Guerre en Ukraine : l'exigence de Poutine de facturer le gaz russe en roubles constitue une rupture de contrat pour les Européens

Par latribune.fr  |   |  1263  mots
(Crédits : Gary Cameron)
Après l'annonce ce mercredi par Vladimir Poutine que la Russie n'acceptera plus de paiements en dollars ou en euros pour les livraisons de gaz à aux entreprises européennes qui devront donc payer en roubles, l'Allemagne mais aussi des opérateurs européens comme le groupe autrichien OMV ou Engie ont expliqué qu'une facturation en roubles constituait une rupture de contrat.

Les critiques européennes sont à la hauteur de la menace russe. Après l'annonce ce mercredi par Vladimir Poutine que la Russie n'acceptera plus de paiements en dollars ou en euros pour les livraisons de gaz à aux entreprises européennes qui devront donc payer en roubles, l'Allemagne, dépendante du gaz russe, mais aussi des opérateurs européens comme Engie ont rappelé qu'une facturation en roubles s'apparentait à une rupture contrat.

Cette exigence de Moscou "constitue une rupture de contrat", a en effet déclaré ce mercredi le ministre de l'Économie Robert Habeck lors d'une conférence de presse à Berlin.

"Nous allons maintenant discuter avec nos partenaires européens de la manière de répondre à cette demande", a-t-il ajouté,

Le gaz russe représente 40% des importations européennes

Le gaz russe représente 40% des importations de l'Union européenne mais cette part grimpe à 55% dans le cas de l'Allemagne Et malgré les sanctions, l'UE refuse d'imposer un embargo sur le gaz russe qui continue d'être acheté massivement, le temps de trouver d'autres sources d'approvisionnement. Selon le Centre for Research on Energy and Clean Air (Crea), les pays européens ont acheté pour plus de 10 milliards d'euros de gaz à la Russie depuis le début de la guerre en Ukraine.

Interrogé mercredi sur France Info, Jean-Pierre Clamadieu a lui aussi mis en avant les clauses contractuelles de ses accords d'approvisionnement avec Gazprom.

"Nos contrats prévoient un paiement du gaz en euros, il n'y a pas de clause qui permette au vendeur de changer de devise, donc nous allons essayer de comprendre ce que veut dire cette position qui pour l'instant ne nous a pas été notifiée par notre contrepartie, qui est Gazprom", a-t-il expliqué, en avouant "ne pas savoir quel est le signal politique que voulait donner Vladimir Poutine, au-delà de la volonté de renforcer sa monnaie".

Même son de cloche du côté du groupe pétrolier et gazier autrichien OMV, détenu à 31,5% par l'État autrichien. Ce dernier, qui a récemment reconnu que les solutions de l'Autriche pour se passer du gaz russe étaient "très limitées", a carrément annoncé mercredi qu'il continuerait de régler à la Russie ses achats de gaz en euros. OMV continuera "bien sûr" à régler en euros, a déclaré son PDG, Alfred Stern, à la télévision autrichienne Puls 24.

"Nous n'avons pas d'autre base pour le contrat. Je serais dans l'incapacité de faire autrement", a-t-il ajouté. Tout en indiquant avoir lu les informations de presse sur la décision du président russe, Alfred Stern a affirmé que "personne [du côté russe] ne nous a appelés, nous avons les contrats existants et [payer en roubles] n'est pas ce qui y est prévu".

La décision d'arrêter d'acheter en Russie appartient aux gouvernements (Engie)

Difficile de voir comment cette situation va se dénouer, alors que Vladimir Poutine a donné une semaine aux autorités russes pour élaborer un nouveau système de paiement des livraisons de gaz en roubles. Les deux parties se tiennent par la barbichette. L'UE a besoin du gaz russe et la Russie a besoin d'argent. Or, si la pression est énorme pour cesser d'acheter du gaz russe, les entreprises européennes sont dans l'incapacité aujourd'hui de s'affranchir des approvisionnements russes. Moins dépendants, Washington a décidé d'interdire les importations d'hydrocarbures russes et le Royaume-Uni a annoncé l'arrêt de ses importations d'énergie russe d'ici fin 2022.

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Pour sortir de cette dépendance, les pays européens, au premier chef l'Allemagne, démultiplie les efforts pour réduire rapidement sa dépendance à la Russie en démarchant d'autres fournisseurs. Berlin va notamment accélérer la construction de terminaux GNL en vue d'importer du gaz liquéfié. Un accord vient d'être signé avec le Qatar, important exportateur de GNL (gaz naturel liquéfié), pour une "fourniture de long terme".

En France, alors que la pression sur les entreprises françaises pour quitter la Russie a atteint son paroxysme hier avec l'appel au boycott de Renault partout dans le monde lancé par un membre du gouvernement ukrainien (avant l'annonce du constructeur automobile de la suspension de ses activités russes), Engie a expliqué que l'éventuelle décision de cesser d'acheter du gaz russe appartient aux gouvernements européens.

"Si nous décidions d'arrêter d'acheter du gaz russe, ça suppose immédiatement des décisions des pouvoirs publics pour faire face à une forme de pénurie", a expliqué Jean-Pierre Clamadieu, sur Franceinfo.

"Et du coup nous sommes vraiment convaincus que c'est une décision qui doit être prise par la puissance publique et probablement par l'Europe, parce que c'est elle qui a la capacité à prendre de telles décisions et à l'accompagner des mesures qui seraient nécessaires", a-t-il ajouté. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a demandé mercredi aux entreprises françaises de cesser de soutenir "la machine de guerre" russe.

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"Nous sommes face à une décision qui ne peut être qu'une décision de gouvernement et quelle que soit la décision prise par les gouvernements, nous la respecterons, bien sûr", a insisté Pierre Clamadieu.

Selon lui, l'Europe pourrait remplacer facilement la moitié de ses importations de gaz russes. Pour compenser l'autre moitié, il faudrait "des efforts de réduction de consommation relativement importants".

Sans gaz russe, une partie de l'économie européenne s'effondre (TotalEnergies)

Hier sur RTL, le PDG de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, expliquait lui aussi l'impossibilité de se passer du gaz russe, sans lequel une partie de l'économie européenne "s'arrêterait".

"Je sais remplacer ce pétrole et ce diesel" russes mais "le gaz, je ne sais pas le faire. Si je décide d'arrêter d'importer du gaz russe, je ne sais pas le remplacer, je n'en ai pas de disponible. J'ai des contrats de 25 ans et je ne sais pas sortir de ces contrats", a-t-il déclaré

Concernant l'annonce de retrait de Russie de certains groupes anglo-saxons, "personne n'est parti, mes concurrents continuent de prendre le gaz russe parce qu'on a des contrats long terme et qu'on ne sait pas les arrêter, sauf si les gouvernements décident de sanctions qui font qu'on peut utiliser la force majeure. Si j'arrête le gaz russe, je paie des milliards immédiatement aux Russes", a affirmé le PDG.

"Sans gaz russe, on arrête une partie de l'économie européenne" et, à ce stade, les gouvernements européens n'ont pas décidé de sanctionner le gaz russe, rappelle-t-il en ajoutant: "si nous arrêtons le gaz russe, nous savons que l'hiver 2023, nous avons un problème, en janvier 2023 il faudra rationner l'utilisation du gaz, pas pour les particuliers mais sans doute pour les industriels en Europe".

Quitter totalement la Russie? "Je ne vais pas le faire, on a investi dans des usines pour presque 13 milliards de dollars, ce n'est pas un problème d'argent, ces usines vont continuer à tourner que je m'en aille ou non. Me retirer c'est donner ces 13 milliards à des Russes, pour zéro car personne ne peut les acheter. Vous voulez que j'abandonne des actifs en Russie pour enrichir des Russes qu'on a mis sous sanction ?" a-t-il lancé.

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