Le gouvernement ne cesse de marteler qu'il veut faire de la lutte contre la fraude fiscale une priorité. En mai dernier, l'ancien ministre des Comptes publics, Gabriel Attal, avait lancé une grande opération de communication en accordant pas moins de quatre entretiens en quelques jours sur son nouveau plan de lutte contre la fraude fiscale. Le remaniement a certes chamboulé l'agenda de Bercy sur cette stratégie. Mais le ministre délégué au budget Thomas Cazenave a repris à la rentrée les grandes lignes du plan présenté au printemps dernier par son prédécesseur .
Dans ce contexte, la Cour des comptes a passé au crible les mesures de détection de fraude fiscale dans un rapport d'une centaine de pages dévoilé ce mercredi 15 novembre. Résultat, « l'efficacité de la stratégie sur la dernière décennie pose question», a déclaré Pierre Moscovici lors d'un point presse.
Un plan sans stratégie claire de détection de la fraude
Dans son rapport, la juridiction a formulé une avalanche de critiques particulièrement acerbes sur le plan du gouvernement. « L'administration fiscale s'est doté de puissants outils de détection de la fraude au cours de la dernières décennie, mais ce mouvement ne s'est pas accompagné d'une stratégie claire », a regretté Pierre Moscovici.
Depuis une dizaine d'années, les pouvoirs publics ont, en effet, mis l'accent sur l'utilisation de logiciels de « data mining » et l'intelligence artificielle pour détecter les écarts des entreprises et des particuliers à l'égard du fisc. « L'administration fiscale dispose d'un volume d'informations plus important qu'il y a 10 ans en raison d'une meilleure coopération fiscale internationale. La révolution technologique a bouleversé la programmation des contrôles fiscaux [...] En dépit des avancées technologiques, il est difficile de mesurer l'efficacité de ces outils », a-t-il poursuivi.
En parallèle, le gouvernement a présenté un plan de 35 mesures, « mais aucune ne porte sur la détection », a taclé l'ancien ministre des Finances. En résumé, la France est passé d'une logique de détection sur « les grands enjeux » à une détection basée sur « l'analyse des risques ». Cette logique « date du milieu des années 2010 » a précisé Anne Camby, présidente de la première chambre à la Cour. Avant les enquêtes portaient sur « les dossiers à forts enjeux ». Mais la révolution technologique des années 2010 a changé la donne.
Une baisse des effectifs non compensée
Lors du point presse, les magistrats de la rue Cambon ont également fustigé la baisse des effectifs de l'administration fiscale en citant des chiffres édifiants. L'institution en charge de contrôler le bon usage des deniers publics a certes souligné « les gains d'efficience » des agents du fisc, mais a également critiqué la baisse importante du nombre d'agents de contrôle. Selon des données communiquées par Bercy, « les effectifs des services particulièrement impliqués dans la lutte contre la fraude fiscale des particuliers au sein des blocs métiers « contrôle fiscal » se sont réduits de 18,5 % entre 2017 et 2021, passant de 8.039 à 6.547 ».
En mai dernier, le ministre du Budget Attal avait annoncé un renforcement des équipes sur les contrôles. Mais les chiffres annoncés étaient loin de compenser les coupes sur les dix dernières années, avaient souligné plusieurs spécialistes des questions de fraude fiscale et des syndicats. De son côté, le président de la Cour des Comptes n'a pas plaidé pour une hausse des effectifs de la Direction générale des finances publiques (DGFIP), mais une réaffectation de moyens humains vers les services du contrôle et de la détection de la fraude fiscale.
La Cour des comptes fustige un manque de chiffrage de la fraude fiscale
Le chiffrage de la fraude fiscale en France a provoqué d'âpres débats sur les montants et les définitions. « La fraude fiscale est un phénomène très mal quantifié, a expliqué Pierre Moscovici. Contrairement à bien d'autres pays, la France ne dispose pas d'estimation de la fraude. C'est une grande frustration ». Cette absence d'estimations peut donner lieu à « des fantasmes » ou « des affirmations fantaisistes ». Et elle nuit à la mesure de l'efficacité des contrôles également. Dans ses recommandations, la Cour presse l'exécutif d'établir « d'ici à fin 2024, en partenariat avec l'Insee et sur la base des enseignements de l'estimation réalisée sur la fraude à la TVA, une méthodologie et un calendrier pour estimer la fraude fiscale des particuliers sur l'impôt sur le revenu ».
Enfin, les magistrats estiment que, « au regard du poids des prélèvements en France, il est nécessaire pour la direction générale des finances publiques d'être plus ouverte et plus précise sur le contrôle et la détection de la fraude », a estimé Pierre Moscovici. L'ancien commissaire européen réclame « plus de transparence, une estimation statistique de la fraude, des systèmes d'informations au sein de l'administration fiscale plus transversaux et une amplification de la politique de détection fiscale ». Reste à savoir s'il sera entendu par l'exécutif.