Nord Stream : un officier ukrainien soupçonné d’avoir piloté le sabotage des gazoducs en tenant Zelensky hors du coup

Par latribune.fr  |   |  1181  mots
Le sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et Nord Stream 2 le 22 septembre 2022 avait coupé une route majeure pour les exportations de gaz russe vers l'Europe. (Crédits : RITZAU SCANPIX)
Encore un rebondissement dans l'affaire du sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et 2. Les journaux Washington Post et le Spiegel mettent en avant le rôle central d'un commandant des forces spéciales ukrainiennes, Roman Tchervinski.

Du nouveau dans l'affaire du sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et 2 appartenant au groupe russe Gazprom. Un commandant des forces spéciales ukrainiennes aurait joué un rôle central dans le sabotage des gazoducs en septembre 2022 en mer Baltique. C'est en tout cas ce que démontre une enquête conjointe du Washington Post et du Spiegel diffusée samedi dernier, où des responsables en Ukraine et ailleurs en Europe, ainsi que d'autres personnes ayant eu connaissance de l'opération, ont parlé sous couvert de l'anonymat.

Roman Tchervinski, 48 ans, qui a servi dans les Forces d'opérations spéciales ukrainiennes, a été le « coordinateur » du sabotage, selon le quotidien américain et le magazine allemand. Plus précisément, il aurait supervisé la logistique en encadrant une équipe de six personnes. Après avoir loué un voilier sous de fausses identités et utilisé du matériel de plongée, les individus auraient ensuite placé des charges explosives sur les pipelines.

Roman Tchervinski a dès lors nié tout rôle auprès des deux journaux, par l'intermédiaire de son avocat : « Toutes les spéculations sur mon implication dans l'attaque de Nord Stream sont répandues par la propagande russe sans aucun fondement ». Il n'aurait ni planifié l'opération, ni agi seul, recevant ses ordres de responsables ukrainiens plus haut placés, a ajouté le Washington Post. Roman Tchervinski est actuellement jugé à Kiev, accusé d'avoir abusé de son pouvoir à l'occasion d'une tentative de pousser un pilote russe à faire défection. Il affirme que ces poursuites constituent des représailles politiques après avoir critiqué le président Zelensky, précisent les médias.

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Volodymyr Zelensky a déjà nié à plusieurs reprises

Pour rappel, le sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et Nord Stream 2, le 26 septembre 2022, avait coupé une route majeure pour les exportations de gaz russe vers l'Europe et accru encore les dissensions après l'invasion de l'Ukraine par Moscou fin février de la même année. Depuis l'invasion de l'Ukraine par Moscou, les deux gazoducs et les exportations de gaz russe vers l'Europe étaient au cœur de tensions géopolitiques. La responsabilité des explosions a été attribuée, selon différentes sources, à l'Ukraine, à la Russie ou aux Etats-Unis, mais tous ont nié.

Déjà en mars, le New York Times avait imputé le sabotage à un « groupe pro-ukrainien », sans plus de précision, sur la base d'informations obtenues par le renseignement américain. Les informations des services américains relayées par le quotidien avançaient que des « adversaires du président russe Vladimir Poutine » étaient derrière cette action, sans préciser s'il s'agissait directement d'un ordre donné par le gouvernement ukrainien, de ses alliés occidentaux ou d'opposants russes à Vladimir Poutine.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a nié à plusieurs reprises que son pays puisse être impliqué. « Je ne ferais jamais cela », a-t-il déclaré en juin dernier au quotidien allemand Bild, ajoutant qu'il « aimerait voir des preuves ». Selon The Washington Post, l'opération de sabotage aurait été conçue en maintenant Volodymyr Zelensky dans l'ignorance. Le journal américain et Der Spiegel disent avoir sollicité la réaction du gouvernement ukrainien à leur enquête nouvellement publiée, mais il n'a pas donné suite.

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Les Etats-Unis accusés à leur tour

Un journaliste d'investigation américain, Seymour Hersh, a également accusé, en février, les Etats-Unis d'être à l'origine de ce sabotage. D'après sa source anonyme, des plongeurs de l'US Navy, aidés par la Norvège, ont posé des explosifs sur ces gazoducs reliant la Russie à l'Allemagne sous la mer Baltique en juin, les déclenchant trois mois plus tard. Joe Biden, le président américain, aurait lui-même décidé de faire exploser ces gazoducs afin de priver Moscou des revenus de ses ventes de gaz à l'Europe.

Le journaliste rappelle que les Etats-Unis considéraient aussi que Nord Stream 1 et 2 donnaient à Moscou un important moyen de pression sur l'Allemagne et les pays d'Europe de l'Ouest. Washington a toujours été hostile à Nord Stream 1, mis en service en 2012, puis à Nord Stream 2 qui ne l'avait pas été avant sa suspension au début du conflit en Ukraine

L'information a depuis été démentie par Washington. Elles sont « totalement fausses » et relèvent de la « pure fiction », avait rétorqué Adrienne Watson, porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche. Même son de cloche du côté de la CIA, où un porte-parole a assuré que l'article était « absolument faux ». Le ministère norvégien des Affaires étrangères a lui aussi nié l'implication de son pays, jugeant les allégations « fausses ». Malgré des enquêtes criminelles dans les pays frontaliers du sabotage (Allemagne, Suède et Danemark), la responsabilité de l'attaque sous-marine reste encore un mystère.

Rare certitude, ce sabotage est lié à l'invasion de l'Ukraine par la Russie. L'opération a touché une infrastructure d'exportation du gaz russe, même si elle était inactive au moment des faits. Depuis des années, les deux gazoducs ont été au cœur de tensions géopolitiques, attisées après la décision de Moscou de couper les livraisons de gaz à l'Europe en représailles présumées contre les sanctions occidentales.

Balticconnector : possible sabotage du gazoduc en mer Baltique

Une fuite a entraîné la fermeture d'un pipeline entre la Finlande et l'Estonie le 8 octobre. Les autorités finlandaises ont enquêté sur les dommages dont elles affirmaient qu'ils avaient été causés par une activité « externe », soulevant des spéculations sur un possible sabotage.

Les autorités avaient précédemment indiqué que les découvertes pointaient du doigt le Newnew Polar Bear, battant pavillon de Hong Kong, puis avaient déclaré fin octobre qu'une ancre avait été récupérée dans le fond marin. La police finlandaise a déclaré vendredi dernier que les examens techniques ont renforcé les soupçons selon lesquels une ancre provenant d'un cargo chinois aurait causé des dommages au gazoduc sous-marin.

Sur fond de tension avec la Russie, des soupçons avaient également été émis à l'encontre de Moscou. « C'est n'importe quoi. Franchement, je ne savais même pas que ce gazoduc existait », avait dès lors déclaré, mi-octobre, le chef du Kremlin, Vladimir Poutine, à l'occasion d'une conférence de presse au Kirghizstan. Le président russe avait ensuite estimé que les accusations à l'encontre de la Russie avaient pour objectif de « dissimuler l'acte terroriste commis par l'Occident à l'encontre de Nord Stream. A détourner l'attention »

Le gaz naturel représente environ 5% de la consommation énergétique de la Finlande et est principalement utilisé dans l'industrie et la production combinée de chaleur et d'électricité. « Il faudra au moins cinq mois pour réparer le gazoduc », a déclaré son opérateur en octobre, laissant la Finlande dépendante pour l'hiver des importations de gaz naturel liquéfié.

(Avec AFP)