Le rapprochement entre la Russie et la Chine se joue aussi dans l’espace

Les deux puissances ont récemment accru leur coopération autour du spatial, notamment à des fins militaires. Un rapprochement que le conflit en Ukraine, en coupant les liens entre la Russie et les puissances occidentales, a toutes les chances de favoriser.
(Crédits : HANDOUT)

Plus de lanceurs russes pour OneWeb : l'opérateur de satellites basé à Londres a annoncé jeudi suspendre ses lancements depuis le cosmodrome russe de Baïkonour, suite aux pressions de Moscou exigeant du gouvernement britannique qu'il se retire du capital de l'entreprise. Une preuve que le conflit entre la Russie et l'Ukraine crée aussi des tensions sur le marché du spatial, traditionnellement marqué par une forte interdépendance entre les grandes puissances. Dans ce contexte, le rapprochement entre les agences spatiales russes et chinoises, déjà bien amorcé, devrait encore s'accélérer.

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Un nouvel accord signé juste avant l'invasion

Début février, soit quelques semaines avant le début du conflit, la Chine et la Russie ont annoncé un accord de coopération étroite entre leurs systèmes respectifs de positionnement par satellite, BeiDou et Glonass. Cette nouvelle étape, qui prévoit notamment d'assurer la « complémentarité des deux systèmes », vise à étendre un accord déjà signé en 2018 entre les deux puissances.

Dans le cadre de ce rapprochement, « les deux parties vont coordonner leur programmation pour maximiser l'utilisation des ressources par les deux systèmes dans le futur », explique au South China Morning Post Clark Shu, chercheur en télécommunication de L'Université des sciences et technologies électroniques de Chine. Il s'agira notamment de développer des synergies entre BeiDou et Glonass, afin d'éviter qu'un satellite BeiDou et un satellite Glonass survolent la même zone au même moment, par exemple.

La guerre des étoiles

Difficile de ne pas y voir une précaution prise par les Russes pour renforcer leur indépendance et la résilience de leur système de géopositionnement par satellite en prévision du conflit ukrainien. « Il s'agit clairement d'une stratégie mûrie longuement en amont », selon Mark Hilborne, expert des questions de défense et de sécurité au Space Security Research group du King's College London.

« La coopération spatiale entre la Russie et la Chine a commencé à s'accroître à partir de 2014, alors que les relations entre l'Occident et la Russie se détérioraient suite à l'annexion de la Crimée. En 2017, par exemple, la Russie et la Chine se sont mises d'accord pour collaborer sur les débris spatiaux, la surveillance terrestre et des projets lunaires. Les deux puissances ont également émis des co-déclarations dénonçant la militarisation de l'espace par les États-Unis. »

Si les détails concernant une coopération militaire dans le cadre de l'accord signé en février n'ont naturellement pas été communiqués, il est très probable que les deux pays cherchent à renforcer la résilience de leurs systèmes respectifs en cas de conflit, selon Serge Plattard, fondateur de l'Institut européen de politique spatiale.

« Dépendre d'un seul système de navigation n'est pas idéal, car il peut être brouillé ou tomber en panne. Il serait donc logique que dans le cadre de cette collaboration, Russes et Chinois mettent en place des systèmes d'armes qui soient bi-compatibles avec les signaux Glonass et BeiDou. C'est du reste la voie qu'a empruntée l'Otan pour ses propres systèmes d'armes avec le GPS et Galileo. »

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D'après Mark Hilborne, les deux puissances s'efforcent également de joindre leurs forces autour de la détection de missiles balistiques.

« Dans le cadre d'une plus grande intégration des deux systèmes, les stations au sol situées au nord et à l'ouest de la Russie pourraient apporter des données à la Chine pour une détection améliorée, tandis que les Chinois rendraient la politesse avec leurs données collectées à l'est et au sud du pays.

La Chine a aussi récemment exprimé son intention de développer des systèmes de détection des missiles depuis l'espace, domaine dans lequel la Russie est en avance sur l'Empire du Milieu et a promis de l'aider à se moderniser. La Chine a enfin acheté le S-400 Triumph à la Russie. La prochaine génération de ce système, le S-500, aura des capacités anti-satellites... »

L'ours russe montre les dents

L'expulsion de OneWeb montre en outre que le gouvernement russe est déterminé à utiliser son importance sur le marché spatial dans le cadre du conflit en guise de représailles aux sanctions occidentales.

L'Agence spatiale russe Roscosmos avait déjà annoncé samedi dernier la suspension de ses lancements spatiaux depuis Kourou et rappelé son personnel technique — 87 personnes au total — en réaction aux sanctions de l'Union européenne à l'encontre de la Russie après l'invasion de l'Ukraine.

Plus tard dans la journée de jeudi, Dmitri Rogozine, qui se trouve à la tête de Roscosmos, a également annoncé que son agence allait se focaliser sur la création de satellites militaires. « Notre programme spatial, bien sûr, va être ajusté. Tout d'abord, des priorités vont être établies », a déclaré Dmitri Rogozine, à la tête de Roscosmos, lors d'un entretien avec la chaîne de télévision d'État Rossiya-24.

« La priorité ici est la création d'appareils spatiaux pour les besoins à la fois de Roscosmos et du ministère de la Défense », a-t-il ajouté.

À eux deux, Glonass et BeiDou comptent la plus large flotte de satellites de géopositionnement au monde

Le projet BeiDou est né durant les années 1990, mais la constellation actuelle, qui constitue la troisième génération du projet et la seule à offrir une couverture mondiale, a été démarrée en 2015. Elle est devenue parfaitement opérationnelle en juin 2020, lorsque le 30e appareil actif de la constellation a été mis en orbite.

Opérationnel en 1996, Glonass a quant à lui souffert de la crise économique qu'a connue la Russie à la fin des années 1990 : l'agence spatiale russe ne parvient alors plus à maintenir un nombre suffisant de satellites en orbite pour assurer le bon fonctionnement du service. Il redevient finalement opérationnel au cours des années 2010. Glonass compte 24 satellites en orbite. BeiDou, lui, en dénombre 35, soit 59 appareils au total, contre 31 pour le GPS et 30 pour Galileo.

Quel avenir pour OneWeb ?

Née aux États-Unis, la jeune pousse OneWeb a de son côté pour ambition de gérer une flotte de satellites en orbite basse (1 200 km). Elle a été rachetée en 2020 par  le conglomérat indien Bharti Global et le gouvernement britannique, qui souhaite s'en servir pour proposer une connexion internet par satellite, sur le modèle de la constellation Starlink d'Elon Musk. Mais aussi, à terme, proposer son système de GPS maison, le Brexit ayant entraîné la mise à l'écart du Royaume-Uni du projet européen Galileo, dont il avait été l'un des principales parties prenantes.

Des espoirs qui ont toutefois été douchés, selon une source proche du dossier qui a tenu à rester anonyme : « Des tests ont été menés, mais pour l'heure c'est un désastre, la précision est de 20 ou 30 mètres [NDLR : contre moins de 2m pour Galileo]. Cela ne veut pas dire que le projet ne se fera pas, mais ce ne sera pas aussi simple que le souhaitaient les autorités britanniques. » La rupture des relations avec la Russie constitue dans ce contexte un coup dur supplémentaire pour les ambitions de la Couronne britannique.

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Commentaires 3
à écrit le 04/03/2022 à 12:14
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La Chine joue double jeu , il serait temps de diversifier nos centres de production. On pourrait transférer des usines ailleurs , Vietnam , Corée du sud, Inde , Afrique. Nous sommes trop dépendants d'un pays qui avance sournoisement pour déstabiliser...

le 05/03/2022 à 9:55
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D'accord à 100% mais allez le faire comprendre aux cranes d'oeufs qui ''dirigent'' la France...

à écrit le 04/03/2022 à 8:28
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Seules faces aux états unis, Chine ou Russie ne pèsent rien contre 200 milliards investis chaque année dans les armes et la première puissance de renseignement du monde avec une longueur d'avance sur les autres, même si historiquement ça colle pas le...

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