Le protectionnisme américain inquiète la BCE

Par Grégoire Normand  |   |  829  mots
L'intensification des tensions sur les échanges de biens et services "risque de mettre en péril la reprise actuelle du commerce mondial et de l'activité", soulignent les spécialistes (Crédits : Reuters/François Lenoir)
Les récentes annonces de Donald Trump relatives à la hausse des droits de douane sur l'acier et l'aluminium préoccupent la Banque centrale européenne. L'institution bancaire a examiné les possibles conséquences des tensions croissantes sur les échanges commerciaux pour l'économie mondiale.

La politique commerciale américaine angoisse les économistes de la Banque centrale européenne (BCE). La multiplication des décisions relatives aux droits de douane sur l'acier et l'aluminium, et celle concernant le retrait des États-Unis de l'accord nucléaire iranien ne devraient pas apaiser les inquiétudes qui règnent sur la scène du commerce mondial. Dans son dernier bulletin économique publié le 10 mai, l'institution bancaire européenne rappelle que "les annonces de ces dernières semaines relatives aux droits de douane représentent un risque pour la dynamique mondiale."

"Les indicateurs relatifs au commerce mondial, bien que contrastés, font état dans l'ensemble d'un certain ralentissement au début de l'année. En outre, les risques géopolitiques ont entraîné une remontée des prix du pétrole."

Lors d'un récent entretien accordé à la télévision allemande, Emmanuel Macron a tenu à rappeler plusieurs principes.

"Nous avons des règles, celles de l'Organisation mondiale du commerce, nous devons les faire respecter et les respecter mutuellement", a insisté le président français. "Je crois que l'Europe doit se faire respecter, nous sommes une grande puissance du commerce international"

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Libéralisation du commerce : un rythme moins soutenu

Le rythme de la libéralisation du commerce mondial a ralenti ces dernières années alors que des mesures de restriction ont augmenté en parallèle, selon le bulletin précité. L'économiste Lucia Quaglietti rappelle que le nombre d'accords de libre-échange nouvellement signés a fortement diminué au cours des dix dernières années, "même si les accords récents ont une couverture plus étendue en termes de pays impliqués et de secteurs ciblés". Par ailleurs, l'évolution des taux de droits de douane illustre une légère remontée après la crise de 2008 comme le suggèrent les données de la Banque mondiale.

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Enfin, les mesures discriminatoires dans les pays du G20 augmentent régulièrement depuis 2012. "Parmi celles-ci, les deux principaux instruments utilisés ont été les mesures anti-dumping et les droits de douane sur les importations, qui représentent environ 30% de l'ensemble des mesures appliquées en 2017". Au final, le ralentissement du rythme des réformes des échanges commerciaux pourrait être l'un des facteurs qui a pesé sur la croissance des échanges commerciaux selon la BCE.

Rebond du commerce mondial

Malgré ce constat, le commerce mondial a connu un véritable rebond récemment. Les importations mondiales ont augmenté de plus de 5% en 2017, soit 1,4 point de pourcentage au-dessus de la moyenne 2011-2016. Dans une étude publiée à la fin de l'année 2017, l'Organisation mondiale du commerce expliquait que pendant la période d'octobre 2016 à octobre 2017. les membres de l'OMC ont continué à "prendre plus de mesures de facilitation des échanges que de mesures restrictives pour le commerce", une tendance observée depuis quatre ans. Résultat, les échanges commerciaux ont véritablement accéléré entre 2016 et 2017 dans un contexte de reprise mondiale.

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Des effets modestes mais des risques

Les conséquences des décisions prises par Donald Trump sur les tarifs douaniers concernant l'acier et l'aluminium devraient être relativement limitées. Les droits de douane annoncés ne concernent qu'une très faible part du commerce américain et des échanges mondiaux (0,5%). "Leur effet sera probablement modeste" indique la BCE. En revanche, l'organisation basée à Francfort se montre beaucoup plus sceptique sur l'avenir.

"Les risques associés à une escalade des tensions commerciales et à une inversion plus large de la mondialisation se sont clairement inscrits en hausse. Cela pourrait affecter les décisions d'investissement au niveau mondial et mettre à rude épreuve la résistance de la dynamique du commerce mondial."

L'intensification des tensions sur les échanges de biens et services "risque de mettre en péril la reprise actuelle du commerce mondial et de l'activité" soulignent les spécialistes. Dans le scénario d'une hausse généralisée des droits de douane à l'échelle mondiale, l'augmentation des prix pourrait accroître les coûts de production des entreprises et baisser le pouvoir d'achat des ménages. Cela pourrait également "affecter la consommation, l'investissement et l'emploi. De plus, une montée des tensions sur les échanges commerciaux alimenterait l'incertitude économique, conduisant les consommateurs à reporter leurs dépenses et les entreprises à différer leurs investissements".

Dans ses récentes prévisions économiques, la Commission européenne a également alerté sur les risques qui pèsent sur l'activité. Pour le commissaire européen aux Affaires économiques et financières Pierre Moscovici, "le risque le plus grand qui pèse sur ces perspectives optimistes est le protectionnisme [...] il ne doit pas devenir la nouvelle normalité ; cela ne ferait que nuire à ceux de nos citoyens qu'il nous faut protéger le plus.

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