La Suisse inaugure le nouveau tunnel du Gothard, sur fond de marasme économique

Par Romaric Godin  |   |  1074  mots
Le nouveau tunnel du Gothard doit faciliter les relations entre le Nord et le sud de l'Europe.
Alors que François Hollande, Matteo Renzi et Angela Merkel fêtaient l'ouverture d'une nouvelle voie d'une longueur record à travers les Alpes, la croissance helvétique a été quasi nulle au premier trimestre (+ 0,1 %). Le franc fort reste difficile à digérer

Il aura fallu 30 minutes aux 1.100 invités, dont Angela Merkel, François Hollande et Matteo Renzi, pour franchir les 57 kilomètres du nouveau tunnel du Gothard - le plus long du monde désormais - entre les villages suisses de Rynächt, dans le canton d'Uri, et celui de Pollegio, dans le Tessin. Une demi-heure qui facilite désormais le transit entre le sud et le nord de l'Europe à travers le massif alpin et qui aura coûté 9,8 milliards de francs suisses et 17 ans de travaux. « Nous pouvons en être fiers », a proclamé le président de la Confédération helvétique, Johann Schneider-Amann. Mais plus qu'un sujet de fierté, le passage du Gothard, longtemps source de richesse et de puissance pour les cantons suisses pourrait aussi être le salut économique pour le pays. Car le moins que l'on puisse dire, c'est que ce nouvel axe de transit tombe très bien pour la Suisse.

Faible croissance

En effet, alors que les chefs d'Etat et le président de la Confédération fêtaient comme il se doit cet événement, le Secrétariat d'Etat suisse à l'Economie (SECO) annonçait une mauvaise nouvelle pour le pays. Au premier trimestre 2016, l'économie helvétique a quasiment stagné en ne progressant sur un trimestre que de 0,1 % et sur un an de 0,7 %. Les économistes tablaient, compte tenu de la vigueur de la croissance en zone euro (+ 0,5 %) et de la très faible croissance du premier trimestre 2015 sur une progression de 0,4 % sur trois mois et de 1,4 % sur un an.

Les points faibles de la croissance suisse

Que s'est-il passé ? Trois faits principaux expliquent ce trimestre décevant. D'abord, le retrait de l'Etat. Devant la faible croissance et le manque à gagner lié aux pertes de la Banque nationale suisse (BNS), les pouvoirs publics suisses se sont serrés la ceinture au premier trimestre 2016. La consommation de l'administration a ainsi reculé de 0,8 % sur trois mois, enlevant un dixième de point de croissance.

Par ailleurs, la Suisse continue de souffrir de sa finance, qui représente environ 12 % de son PIB. La valeur ajoutée du secteur financier recule de 3 % sur le trimestre et ôté à elle seule 0,15 point de PIB sur le trimestre. Sur un an, les services financiers ont retiré 1,5 point de PIB au pays. La fin du secret bancaire explique une partie de cette crise, mais le secteur est aussi pénalisé par les activités de matières premières dont Genève est le centre mondial.

Enfin, la Suisse a souffert de la faiblesse du commerce de transit au premier trimestre. Les exportations hors transit ont ainsi progressé de 2,1 % sur le trimestre, mais elles ont stagné lorsque l'on ajoute ce commerce de transit. Signe que le nouveau Gothard est absolument le bienvenu pour l'économie helvétique.

Les points forts : investissements et consommation

Plusieurs éléments positifs continuent cependant à jouer en faveur de la Suisse. Certes, l'économie suisse continue à souffrir du franc fort, fruit de la décision de la BNS le 15 janvier 2015 de ne plus garantir le seuil de 1,20 franc pour un euro. La croissance des exportations de biens hors transit n'est ainsi que la conséquence d'une forte hausse des livraisons dans l'horlogerie, un des secteurs les plus touchés en 2015 par le franc fort. Les autres secteurs d'excellence de l'industrie exportatrice suisse continuent de voir leurs livraisons se réduire comme la chimie et la pharmacie, ou croître faiblement.

Baisser les prix pour résister

L'industrie suisse a réagi au franc fort par trois décisions : le déstockage, la baisse des prix et l'investissement pour gagner de la productivité. Les industriels ont accepté de voir leurs marges se réduire temporairement pour ne pas perdre pied sur les marchés mondiaux. Cette réaction a permis à la Confédération de faire face au choc sans dommages majeurs pour l'emploi. Le taux de chômage a certes progressé, mais faiblement et il reste à 3,5 % de la population active. La déflation interne a permis de modérer la croissance des salaires sans perte de pouvoir d'achat.

In fine, l'économie suisse peut compter sur deux moteurs importants : la consommation des ménages qui progresse de 0,7 % sur le trimestre et apporte 0,4 point de PIB et l'investissement en biens d'équipement qui croît de 2,1 % sur trois mois et apporte 0,3 point de PIB. Ces deux éléments compensent les effets de la baisse des stocks qui ôte près de 0,5 point au PIB. Ce système a bien fonctionné jusqu'ici : il a permis à l'industrie de résister à l'export tout en bénéficiant du soutien continu de la demande intérieure. Mais cela n'a été possible que parce que les marges des entreprises suisses étaient très élevées et que leurs positions de compétitivité ne dépendaient pas uniquement de l'effet prix. Il n'est pas sûr, du reste, que cette stratégie soit durable. Le déflateur (l'effet des prix) sur les exportations de biens au premier trimestre est de -3,9 % sur un an. C'est dire l'effort consenti par le « Made In Switzerland » pour maintenir ses positions à l'exportations.

Une résistance relative

Il convient cependant de ne pas trop surestimer cette résistance, cependant. La Suisse n'a évité une nouvelle contraction de son PIB, après celles du premier trimestre 2015 (-0,2 %) et du troisième trimestre 2015 (-0,1 %) que grâce à un léger affaiblissement du franc et à des éléments exogènes. L'euro s'est renforcé face au franc au cours du trimestre, passant de 1,08 franc le 1er janvier à 1,12 franc en février, puis repassant à 1,095 fin avril. Ceci a conduit à une bouffée d'oxygène pour l'horlogerie, notamment, qui a pu bénéficier de commandes repoussées durant 2015. Le SECO met aussi en avant le fait que les investissements sont soutenus par des livraisons de véhicules « indépendantes de la situation conjoncturelles ».

Chute du rythme de croissance

La Suisse doit donc espérer un nouvel affaiblissement du franc et un effet bénéfique du nouveau tunnel du Gothard inauguré ce 1er juin pour espérer reprendre un rythme de croissance plus conforme à sa tradition. Car, malgré la résistance décrite plus haut, la Confédération, depuis le 15 janvier 2015, a vu sa croissance ralentir spectaculairement. Et le fait que l'économie suisse ne soit pas parvenue à profiter davantage de l'accélération de la croissance de la zone euro est pour le moins préoccupant.