[Article publié le vendredi 22 mars 2024 à 06h00 et mis à jour le mercredi 27 mars 2024 à 11h37] Durcir de nouveau les conditions du régime d'assurance chômage est-il une bonne idée pour favoriser le retour à l'emploi ? Gabriel Attal a tenu ce mercredi matin un séminaire gouvernemental sur le thème du travail à Matignon, avec l'assurance chômage dans le viseur. Le Premier ministre s'exprimera ce mercredi au 20h sur TF1 pour dévoiler les « tout derniers arbitrages du gouvernement sur le travail », selon la chaîne.
Parmi les pistes envisagées par l'exécutif figure une nouvelle réforme de l'assurance chômage, après celles controversées de 2019 et de 2023. Gabriel Attal entend « rouvrir » ce chantier, en défendant « un modèle social qui incite davantage à l'activité ». Il s'agit notamment de réduire la durée d'indemnisation des chômeurs.
« Nous devons réduire la durée d'indemnisation chômage pour qu'il y ait une incitation plus forte à revenir à l'emploi », avait récemment appuyé le ministre de l'Économie Bruno Le Maire. Selon lui, la « générosité » française en matière d'assurance-chômage « se paie au prix fort : un taux de chômage encore au-dessus de celui de nos principaux partenaires économiques ».
Les économistes sont pourtant perplexes à l'idée d'un nouveau tour de vis de l'assurance chômage. Et pour cause, aucune étude n'a encore permis de démontrer l'efficacité des précédentes réformes menées en ce sens par le gouvernement. Seul un rapport intermédiaire a été publié fin février par le comité d'évaluation de la réforme de l'assurance chômage initiée en 2019, mis en place par la Dares. Mais il ne permet pas d'évaluer ses effets et ne contient que « quelques premiers résultats qu'il faut prendre avec des pincettes », met en garde Clément Carbonnier, membre du comité.
Une dégradation de la qualité des emplois acceptés
Le professeur d'économie à l'Université Paris 8 observe qu'après la réforme de 2019, « il y a eu un léger effet sur la reprise d'emploi, mais avec des contrats plus courts et moins bien rémunérés ». Interrogé sur la perspective d'une nouvelle réforme, Clément Carbonnier s'attend à « des effets négatifs sur les conditions de vie et les salaires des chômeurs et des non-chômeurs ».
« Plus on serre la vis sur les règles du chômage, plus on met de pression sur les salaires de tous les travailleurs », explique-t-il, ces réformes « ayant diminué le pouvoir de négociation des travailleurs ».
L'une des conséquences d'un durcissement des règles est que « les demandeurs d'emploi qui n'ont pas suffisamment de ressources pour continuer à effectuer une recherche de qualité vont accepter un emploi qui correspond moins à leurs capacités et leurs attentes, souligne l'économiste Yannick L'Horty. Ils vont occuper ces emplois de façon moins durable. Cela peut dégrader la qualité des emplois occupés par les demandeurs. Ce n'est pas une solution de long-terme pour lutter contre le chômage. »
Nathalie Chusseau, professeure d'économie à l'Université de Lille, rappelle que « dans la théorie économique classique, le fait d'avoir des indemnités chômage relativement élevées ou sur une période relativement longue peut avoir un effet désincitatif sur certains demandeurs d'emplois ». Cette théorie ne s'applique toutefois que sur une partie des demandeurs d'emplois, nuance l'économiste.
« Certains rencontrent des freins (santé, mobilité, qualification) et sont très éloignés de l'emploi », rappelle-t-elle.
« Aucun impact sur le retour à l'emploi »
L'économiste Bruno Coquet précise de son côté que seuls près de « 40% de chômeurs sont indemnisés par les règles de l'assurance chômage, ce qui signifie que 60% ne le sont pas. Si le gouvernement durcit les règles de l'assurance chômage, ces 60% ne vont pas reprendre plus d'emplois qu'ils n'en reprenaient hier », affirme-t-il.
« Est-ce que réduire les droits à l'assurance-chômage crée des emplois ? La réponse est non », assure le spécialiste du marché de l'emploi et de l'assurance-chômage.
Selon Éric Heyer, les pistes du gouvernement sur l'assurance chômage ne répondent pas à la conjoncture actuelle. « Dans un moment où la conjoncture est dynamique, où les entreprises recrutent en net et qu'il y a beaucoup de difficultés de recrutement, durcir peut avoir une incidence sur le retour à l'emploi. Mais dans un contexte de retournement conjoncturel où les entreprises déclarent qu'elles vont détruire des emplois, cela ne va pas permettre de faire baisser le chômage », affirme l'économiste.
« À moins que le gouvernement estime qu'il n'y a pas de retournement conjoncturel, que la hausse du chômage qu'on observe depuis deux trimestres n'est pas une vraie hausse et que les entreprises n'arrivent pas à recruter », ironise le spécialiste du marché du travail. Le taux de chômage devrait enregistrer une « légère hausse » de 0,1 point au premier trimestre 2024, à 7,6% de la population active, puis resterait à ce niveau au deuxième trimestre, selon la dernière note de l'Insee publiée le 14 mars dernier.
Bertrand Martinot, économiste à l'Institut Montaigne et spécialiste de la question du chômage, n'est pas plus optimiste. « Si, en période de hausse du chômage et de croissance nulle, on diminue les durées d'indemnisation, ça n'aura aucun impact sur le retour à l'emploi. On ne répond pas à une situation conjoncturelle d'augmentation du chômage par une réforme de l'assurance chômage, insiste-il. Les gens ne sont pas devenus paresseux, c'est juste qu'il n'y a plus de croissance donc le chômage augmente. »
L'ancien ministre Olivier Dussopt réservé
L'autre objectif visé par le gouvernement pourrait être de faire des économies. Mais même sur cette question, les économistes sont sceptiques, au regard du faible nombre de demandeurs d'emploi qui vont au bout de leur indemnisation. « Trouver un chômeur qui se tourne les pouces pendant 17 mois et demi et qui dans la dernière semaine de son indemnisation se démène pour trouver du boulot, c'est comme les poissons volants, ça existe, mais ça ne constitue pas la majorité du genre », déclare Bertrand Martinot.
Olivier Dussopt a lui-même fait part de ses réserves quant à une possible nouvelle baisse de la durée d'indemnisation des chômeurs le 21 mars, réclamant plutôt une « réforme de la gouvernance de l'assurance chômage ». « Si on souhaite aller plus loin » et « baisser la durée d'indemnisation », cela « doit passer par une nouvelle négociation » avec les partenaires sociaux, a rappelé l'ancien ministre du Travail, dont la réforme avait permis de moduler la durée d'indemnisation des chômeurs selon la conjoncture fin 2022.
Pour le député Renaissance Marc Ferracci, si on devait raccourcir la durée d'indemnisation des seniors, il faudrait le faire « en équilibrant avec des mesures qui les aident, des mesures pécuniaires ». Mais plutôt que d'agir sur la durée d'indemnisation, il préconise de durcir les conditions d'éligibilité. En ajoutant « quelques mois » pour ouvrir des droits à l'assurance-chômage, les salariés resteraient plus longtemps en poste « pour s'ouvrir un droit », selon lui.
Les syndicats ont appelé le gouvernement à renoncer à une nouvelle réforme de l'assurance-chômage, estimant qu'il faut « cesser la stigmatisation populiste des chômeurs », dans une tribune publiée dans Le Monde le 18 mars. Ils s'opposent aussi à la volonté de Bruno Le Maire que l'Etat reprenne en main l'assurance chômage, actuellement pilotée par les partenaires sociaux, via l'Unédic, organisme paritaire.
Le président du Medef, Patrick Martin, a lui estimé début février que « durcir les règles d'indemnisation du chômage ne suffira pas » pour atteindre le plein emploi, plaidant plutôt pour le maintien de la politique de l'offre.