Le modèle social suisse 2/3 : une assurance chômage généreuse et rigoureuse

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1196  mots
En Suisse, la dette de l'assurance chômage ne peut pas dépasser 2,5% de la masse salariale. Sinon, des mesures exceptionnelles sont immédiatements prises.
Le système d'assurance chômage suisse est en excédent ! Les allocataires peuvent percevoir jusqu'à 80% de leur ancien salaire et ce pendant une durée de deux ans. Une générosité qui ne tient pas du "miracle" mais d'une gestion extrêmement rigoureuse des finances. Explication, à l'heure où, en France, les partenaires sociaux renégocient la convention d'assurance chômage

La Suisse : ses lacs, ses banques, ses montagnes et.... son assurance chômage qui mérite vraiment le détour, tant pour la rigueur de sa gestion que pour sa générosité. Un modèle à regarder et à ausculter alors qu'en France, organisations patronales et syndicales renégocient actuellement une nouvelle convention d'assurance chômage applicable le 1er juillet prochain. L'objectif est de parvenir à des économies alors que l'Unedic - l'organisme qui gère l'assurance chômage - enregistre un déficit annuel compris entre 3 et 4 milliards d'euros et que sa dette cumulée dépasse les 25 milliards d'euros. Une situation inimaginable du côté de la Suisse où le signal d'alarme est tiré dès la première alerte sur les finances du régime.

L'assurance chômage suisse est gérée par l'Etat

C'est très tardivement, à compter de 1984, que la Suisse a introduit une assurance-chômage obligatoire même s'il en existait des prémisses depuis la fin du XIXe siècle. Première grande différence avec la France, l'assurance-chômage suisse est une institution fédérale relevant du régime suisse de sécurité sociale au même titre que l'assurance maladie ou les prestations familiales. Il s'agit donc d'un dispositif étatique même si, bien sûr, comme toujours chez les Helvètes, au nom du sacro-saint « consensus » les organisations patronales et syndicales sont étroitement liées aux prises de décisions et au fonctionnement de l'assurance chômage.

En revanche, comme en France, les ressources du système sont essentiellement assises sur les cotisations des entreprises et des salariés. Depuis 2011, cette cotisation est égale à 2,2% du salaire (1,1% part employé et 1,1% par employeur) pour les salaires allant jusqu'à 148.000 francs suisses annuels (soit environ 133.200 euros). Pour les revenus au-delà de cette somme, il existe une cotisation supplémentaire de 1%. Globalement, ces cotisations « rapportent » 6,8 milliards de francs suisses à l'assurance chômage. Un budget complété par une participation financière de la Confédération Helvétique (465 millions de francs suisses) et des 26 cantons (155 millions).

Une indemnisation qui peut atteindre 80% du salaire

Et là, première surprise, les prestations de l'assurance chômage suisse sont extrêmement généreuses, davantage d'ailleurs pour leur montant que pour leur durée. Et pourtant, selon une légende tenace, la France, est toujours présentée, comme le pays le plus bienveillant en matière d'assurance chômage.

Un salarié suisse de moins de 55 ans qui a cotisé durant au moins un an percevra une indemnité durant un an. Et s'il a cotisé au moins 18 mois, cette indemnisation sera également portée à 18 mois. Pour les plus de 55 ans, l'indemnisation peut aller jusqu'à deux ans. Rappelons qu'en France, la durée d'indemnisation varie entre 4 et 36 mois selon l'âge et la durée de cotisation.

Quant aux montants de l'indemnisation, en Suisse, c'est... Byzance ! Un ex-salarié sans enfant à charge percevra 70% de son dernière salaire brut, dans la limite de 10.500 francs suisses par mois au maximum (soit environ 9.500 euros) et ce montant est porté à 80% de l'ancien salaire quand l'assuré a des enfants à charge (dans la limite de 12.350 francs suisses). Rappelons qu'en France, le montant de l'allocation de remplacement varie entre 57% et 75% de l'ancien salaire brut selon le montant de la rémunération perçue et la situation familiale ne rentre pas en ligne de compte.

Les allocataires sont fortement incités à retrouver vite un emploi et ce, via des « mesures actives » (formation, stage, appui à la recherche, etc) financées à hauteur d'environ 500 millions de francs suisses par an.

Les offices régionaux de placement (l'équivalent de Pôle emploi) est dans l'obligation de proposer un emploi « convenable » à l'allocataire. Légalement, cette offre d'emploi peut être située jusqu'à deux heures de transport du domicile du salarié... Ce qui couvre une bonne partie de la petite Suisse.

Comme en France, un allocataire qui n'apporte pas la preuve de sa recherche effective d'emploi peut connaître un « rappel à l'ordre » qui se traduira par l'interruption temporaire du versement de son allocation, voire définitive en cas de récidive. Mais, au secrétariat d'Etat à l'économie (Seco), on précise que ces « cas sont très rares car ce n'est pas dans la mentalité suisse de vouloir profiter du système. Au contraire, beaucoup de salariés licenciés ne s'inscrivent même pas au chômage car ils jugent cette pratique indigne et impudique !"....

En tout état de cause, il est de la responsabilité de chaque Canton de décider de « couper » l'indemnisation d'un demandeur d'emploi.

On notera que le choix de la caisse de chômage (Cch) qui verse les allocations appartient à l'ex-salarié. Celui-ci peut opter pour une caisse publique gérée par le Canton mais aussi pour une caisse privée gérée par une organisation patronale ou syndicale.

Mais, là où le système suisse d'indemnisation du chômage surprend le plus c'est dans sa gestion... très suisse.

Des règles de gestion extrêmement strictes

Les gestionnaires du régime veillent à ce qu'il n'y ait aucun dérapage dans les finances. Sinon, ils ajustent extrêmement vite et brutalement les prestations et les allocations. Le Seco explique : « Notre système d'assurance chômage est calibré pour un taux de chômage d'environ 3,5% et pour que l'endettement ne dépasse pas 2,5% de la masse salariale. Si ces bornes sont dépassées, on intervient immédiatement ».

Par exemple, après la crise financière de 2008, le chômage a grimpé en Suisse - pour atteindre 3,6% en 2010, soit 205.0000 chômeurs,... ce qui est beaucoup pour la Suisse - et la dette de l'assurance chômage est montée à 7 milliards de francs suisses en 2010, notamment en raison de l'explosion du « maintien en activité réduite » (chômage partiel) également indemnisé par le dispositif. Ni une ni deux, des « mesures exceptionnelles » ont été adoptées par le Parlement suisse et acceptées par une « votation » en septembre 2010. C'est notamment l'indemnisation des jeunes qui a été revue à la baisse, alors que les cotisations augmentaient.

Résultat, les réserves ont été reconstituées et une... baisse des cotisations chômage est maintenant envisagée. Grâce à cette gestion drastique et à la baisse du chômage - dont le taux est revenu à 3,3% selon les statistiques suisses-, en quatre ans, le nombre d'allocataires est redescendu à 136.764 en 2014 et l'assurance chômage est revenue à ... un excédent de recettes de 737,3 millions de francs suisses en 2014. En 2015, il atteignait encore 610 millions. Des réserves qui ont permis à l'assurance chômage de rembourser ses emprunts auprès de la Confédération suisse.

Cette vitesse de réaction serait littéralement impossible sans le consensus social qui règne en Suisse. Les organisations patronales et syndicales se retrouvent unies pour ne pas laisser les finances du régime se dégrader. Et même les syndicats sont prêts à accepter des sacrifices temporaires sur les prestations... Mais, il est vrai que, dans ce petit pays, il ne règne pas le climat de suspicion systématique entre partenaires sociaux que l'on trouve en France. Et la défense de la fameuse « prospérité suisse » passe au-dessus de tout.