Total, Renault, Décathlon, Société générale ..., les entreprises françaises en Russie sont encore nombreuses et un mois après le début de la guerre, elles sont devenues des enjeux du conflit. Preuve en est, lors de son allocution devant l'Assemblée nationale, ce mercredi 23 mars, Volodymyr Zelensky, le président ukrainien a demandé très solennellement à Auchan, Leroy Merlin, Renault "et les autres" de quitter la Russie ... Le dirigeant s'est montré très incisif : "Ces entreprises doivent arrêter cesser d'être le sponsor de la machine de guerre de la Russie, de financer le meurtre de femmes et d'enfants". Plus tard dans la journée, le chef de la diplomatie ukrainienne appelle au "boycott" mondial de Renault (tweet)
De quoi encore accentuer la pression sur ces groupes déjà ciblés, ces derniers jours, d'actions menées par des collectifs de soutien au peuple ukrainien. En témoignent par exemple, les milliers de tweets, qui mettent la pression sur l'enseigne de bricolage pour qu'elle quitte la Russie.
L'opinion publique comprend mal le silence des entreprises concernées
Ce week-end, la destruction d'un magasin Leroy Merlin en Ukraine, où la marque de la famille Mulliez est également implantée, a tendu encore un peu plus les choses. Une pétition en ligne a été lancée par des salariés ukrainiens de Leroy Merlin et relayée par des associations. Pour autant, jusqu'ici ni les dirigeants de Décathlon, de Leroy Merli ou d'Auchan n'avaient pris la parole pour justifier leur maintien en Russie ou en Ukraine. Néanmoins, ce soir, Adeo, la holding de Leroy Merlin à qui le président ukrainien Volodymyr Zelensky a demandé mercredi, parmi d'autres entreprises, de quitter la Russie, a répondu qu'une fermeture serait considérée comme une "faillite préméditée", "ouvrant la voie à une expropriation qui renforcerait les moyens financiers de la Russie".
Pour Véronique Reille-Soult, présidente de BackBone consulting, spécialiste en communication et en e-reputation, ce silence était "difficilement compréhensible dans ce monde hyper connecté car il vous prive de pouvoir donner vos arguments", Cela laisse le champ à d'autres qui prennent la parole à votre place : les activistes, les syndicalistes etc.... Même silence du côté de chez Renault - dont l'Etat français est actionnaire -, même si le constructeur automobile devait s'exprimer ce mercredi soir.
Le patron de Total justifie son maintien en Russie
D'autres multinationales, ont choisi de monter au créneau pour expliquer leur présence dans la patrie de Poutine. Ainsi Patrick Pouyanné, le patron de TotalEnergies a pris la parole, avec fougue, ce mercredi 23 mars, sur RTL pour dénoncer les accusations du candidat écologiste à la présidentielle à l'encontre de son groupe. Yannick Jadot accuse Total d'être complice de crimes de guerre. " C'est gravissime, c'est une insulte pour les 100 000 salariés", s'est emporté le PDG du groupe pétrolier, avant de décider de porter le sujet devant les tribunaux. TotalEnergie attaque Yannick Jadot en diffamation. Le bras de fer n'est pas terminé...
Au micro de RTL, Patrick Pouyanné s'est longuement expliqué : sa multinationale reste dans la légalité, il n'y a pas, pour l'heure, d'embargo sur le pétrole et le gaz russe en Europe, ce sont aux Etats de décider de suspendre ou non les importations.... Mais aussi un retrait de Russie laisserait le champ libre à des concurrents importants comme les Chinois....
L'émotion contre la rationalité économique
Alors que la guerre draine son flot d'images et d'émotions, ces arguments rationnels sont-ils audibles par l'opinion publique ? Difficile de le dire. Surtout que ce n'est pas la première fois que TotalEnergies est pointé du doigt pour sa présence dans des pays à la situation politique sensible : Yémen, Irak, ou encore la Birmanie que le groupe vient tout de quitter. Par ailleurs, TotalEnergies occupe une position très forte dans l'Hexagone : difficile de se passer complètement du gaz et de l'essence qu'elle vend...
Enfin, le sujet est d'autant plus complexe que dans le même temps le groupe fait un geste populaire pour aider les Français face à la flambée des prix des carburants : dans ses stations services implantées en milieu rural, TotalEnergies applique une réduction de 10 centimes par litre. A partir du 1er avril, cette remise sera étendue à toutes ses stations services de l'Hexagone, soit plus de 3.000 points de vente. Un coup de pouce qui vient s'ajouter à la baisse de 15 centimes par litre de carburant promise par le gouvernement. Et qui séduit déjà les Français étranglés par les hausses des prix des carburants. A en voir la fréquentation des automobilistes dans les stations Total, l'opération marketing du pétrolier est un succès.
Le risque de boycott
Si le boycott ne guette pas TotalEnergies outre mesure, d'autres sont en revanche plus exposés à voir leurs produits boudés par les consommateurs. C'est le cas par exemple d'une société comme Nestlé. Depuis la mi-mars, la marque suisse - présente en Russie via 7 usines - voit son logo détourné par des activistes qui appellent à ne plus acheter ses chocolats et autres gourmandises.
Ce mercredi, le géant suisse de l'alimentation a annoncé qu'il allait réduire encore la gamme de ses produits vendus en Russie mais maintenir l'approvisionnement en produits pour bébé et aliments médicalisés. Le groupe basé à Vevey, sur les rives du lac Léman, va suspendre par exemple des marques comme les barres chocolatées KitKat ou les poudres chocolatées Nesquik.
Que se passera-t-il si les consommateurs européens choisissent de bouder Décathlon, Leroy Merlin ou même Auchan et d'aller chez les concurrents pour marquer leur désapprobation ?
Cela pourrait se traduire par un manque à gagner important. Surtout si des politiques se font les ambassadeurs de ces appels. Ainsi, Olivier Faure au PS assurait-il cet après midi, après l'intervention du président Ukrainien que "le gouvernement devrait avoir une action directe envers ces enseignes, et s'il ne le faisait pas, si ces enseignes n'obtempéraient pas, nous devrions appeler au boycott"...
De l'économie à la politique
Directes et indirectes, les conséquences ne sont donc pas neutres. Si ces marques cherchent à tout prix à rester sur des arguments économiques, elles ne peuvent plus faire l'impasse sur la dimension politique qu'elles incarnent.
Un "bad buzz" n'est pas sans conséquence sur un cours de bourse, sur les investissements des actionnaires, etc... Pour Véronique Reille, "le risque réputationnel est un actif important de l'entreprise au même titre que d'autres ".
Roi de la communication, le président Ukrainien l'a d'ailleurs bien souligné, rappelant devant le Parlement français : " Tout le monde doit se souvenir que les valeurs sont plus importantes que les bénéfices".