Emploi des seniors : la France fait moins bien que ses voisins européens

Par Marius Bocquet  |   |  863  mots
Le taux d'emploi des 55-64 ans en France s'élève à 58,4% en 2023, selon les chiffres d'Eurostat. (photo d'illustration) (Crédits : Reuters)
Syndicats et patronat n'ont pas réussi à trouver de compromis pour faciliter l'emploi des seniors ce mercredi 10 avril. La France, qui s'est fixée un objectif d'un taux d'emploi de 65% « à l'horizon 2030 » pour les 60-64 ans, est à la traîne sur la plupart de ses voisins européens.

L'emploi des seniors français est à la traîne par rapport à celui de ses voisins. Selon les chiffres d'Eurostat, actualisés en mars, les Français âgés de 55-64 ans ont enregistré un taux d'emploi de 58,4% en 2023, contre en moyenne 63,9% dans l'Union européenne (UE) et 64,1% dans la zone euro. Sur les 31 pays européens répertoriés par l'office statistique de l'UE, la France se range à la 20e place dans ce domaine.

Elle est notamment devancée par l'Allemagne (74,7%), l'Espagne (59,5%), les Pays-Bas (75%) et l'Irlande (67,5%). Les pays nordiques affichent les meilleurs taux d'emploi des seniors : l'Islande arrive en tête avec 81,2%, suivie de la Suède (78,1%), l'Estonie (76%), le Danemark (74,2%), la Norvège (73,8%), la Finlande (71,7%), la Lettonie (70,9%) et la Lituanie (69,1%). La Bulgarie et la Hongrie enregistrent respectivement 69,5% et 69,1%.

Selon Bruno Coquet, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), cet écart avec les autres pays s'explique par des « stéréotypes plus marqués en France qu'ailleurs » vis-à-vis des seniors, « qui font qu'ils sont discriminés du point de vue de l'emploi ». L'économiste explique que lorsque « leur carrière plafonne, à un moment donné, les seniors sont licenciés », et qu'ils « sont aussi discriminés à l'embauche ».

Une différence de politiques publiques

En France, « les politiques qui auraient dû changer cette image négative des seniors au travail n'ont pas été mises en œuvre, donc les stéréotypes perdurent », poursuit Bruno Coquet. Le spécialiste du marché du travail souligne qu'à l'inverse, « tous les pays qui ont réussi à augmenter le taux d'emploi des seniors, comme le Danemark, la Finlande et les Pays-Bas ont très tôt mis en place des politiques de lutte contre ces stéréotypes ».

Au Danemark par exemple, l'âge de départ à la retraite est indexé sur l'espérance de vie. Actuellement fixé à 67 ans, il atteindra 69 ans en 2035 et 70 ans en 2040. Pour lutter contre les discriminations vis-à-vis des travailleurs seniors, le pays scandinave interdit par ailleurs de mentionner son âge sur le CV à l'embauche.

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Annie Jolivet, économiste au Centre d'études de l'emploi et du travail (CEET) du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), explique le fort taux d'emploi des seniors en Suède comparé à la France par « des réformes des retraites ont eu lieu plus précocement et une incitation plus précoce à travailler plus tard ». Le pays scandinave dispose par ailleurs d'une « règle en droit du travail qui limite les licenciements des plus salariés les plus anciens », aux dépens des « derniers arrivés », ajoute-t-elle.

Ce principe porte un nom : « Last in, first out ». « La discrimination vis-à-vis des travailleurs âgés ou salariés âgés existe dans la plupart des pays », affirme Annie Jolivet. Ce qui diffère, ce sont les mesures pour combattre ces discriminations, explique l'économiste. « Il y a des pays, comme l'Australie, où la législation anti-discrimination est plus forte ou plus mobilisée qu'en France », où l'emploi des seniors est « un thème qui est peu discuté », selon elle.

« L'idée de pouvoir contester une mise à la retraite, ou la fin des CDI senior qui existent, n'est pas très présente en France », observe par exemple Annie Jolivet, qui souligne qu'il y a « très peu de sollicitations du défenseur des droits sur cette question-là ». L'économiste cite aussi comme frein l'idée reçue selon laquelle « les seniors sur le marché du travail ne seraient pas partants pour réduire leurs prétentions salariales ».

La santé des seniors français en question

La spécialiste des politiques publiques en faveur de l'emploi des seniors ajoute que le taux d'emploi des seniors dépend aussi de la conjoncture économique. « Dans les pays où il y a eu un chômage massif moins durable et des rebonds de création d'emploi plus forts, comme la Suède, le chômage des seniors est moins durable et il y a plus de retour vers l'emploi ».

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Autre facteur : la santé. « C'est un vrai sujet qui explique que le taux d'emploi des seniors français est faible », affirme Bruno Coquet. « Les enquêtes de la Fondation de Dublin montrent que la France est toujours mal classée en termes de conditions de travail et de capacité à exercer son métier longtemps », ajoute l'économiste, précisant que les structures de production ne sont pas toujours comparables entre les pays.

Le gouvernement français a fixé l'objectif d'un taux d'emploi de 65% « à l'horizon 2030 » pour les 60-64 ans (contre 36,2% en 2022). Les syndicats ont dressé dans la nuit de mardi 9 à mercredi 10 avril un constat d'échec à l'issue des négociations sur l'emploi des seniors, compromettant la validation par le gouvernement de la convention d'assurance chômage négociée à l'automne. Le texte final soumis à la signature par les organisations patronales ne crée « aucun droit nouveau pour les salariés », a déclaré le négociateur de la CFDT Yvan Ricordeau, à l'issue des pourparlers. Un constat partagé par les quatre autres syndicats.