Les multinationales ont délocalisé 1.000 milliards de dollars de bénéfices dans les paradis fiscaux en 2022

Les multinationales ont continué de transférer une partie faramineuse de leurs bénéfices (35%) vers les paradis fiscaux, malgré le durcissement de la réglementation et de la fiscalité mondiales, souligne l'Observatoire européen de la fiscalité dans son dernier rapport. Grâce à l'échange automatique de données bancaires, la fuite des actifs des plus fortunés vers des Etats peu scrupuleux a chuté ces dix dernières années. En revanche, les promesses de l'impôt minimum mondial sur les grandes entreprises ne sont pas au rendez-vous.
Grégoire Normand
Le Panama fait partie des juridictions qui n'ont pas amélioré leurs normes de transparence fiscale selon la Commission européenne.
Le Panama fait partie des juridictions qui n'ont pas amélioré leurs normes de transparence fiscale selon la Commission européenne. (Crédits : Reuters)

Panama Papers, LuxLeaks, Swissleaks, Pandora Papers... La liste des scandales d'évasion fiscale n'a cessé de s'allonger ces dernières années. Révélées par des consortiums de journalistes et de médias, ces affaires fracassantes ont mis au grand jour l'ampleur des mécanismes de soustraction à l'impôt des grandes entreprises et des plus fortunés. Dans ce contexte, l'Observatoire européen de la fiscalité piloté par l'économiste français Gabriel Zucman a tiré un bilan mitigé de la lutte contre l'évasion fiscale de la dernière décennie. Si la fin du secret bancaire en Europe et l'échange automatique de données ont permis des avancées, les multinationales ont pu profiter des largesses offertes par les Etats pour transférer une partie vertigineuse de leur richesse vers des juridictions peu scrupuleuses.

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Selon le rapport dévoilé ce lundi 23 octobre, les multinationales ont transféré en 2022 plus de 1.000 milliards de dollars de leurs bénéfices vers les paradis fiscaux. « Les transferts de bénéfices des multinationales ont explosé et demeurent à un niveau élevé », a déclaré l'économiste lors d'une présentation du rapport, ce lundi 23 octobre, dans l'amphithéâtre de l'Ecole d'économie de Paris dédié au célèbre professeur d'économie Daniel Cohen disparu en août dernier. Le président de l'Observatoire européen de la fiscalité et ancien conseiller du démocrate Bernie Sanders à la présidentielle américaine estime « que l'évasion fiscale n'est pas une loi de la nature. C'est un choix politique ».

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Des pertes fiscales substantielles

L'un des résultats frappants de ce travail mené par une centaine de chercheurs du monde entier est que ces transferts engendrent un manque à gagner fiscal substantiel. Ces pertes représentent environ 10% des recettes fiscales des entreprises collectées à l'échelle de la planète. Depuis le milieu des années 1970, ce déficit fiscal n'a cessé de grimper, malgré le renforcement de la réglementation planétaire.

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Note : ce graphique présente l'évolution de la perte de recettes fiscales mondiales causée par la délocalisation des bénéfices, exprimée en pourcentage des recettes fiscales mondiales perçues par les entreprises.

En 2015, l'OCDE est montée au front pour réduire ces délocalisations de bénéfices avec le projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) porté par l'ancien directeur fiscal de l'institution Pascal Saint-Amans. Aux Etats-Unis, l'administration a durci le ton. Elle a introduit des mesures visant à limiter ces transferts de bénéfices. Mais ce durcissement réglementaire et législatif n'a pas empêché les multinationales de loger leurs bénéfices dans des Etats jugés laxistes en matière fiscale.

Un taux minimum d'imposition mondial jugé décevant

En 2021, 137 Etats ont signé un accord planétaire « historique » sur la mise en place d'un impôt minimum mondial sur les multinationales. Pour rappel, cet accord repose sur deux piliers. Le pilier 1 porte sur la répartition des droits d'imposition entre pays de production et pays de consommation. En d'autres termes, les Etats doivent s'accorder sur une clé de répartition des recettes fiscales. Et le second pilier repose sur le taux minimum de 15%. Après d'âpres et intenses négociations, les chefs d'Etat avaient réussi à s'attendre sur le second pilier.

Mais les modalités du premier pilier ont fait l'objet de fortes réticences dans les négociations. « Sur le principe, l'impôt minimum est génial. Les Etats mettent un terme au moins-disant fiscal », estime Quentin Parrinello, conseiller à l'Observatoire européen interrogé par La Tribune. « Il y a eu une succession de trous dans la raquette », regrette ce spécialiste des questions fiscales.

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En effet, de nombreux Etats ont continué à mettre en œuvre des stratégies pour éviter d'avoir un impôt effectif de 15% sur les sociétés. A cela s'ajoute la féroce bataille fiscale des puissances pour attirer les investissements et les entreprises dans la transition énergétique.

« On risque d'avoir une course aux crédits d'impôt et aux exemptions à l'échelle de la planète. Il y a un déplacement de la course fiscale des taux d'impôt vers les crédits d'impôt. On l'a vu avec l'Inflation Reduction Act aux Etats-Unis. C'est une rupture avec le projet initial », regrette Quentin Parrinello.

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Des milliardaires moins taxés que le reste de la population

S'agissant des milliardaires, les résultats mis en avant par les économistes lors de la présentation du rapport indiquent que le taux effectif d'imposition des milliardaires est relativement faible. « Ils ne paient quasiment rien en proportion de leurs revenus. Les milliardaires ont un taux effectif d'imposition entre 0% et 0,5% », selon Gabriel Zucman. Comment les plus fortunés arrivent-ils à bénéficier d'un taux d'imposition aussi bas ? Ces personnes utilisent « des holding familiales » pour échapper à l'impôt sur le revenu, note Quentin Parrinello.

Face à ce manque à gagner fiscal, les économistes plaident pour la mise en œuvre d'un impôt minimum mondial de 2% sur le patrimoine des milliardaires. « En appliquant un taux de 2% sur les revenus de leur richesse, cela permettrait de rapporter 214 milliards de dollars chaque année. Nous sommes dans un Momentum politique », a déclaré Gabriel Zucman. « C'est une manière de réconcilier la mondialisation et la justice fiscale », avance-t-il. Reste à savoir si cette proposition sera entendue par les Etats.

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Grégoire Normand
Commentaires 26
à écrit le 24/10/2023 à 9:59
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Pendant ce temps : L’heure du bilan a sonné. Pour alimenter les différentes séances de négociation entre les organisations syndicales et patronales sur la future convention d’assurance chômage, l’Unédic a réalisé toute une série d’études pour anal...

à écrit le 24/10/2023 à 9:34
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Nous pourrions réfléchir sur les indécents paradis de l'UE.. En outre si nous avions écouté Maurice Allais nous ne serions pas là: "Il faut mener des politiques libérales pour produire de la richesse puis capter la richesse illégitime pour la ramener...

à écrit le 24/10/2023 à 8:48
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Au vu de tous les commentateurs précédents : Je ne savais pas qu il y avisent autant de milliardaires lecteurs de La Tribune… pour ma part selon vos schémas intellectuels orientés je dois être une «  rareté «  Je suis salariée du secteur public à 2...

le 24/10/2023 à 9:03
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Les forums ne peuvent pas être représentatifs de la réalité sociale puisque les productifs doivent bosser, se déplacer pour bosser, s'occuper des enfants, le temps qu'ils passent sur internet va l'être donc sur les réseaux sociaux car représentatifs ...

à écrit le 24/10/2023 à 8:48
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Au vu de tous les commentateurs précédents : Je ne savais pas qu il y avisent autant de milliardaires lecteurs de La Tribune… pour ma part selon vos schémas intellectuels orientés je dois être une «  rareté «  Je suis salariée du secteur public à 2...

à écrit le 23/10/2023 à 20:39
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Après l'effondrement du monde de la finance lors de la crise des subprimes, le monde des décideurs des pays dit "développés" de l'époque les Gxx, nous avaient promis des tas de choses pour que nous rembourssions les dettes de jeu du système banquaire...

à écrit le 23/10/2023 à 20:07
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les baveux de gauche ont besoin de bcp de victimes pour payer pour leurs incuries et les emplois de leurs copains, alors ils cherchent, c'est normal..... oui par contre ca devient complique, les gens ne se laissent plus plumer comme avant sans reagir...

à écrit le 23/10/2023 à 18:14
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Étant pour ne pas faire payer d'impôts aux entreprises cela ne me choque pas, non ce qui me choque c'est qu'un individu possède des milliers de milliards dans les paradis fiscaux et ils sont plusieurs, argent qui ne sert strictement à rien pire qui g...

le 23/10/2023 à 19:25
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@Dossier 51 : pourquoi la limite d'1 milliards de dollars ? Pourquoi pas 1 millions de dollars, ou mieux 100 000 dollars max ? En fixant une limite d'1 milliards d'onces d'or à 999,9 millièmes vous auriez au moins pu montrer à vos adeptes des connais...

le 23/10/2023 à 19:40
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@Dossier51 "Étant pour ne pas faire payer d'impôts aux entreprises" 🤡 Pour une personne qui critique vertement la finance, une banque d'investissement n'est pas une entreprise? Une société de gestion de patrimoine n'est pas une entreprise? Une entité...

le 24/10/2023 à 1:42
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" L'idée de Sanders de limiter la fortune personnelle à un milliard de dollars sauverait l'humanité car permettant de fermer enfin les paradis fiscaux. " // Un jour il faudra aborder la question des enfers fiscaux... Sanders est déconnecté de la r...

le 24/10/2023 à 2:50
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la bonne idée serait de supprimer tout ce qui ne sert à rien, à savoir tout les ponctionnaires. Cela nous ferait des milliards en plus. La nullité et donc la fermeture des écoles ou des hopitaux nous permettrait d'éviter des milliards et de les réi...

le 24/10/2023 à 7:36
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"pourquoi la limite d'1 milliards de dollars ?" C'est pinailler sur les chiffres et donc improductif tandis que c'est le principe qui est important. "Pour une personne qui critique vertement la finance," La finance oui pas les entreprises en taxant l...

le 24/10/2023 à 9:52
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@Dossier51. "En fermant les paradis fiscaux par répercussion on taxerait l'empire financier j(espère quand même que je ne t'apprends rien". Donc vous voulez fermer des juridictions (des États) à la fiscalité complaisante et dotés d'un arsenal judicia...

le 24/10/2023 à 12:08
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"Je vis dans un monde réel mon garçon et pas en Utopie." Non tu orientes tes analyses dans le sens de tes intérêts à toi. Fermer les paradis fiscaux est simple, si les américains le voulaient et ils le feront, en un claquement de doigt cela se ferait...

à écrit le 23/10/2023 à 18:05
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Certains sont coutumiers du "tax haven" et du trust, tandis que d'autres ultra-riches réclament plus de justice fiscale à leur égard. Pourtant les gouvernements restent stoïques alors que les dettes montent au ciel et que l'orthodoxie budgétaire frap...

à écrit le 23/10/2023 à 16:39
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Si aucune loi n'a été enfreinte, l'optimisation fiscale est légitime. Depuis que les taxes et les impôts existent, tout individu cherche à faire de l'optimisation fiscale à son échelle et en fonction de ses moyens pour tenter d'améliorer matérielleme...

le 23/10/2023 à 17:32
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Le syndrome de Stockholm est un phénomène psychologique observé chez des otages ayant vécu durant une période prolongée avec leurs geôliers et qui ont développé une sorte d'empathie, de contagion émotionnelle vis-à-vis de ceux-ci, selon des mécanisme...

à écrit le 23/10/2023 à 16:15
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Vous avez dit PARADIS FISCAUX ? lesquels ? En UE ou en dehors de l'UE ? Le Royaume Uni ne faisant plus parti de l'union européenne en possède déjà plusieurs : à nos portes JERSEY GUERNESEY, un peu plus loin l'ile de Man, encore plus loin les Iles Vie...

le 23/10/2023 à 17:34
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Vous avez oubliez la France qui, d'une certaine manière, est un havre fiscal pour multinationales. Documentez-vous, c'est le moment.

à écrit le 23/10/2023 à 15:51
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1 - « On risque d'avoir une course aux crédits d'impôt et aux exemptions à l'échelle de la planète. Il y a un déplacement de la course fiscale des taux d'impôt vers les crédits d'impôt. On l'a vu avec l'Inflation Reduction Act aux Etats-Unis. C'est u...

à écrit le 23/10/2023 à 15:35
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Alors les loulous, toujours aucune crise des recettes en parallèle à la crise des dépenses?🤡 En 2022, Rachel Etter-Phoya , chercheuse principale au Tax Justice Network, a déclaré: "La concession de l'OCDE aux abus fiscaux des entreprises est un choix...

à écrit le 23/10/2023 à 15:33
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"Les multinationales ont continué de transférer une partie faramineuse de leurs bénéfices (35%) vers les paradis fiscaux, malgré le durcissement de la réglementation et de la fiscalité mondiales" = ce qui signifie que la règlementation, même si elle ...

à écrit le 23/10/2023 à 14:50
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EVASION OU exil fiscal ? LA QUESTION SE PAUSE

le 24/10/2023 à 18:07
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C'est bien là le problème... si elle se PAUSE, ça ne risque pas d'évoluer. Si elle se P O SAIT, il y aurait de l'espoir.

à écrit le 23/10/2023 à 14:29
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oui c'est dans la logique des choses, faire semblant de croire que ceux qui fraude ne seraient pas sur la place publique, il faut bien qu'ils fassent de l'argent dans les pays qui s'en plaignent ! Et puis les conventions passées entre les pays minim...

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