à condition que les sanctions soient levées, ce qui dépend d'un accord sur le nucléaire) et, dans une moindre mesure, en Irak. En revanche, chez les membres non-Opep du partenariat, elles sont de 400.000 b/j (hors Russie) au maximum. "Le sous-investissement dans de nombreuses industries d'extraction de matières premières est susceptible de limiter les disponibilités d'approvisionnement", rappelle Nitesh Shaj.

En réalité, le partenariat Opep+ fonctionne comme un cartel. Il permet à ses membres d'exercer une plus grande influence sur le marché pétrolier, en pesant un peu moins de la moitié de l'offre mondiale, en s'assurant d'un niveau de prix qui permet à tous ces pays de boucler leurs budgets très dépendants des revenus des hydrocarbures.

Les importations européennes de brut américain

Pour les pays de l'Opep, notamment ceux du golfe Persique, mettre fin au partenariat comporte également un risque. "Le danger de laisser la Russie sans quota est que, quand nous devrons à l'avenir réduire la production, la Russie résistera", pointe un délégué d'un pays du Golfe, cité par le WSJ.

En attendant, le marché se réorganise, notamment au profit des Etats-Unis. "Une large partie des réserves stratégiques de pétrole des Etats-Unis est déjà partie vers l'Europe", signale le cabinet d'analyses du transport maritime American Shipper. Ainsi, en mai, les importations européennes de pétrole en provenance des Etats-Unis se sont élevées à 1,27 mb/j, "un record, représentant 40% des barils importés des Etats-Unis, livrés aux Pays-Bas, en Espagne et en Italie. Ce qui s'est fait au détriment des livraisons à l'Inde, le Canada et la Corée du sud", précise le cabinet.

Robert Jules
Commentaires 2
à écrit le 02/06/2022 à 13:55
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L'OPEP gère la pénurie en maintenant les prix élevés , sans oublier les taxes dont l'Europe est championne ....sans la ristourne de 15cents, le GO serait à plus de €2,- le litre et le sp95 serait à presque €2.30.....et ce sont des prix grandes surfac...

à écrit le 02/06/2022 à 10:22
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Poutine n'est pas éternel , même les dictateurs quittent le pouvoir. Le marché pétrolier est volatil , rien n'est écrit dans le marbre . A suivre ...

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