En s'abstenant au conseil de sécurité de l'Onu sur la résolution condamnant la Russie pour l'envahissement militaire de l'Ukraine, la Chine - comme l'Inde - a montré qu'elle entendait rester neutre malgré les appels de la Maison Blanche à rejoindre le camp occidental.
C'est qu'à Pékin, ce qui prime, ce sont les intérêts de la Chine. Autrement dit, le soutien ou la condamnation de Moscou dépend d'abord des opportunités qu'offre la situation créée par Vladimir Poutine. Le paquet de sanctions qui s'abattent sur la Russie montre que l'Occident entend mettre à genoux l'économie russe, quitte à en payer un prix élevé. Cela sonne comme un avertissement pour les autorités chinoises qui voient concrètement ce qui pourrait leur en coûter si elles comptent récupérer Taiwan, comme Moscou a annexé la Crimée.
Le projet de pipeline "The power of Siberia" lancé après l'annexion de la Crimée
Mais l'une des conséquences immédiates de cette guerre est la probable réorientation des exportations russes de gaz naturel, de pétrole et de charbon vers l'Asie, la Chine en particulier, puisque l'Europe a décidé de s'émanciper définitivement de la Russie pour ses besoins énergétiques. Ce n'est d'ailleurs pas un nouveau scénario.
C'est en effet après l'annexion de la Crimée, qui avait déjà valu à la Russie un ensemble de sanctions, que Moscou avait accéléré son rapprochement énergétique avec la Chine, en construisant le gazoduc "The power of Siberia" (le pouvoir de la Sibérie), opérationnel en décembre 2019, d'un longueur d'un peu moins de 3.000 kilomètres, qui achemine du gaz naturel du nord du lac Baïkal pour arriver en Chine, dans la province de Heilongjiang, au nord-est du pays. L'infrastructure, qui aura coûté 55 milliards de dollars, doit livrer annuellement sur 30 ans 1.400 milliards de m3 à la Chine.
Ces derniers jours, un nouveau projet de gazoduc - une extension du gazoduc "Power of Siberia" - vient d'être approuvé entre Gazprom et les autorités de Mongolie pour accélérer les livraisons de gaz à la Chine. Ce gazoduc, nommé Soyuz Vostok, va en effet passer par la Mongolie. D'une longueur de quelque 960 kilomètres, il aura une capacité annuelle de 50 milliards de m3 pour la Chine.
Aujourd'hui, la Russie subvient à 20% des besoins chinois en gaz naturel, dont une partie des livraisons se font sous forme de gaz naturel liquéfié (GNL), notamment par voie ferroviaire. En 2020, la Russie a livré 420 milliards de m3 à la Chine contre 170 milliards de m3 en 2013. Un volume qui va donc continuer à croître dans les prochaines années, les exportations de gaz russe en 2020 vers la Chine ne représentaient que 5% du total contre 72% pour les pays européens de l'OCDE .
L'énergie, obsession des dirigeants chinois
Car la question énergétique est une véritable obsession des dirigeants chinois. Le pays a dû faire face à des pénuries d'électricité ces derniers mois en raison d'une crise énergétique - comme en Europe - l'obligeant à fermer des sites de production d'acier et d'aluminium. Aussi, comme l'Allemagne ou l'Italie aujourd'hui, la République populaire est obligée de se tourner à nouveau vers le charbon plutôt que vers le gaz naturel qui évolue à des niveaux records pour subvenir à ses besoins en électricité, ce qui devrait remettre en cause ses objectifs de neutralité carbone.
Peu avant le Nouvel an chinois, le président Xi Jinping s'était rendu symboliquement fin janvier auprès de mineurs d'un site de Shanxi (nord), un des hauts lieux de la production de houille en Chine. "Nous ne visons pas la neutralité carbone parce que d'autres nous y obligent, c'est tout simplement parce que nous devons le faire", leur avait-il déclaré, tout en ajoutant: "Mais on ne doit pas se précipiter". La Chine dépend à 56% du charbon pour faire tourner son économie et le géant asiatique produit à lui seul 29% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit le double des Etats-Unis et le triple de l'Union européenne.
Déjà, en 2021, sa consommation de charbon a augmenté de 4,9%, atteignant 4 milliards de tonnes, soit son niveau le plus haut depuis 10 ans. Le pays a approuvé le lancement de nouvelles centrales électriques à charbon d'une puissance totale de 33 gigawatts. Elles émettront chaque année autant de CO2 que l'Etat américain de Floride, selon des données du Global Energy Monitor, citées par l'AFP.
Le retour en grâce du charbon
Pékin a promis de réduire sa consommation de charbon à partir de 2025, mais cela ne l'empêche pas d'augmenter ses capacités jusque là, avec des centrales qui pourront fonctionner pendant 40 ans en moyenne. Début février, Pékin a ainsi repoussé de cinq ans, à 2030, la date butoir pour réduire les émissions de la métallurgie.
Mais cela reste insuffisant. La Chine, pourtant premier producteur mondial de charbon, représente 17% des exportations de houille de la Russie. En 2018, un consortium russo-chinois a construit une centrale électrique d'une capacité de 1 gigawatt à Erkovetskaya, dans la région d'Amour, au sud-est du pays, pour acheminer directement l'électricité en Chine, alimentée par du charbon ou du gaz naturel. La Chine devrait donc sécuriser ses achats sur le long terme, d'autant que le prix du charbon thermique a lui aussi atteint un record historique. Sur le marché à terme de Newcastle en Australie, le prix de la tonne a dépassé aujourd'hui le seuil des 270 dollars, à 274,5 dollars. Depuis le 1er novembre 2021, le cours a bondi de 97%, stimulé par la demande croissante d'électricité. Là aussi, la Russie joue un rôle central. Les importations de charbon de l'Union européenne ont augmenté de 55,8 % en janvier par rapport à il y a un an, pour atteindre 10,8 millions de tonnes, dont la Russie a fourni 43 %, selon les données de fret recueillies par l'AFP. Pour le charbon également, l'Europe va devoir trouver des alternatives à l'offre russe.
30% des importations pétrolières chinoises sont russes
Enfin, la Russie fournit également du pétrole à la Chine qui représente 20% de ses exportations totales. Pour la Chine, ce volume correspond à quelque 30% de ses importations pétrolières. En 2021, cela représentait 1,6 million de barils par jour, une moitié étant acheminée par pipeline, l'autre moitié par tankers. La nécessité de sécuriser l'approvisionnement va dans ce cas aussi rapprocher les deux économies émergentes, d'autant plus que le prix du baril de pétrole Brent flirtait avec les 106 dollars, aujourd'hui en hausse de quelque 8%!