Ukraine : la réponse limitée de la Russie pour éviter l'asphyxie de son économie

Par latribune.fr  |   |  1397  mots
Le gouvernement russe aura désormais la possibilité d'augmenter les retraites et le salaire minimum, "si nécessaire". Un moratoire sur les inspections des PME pourra également être introduit pour 2022, et jusqu'à fin 2024 pour les entreprises informatiques. Le texte introduit également un système simplifié d'achat de médicaments, ainsi qu'une liste élargie de ces derniers. (Crédits : SPUTNIK)
Le Parlement russe, la Douma, a décidé ce vendredi de mesures visant à "accroître la stabilité de l'économie russe ainsi qu'à protéger les citoyens face aux sanctions" occidentales. Mais au regard de l'ampleur de celles-ci, notamment celles qui débranchent certains secteurs d'activité du système interbancaire international Swift ou encore le blocage des réserves de la banque centrale russe, ces dispositions pourraient s'avérer limitées. La Russie tente de se tourner vers Pékin, mais la Chine reste prudente. Ce qui n'empêche pas des investisseurs chinois de parier sur une accélération du commerce entre les deux pays.

Dégringolade du rouble, panique de la place financière moscovite, fuite des entreprises étrangères, files d'attente qui s'allongent aux distributeurs d'argent... Alors que les sanctions occidentales en réponse à l'invasion de l'Ukraine impactent de plus en plus la Russie, Moscou vient de décider ce vendredi d'une série de mesures pour minimiser les conséquences économiques. Le Parlement russe, la Douma, espère avec ce texte va "accroître la stabilité de l'économie russe ainsi qu'à protéger les citoyens face aux sanctions".

Ainsi, le gouvernement aura désormais la possibilité d'augmenter les retraites et le salaire minimum, "si nécessaire". Un moratoire sur les inspections des PME pourra également être introduit pour 2022, et jusqu'à fin 2024 pour les entreprises informatiques. Le texte introduit également un système simplifié d'achat de médicaments, ainsi qu'une liste élargie de ces derniers.

Prolongement de l'amnistie sur les capitaux russes à l'étranger

Cette loi prévoit également une procédure simplifiée de "buyback", donc de rachat par une entreprise de ses propres actions. Le prix des actions des entreprises russes ayant été fortement déprécié, voire anéanti, cela leur permettrait de les racheter à faible prix afin de se consolider. La loi prévoit aussi une suspension du remboursement des dettes pour les citoyens et les PME en 2022, une mesure déjà introduite en début de pandémie de coronavirus.

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Enfin, il est prévu de prolonger une amnistie sur les capitaux en vigueur depuis plusieurs années, permettant aux Russes de rapatrier des biens et des capitaux détenus à l'étranger sans risquer de poursuites. Mais ces mesures apparaissent aujourd'hui difficilement applicables tant les sanctions occidentales visent les capitaux et les avoirs russes, notamment des oligarques, dans de nombreux pays, dont les actifs sont gelés.

La banque centrale russe avait déjà mis en place un contrôle des capitaux, comme l'obligation pour les exportateurs russes de convertir 80% de leurs recettes en roubles ou l'interdiction faite aux russes d'envoyer de l'argent à l'étranger. Une disposition permet également aux entreprises de modifier les candidatures proposées à leur conseil d'administration une mesure qui fait penser aux polémiques liées aux étrangers présents dans les organes consultatifs de nombreux grands groupes russes.

L'économie russe est dans un environnement agressif

Interrogé lors de son point presse quotidien ce vendredi, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a déclaré que "l'économie se trouve désormais dans un environnement agressif. L'économie nous concerne tous, concerne le bien-être de tous les citoyens, et des coups sont dirigés contre notre économie qui doivent être amortis et minimisés. C'est ce sur quoi le gouvernement et le président se concentrent désormais", a-t-il déclaré.

Depuis une semaine, l'économie russe tangue sévèrement, notamment par la mesure surprise des occidentaux visant à gelée les actifs à l'étranger de la banque centrale russe, une grande première. L'objectif est de limiter l'accès de la banque centrale à ses propres réserves, de l'ordre de 650 milliards de dollars, dont plus de la moitié libellée en dollars, en euros et en livre sterling. Cette force de frappe financière a permis à la banque centrale de soutenir jusqu'ici le rouble, ce qu'elle ne peut plus faire. De fait, la banque centrale russe a cessé ses interventions sur les devises en raison des sanctions occidentales.

Cette sanction inédite sur la banque centrale s'est couplée avec la déconnexion de certaines banques russes de la messagerie interbancaire Swift, selon une approche sélective qui ne devrait pas (trop) pénaliser les exportations en gaz et pétrole de la Russie.

La mise en place de solutions alternatives à Swift est possible car leur mise en œuvre prendra nécessairement beaucoup de temps, notamment pour sécuriser les échanges. La force de Swift repose en effet sur la confiance que portent toutes les banques à cette messagerie. Même le Kremlin a reconnu, lundi, « que la réalité économique avait considérablement changé ».

En milieu de semaine, les deux mastodontes paiements internationaux, Mastercard et Visa, ont privés de leurs réseaux de paiement plusieurs institutions financières russes. Concrètement, toutes les banques ciblées émettrices de cartes Visa ou Mastercard ne pourront plus assurer la moindre transaction à l'international pour le compte de leurs porteurs de cartes internationales. Déjà, en avril 2014, les deux entreprises avait suspendu leurs services pour les banques visées et les ont empêché d'utiliser leurs réseaux de paiement.

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Suite à ce précédent, le gouvernement russe avait accéléré la mise en place de leur propre système national de cartes paiement, Mir (« le monde » en russe), sous la responsabilité de la banque centrale russe. Ce système fonctionne comme un système de compensation pour le traitement des transactions par carte, mais uniquement pour les transactions domestiques. Mais l'ambition mondiale de cette carte de paiement n'a pas été atteint. Peu de pays acceptent ce mode de paiement.

La Russie tente de se tourner vers la Chine, mais...

La Russie tente de se tourner vers la Chine pour éviter l'asphyxie. Et notamment pour l'exportation de son gaz, alors que les Européens veulent se détourner définitivement de cette source d'énergie russe, qui fournit une grande partie des besoins du continent.

Aujourd'hui, la Russie subvient à 20% des besoins chinois en gaz naturel, dont une partie des livraisons se font sous forme de gaz naturel liquéfié (GNL), notamment par voie ferroviaire. En 2020, la Russie a livré 420 milliards de m3 à la Chine contre 170 milliards de m3 en 2013. Un volume qui va donc continuer à croître dans les prochaines années, les exportations de gaz russe en 2020 vers la Chine ne représentaient que 5% du total contre 72% pour les pays européens de l'OCDE. Enfin, la Russie fournit également du pétrole à la Chine qui représente 20% de ses exportations totales.

Des investisseurs chinois ont par ailleurs acheté ces derniers jours des actions d'entreprises liées aux chaînes d'approvisionnement impliquant la Russie en misant sur une augmentation des échanges commerciaux entre les deux pays après les sanctions occidentales visant Moscou. Ces sociétés font partie de l'indice dit du "concept commercial Chine-Russie", qui intègre entre autres des compagnies de transport maritime de conteneurs et des exploitants portuaires. L'indice a bondi de plus de 20% depuis le 28 février selon les données financières de la société spécialisée iFinD.

Parmi les valeurs qui profitent de ce mouvement figure Jinzhou Port 600190.SS, une entreprise de la province du Liaoning, dans le nord du pays, proche de la Russie, dont le cours a pris jusqu'à 10%, le maximum autorisé, au cours de six séances consécutives à la Bourse de Shanghaï.

"Les investisseurs s'attendent à ce que la Russie augmente sa coopération avec la Chine, ce qui a porté les valeurs concernées, notamment dans la logistique", explique Ade Chen, gérant de Guangdong Fund Investment à Guangzhou.

La Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures suspend son activité en Russie

Mais, au niveau diplomatique, Pékin adopte une position plutôt prudente sur l'invasion militaire russe en Ukraine. Si elle ne condamne pas, elle ne soutient pas. La Chine, qui est déjà la première destination à l'export de la Russie, ne se joindra pas aux sanctions occidentales, a déclaré mercredi l'autorité nationale du secteur bancaire.

Mais la dureté des sanctions imposées par les Occidentaux sonne comme un signal d'alarme pour la Chine qui ambitionne de réintégrer Taiwan, par la force si besoin.

Ce jeudi soir, la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures (BAII), réponse de la Chine à l'hégémonie dans le financement international détenue par la Banque mondiale, a suspendu ses activités avec la Russie et le Belarus. Compte-tenu de la situation en Ukraine et "dans le meilleur intérêt de la banque", la BAII "a décidé suspendre toutes (ses) activités liées à la Russie et au Belarus", a-t-elle indiqué jeudi dans un communiqué.

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