La moitié des bénéfices des multinationales sont faiblement imposés... dans des pays à la fiscalité élevée

Par latribune.fr  |   |  856  mots
Chaque année dans le monde, environ 2.140 milliards de dollars de bénéfices de multinationales sont taxés à des taux de moins de 15%, selon l'OCDE. (Crédits : Reuters)
La moitié des bénéfices de multinationales faiblement imposés ne le sont pas dans des paradis fiscaux. Ils atterrissent en effet dans des pays affichant des taux théoriquement élevés, dénonce l'OCDE, et ce, grâce à des mécanismes légaux, comme des crédits d'impôt recherche ou des avantages fiscaux divers accordés aux entreprises pour attirer leurs investissements. C'est la raison pour laquelle l'organisation plaide pour une réforme fiscale mondiale.

Tous les paradis fiscaux ne disent pas leur nom, si l'on en croit une étude de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), publiée ce mardi. Chaque année dans le monde, environ 2.140 milliards de dollars de bénéfices de multinationales sont taxés à des taux inférieurs à 15%. Et contrairement à ce que l'on pourrait penser, plus de la moitié de cette somme (53%) est localisée dans des pays ou territoires dont le taux d'imposition moyen ou théorique est supérieur à 15%. En clair, ces pays accordent des rabais conséquents sur une partie des bénéfices réalisés. Plus notable encore, 10% des bénéfices taxés à moins de 5% sont localisés dans des pays affichant des taux de 15% ou plus.

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Les pays aux taux d'imposition officiels élevés (plus de 15%) ne les appliquent pas toujours : plus d'un quart des bénéfices y sont en réalité taxés à moins de 15%. L'inverse est rarement vrai. Dans des pays affichant des taux de moins de 5%, « la quasi-totalité » des bénéfices est taxée à ce taux réel.

Au total, sur 5.900 milliards de bénéfices annuels, 13% sont taxés à moins de 5% et 23% entre 5% et 15%. Et la majorité des bénéfices des entreprises multinationales est imposée entre 15% et 30%.

Des mesures légales

En 2021 pourtant, 137 États avaient signé un accord planétaire « historique » sur la mise en place d'un impôt minimum mondial sur les multinationales. Ce dernier reposait sur deux piliers : la répartition des droits d'imposition entre pays de production et pays de consommation d'une part et, d'autre, part, un taux minimum de 15%. Les négociations entre les Etats sont encore en cours. Raison pour laquelle, la situation ne change pas.

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Et pour cause, la fiscalité peu élevée sur les bénéfices des entreprises est le fruit d'une véritable volonté politique, à l'image du crédit d'impôt recherche, l'idée étant de capter des investissements.

« De nombreuses juridictions typiquement considérées comme ayant une fiscalité élevée offrent diverses incitations qui peuvent conduire à des taux d'imposition considérablement réduits », souligne ainsi l'OCDE.

Et la situation pourrait bien s'accentuer à l'avenir.

« On risque d'avoir une course aux crédits d'impôt et aux exemptions à l'échelle de la planète. Il y a un déplacement de la course fiscale des taux d'impôt vers les crédits d'impôt. On l'a vu avec l'Inflation Reduction Act aux États-Unis », indiquait le mois dernier Quentin Parrinello, conseiller à l'Observatoire européen, interrogé par La Tribune.

La difficile estimation de la taxation

Selon l'OCDE, cette étude est l'une des premières analyses aussi précises de la taxation effective par pays. Elle doit permettre de nuancer le débat opposant traditionnellement les pays à faible imposition à ceux affichant des taux élevés. Ne pas considérer les taux effectifs « peut entraîner de fausses estimations sur l'impact de diverses réformes internationales », comme la taxation minimale des entreprises, note ainsi l'organisation.

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Le somme mondiale des profits faiblement taxés pourrait par ailleurs être « nettement sous-estimée » par une partie des analyses actuelles, précise le rapport. Car l'étude se concentre sur les entreprises multinationales dont le chiffre d'affaires dépasse 750 millions d'euros et se base sur des données des années 2017 à 2020.

Par ailleurs, l'OCDE note qu'il « existe toujours un décalage entre le lieu où les bénéfices sont déclarés et celui où les activités économiques sont exercées », ce qui « souligne l'importance de mettre en œuvre un accord fiscal international ».

Paradis fiscaux : 16 pays dans la liste noire de l'UE

Depuis 2017, l'Union européenne dresse une liste noire de paradis fiscaux. Cet instrument est censé lutter contre l'évasion fiscale des multinationales et des grandes fortunes. Les sanctions à l'encontre des pays « blacklistés » peuvent inclure le gel de fonds européens. En octobre, trois pays y ont été ajoutés : Antigua-et-Barbuda, Belize et les Seychelles. En revanche, d'autres ont été retirés, à savoir les Îles Vierges britanniques, le Costa Rica et les Îles Marshall, ces entités ayant accepté des modifications de leur cadre légal réclamés par l'UE.

La liste noire comprend désormais 16 juridictions : les trois récemment ajoutées ainsi que les Samoa américaines, Anguilla, les Bahamas, les Fidji, Guam, les Palaos, Panama, la Russie, le Samoa, Trinité-et-Tobago, les îles Turks et Caïcos, les Îles Vierges américaines et Vanuatu.

Ce mécanisme est jugé inefficace et « vide de sens » par Oxfam. La liste « laisse de côté des pays à fiscalité nulle comme les îles Vierges britanniques et ne passe pas au crible des pays comme les États-Unis et le Royaume-Uni, ainsi que des paradis fiscaux de l'UE comme le Luxembourg et Malte », soulignait Chiara Putaturo, experte en fiscalité pour cette ONG.

(Avec AFP)