Législatives : une abstention record qui modifie la donne

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1262  mots
L'abstention record au premier tour des législatives relativisent les résultats.En réalité, la majorité présidentielle n'a rassemblé que 15,39% des suffrages même si le mode de scrutin devrait lui assurer une majorité écrasante en sièges. Mais la forte abstention devrait pousser à la prudence.
Plus de 51% des Français ont boudé les urnes lors du premier tour des législatives. Un niveau jamais vu qui aura des conséquences sur le second tour... et au-delà. Une abstention qui a aussi des causes très politiques.

Démotivation, désintérêt, fatalisme ??? Jamais depuis la création de la Ve République, le taux d'abstention à un premier tour des élections législatives n'a été aussi élevé. Selon les résultats officiels du ministère de l'Intérieur, 51,29% des électeurs se sont abstenus dimanche 11 juin, soit plus d'un électeur sur deux. Pour mémoire, ce taux d'abstention était de 48,78% en 2012 et de 39,56% en 2007. En 2002, année où pour la première fois l'inversion du calendrier électoral avait été appliquée - les législatives ont été placées après la présidentielle - il était de 35,58%. Premier constat donc, depuis cette fameuse inversion du calendrier, le taux d'abstention aux législatives ne cesse de progresser. Comme si les Français considéraient que la présidentielle est la « mère de toutes les élections » et qu'il n'est pas utile de se mobiliser pour la suite... Mais ce seul argument ne se suffit pas à lui tout seul. Les particularités de la situation de 2017 expliquent aussi pour beaucoup ce désintérêt apparent.

Une abstention qui nuit au Front National

En tout état de cause, le fait que le  « parti de la pêche à la ligne » soit arrivé en tête du premier tour a déjà une conséquence pratique pour le second. Alors que l'on s'attendait à une multiplication des triangulaires, voire des quadrangulaires, il n'y aura finalement... qu'une seule triangulaire, contre 34 en 2012 et... 79 en 1997. Elle aura lieu dans la 1ère circonscription de l'Aube, où Grégory Besson-Moreau (La République en marche) est arrivé en tête avec 29,86% des suffrages. Il sera opposé au député sortant Nicolas Dhuicq (« Les Républicains », 25,68%) et au frontiste Bruno Subtil (24,89%)... A moins que le candidat LR, arrivé en seconde position, décide in fine de se désister pour empêcher une victoire du candidat FN.

Dès dimanche soir, Marine Le Pen, a regretté ce fort taux d'abstention. Lucide, la patronne du FN a tout de suite compris que ses troupes ne se sont pas mobilisées en masse. Or, elle comptait justement sur la multiplication des triangulaires pour avoir une chance d'étoffer son groupe de députés à l'Assemblée nationale. De fait, il convient de rappeler que pour se maintenir au second tour, un candidat doit avoir obtenu au premier tour au moins 12,5% des inscrits sur les listes électorales dans sa circonscription. Or, selon un modèle élaboré par Ipsos/Sopra Steria, avec une abstention de 51% signifie qu'il faut alors obtenir environ 25% des suffrages exprimés au premier tour pour pouvoir concourir au second. Dans ces conditions, la barre est très haut perchée...

15,4% des voix pour la majorité présidentielle

Autre conséquence de cette forte abstention, elle pousse mathématiquement à relativiser les résultats. Ainsi, exprimé en pourcentage des électeurs inscrits, le grand vainqueur de ce premier tour de scrutin, LREM / MoDem n'obtient « que » 15,4%. Et, bien entendu, c'est pire pour les autres familles politiques : LR /UDI 10,3% ; FN 6,3% ; La France Insoumise 5,3% et PS et ses alliés...4,5%. La domination « écrasante » des soutiens à Emmanuel Macron est donc à relativiser dans ce contexte. Certes, en raison des règles du scrutin, LREM et ses alliés du MoDem devraient se retrouver avec une majorité absolue de députés littéralement écrasante. Pour autant, parler d'un véritable vote d'adhésion à la politique qu'entend mener le président et son gouvernement - comme l'a déjà fait le Premier ministre Edouard Philippe - semble pour le moins présomptueux. Dit autrement, en 2012, au premier tour des législatives, le PS avait recueilli 7,6 millions de voix et l'UMP 7 millions. Cette année, arrivant pourtant en tête, LREM ne récolte « que » 6,4 millions des voix.

Huit votes en huit mois

Alors, comment expliquer cette désaffection aux conséquences importantes. D'abord, première particularité de cette séquence politique de 2017 : sa longueur. De fait, pour la première fois, les deux principaux partis de gouvernement, LR et le PS, ont organisé une primaire pour désigner leur candidat à la présidentielle. Résultat, les élections ont commencé à occuper le devant de la scène médiatique dès la fin des vacances d'été de 2016. Et si l'on tient compte des deux tours de chaque primaire, des deux tours de la présidentielle et des deux tours des législatives, les Français étaient potentiellement appelés aux urnes huit fois en huit mois. C'est beaucoup.

Il y a eu sans doute le sentiment qu'en réalité, avec l'élection d'Emmanuel Macron à l'Elysée le 7 mai, les jeux étaient faits et les élections législatives ont été « zappées ». Les Français ayant l'impression que la politique « se faisait » à l'Elysée et à Matignon, pas au Parlement.

L'hyperpersonnalisation du scrutin présidentiel de 2017 doit aussi être prise en compte. Chacun dans leur genre, par leur charisme respectif, Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen sont parvenus à galvaniser leurs troupes lors de la présidentielle. En revanche, lors des législatives, la campagne se déroule dans 577 circonscription, et les leaders ne parviennent pas toujours à entretenir la même dynamique. Ainsi, une enquête Ipsos-Sopra-Steria montre que les électeurs de Jean-Luc Mélenchon (53%) et de Marine Le Pen (56%) à la présidentielle n'ont pas voulu voter aux législatives pour leurs représentants et ont préféré rester chez eux.

A cela, s'ajoute peut-être pour Marine Le Pen, le fait qu'elle a complètement raté son débat de l'entre-deux tours face à Emmanuel Macron, ce qui a pu décontenancer une partie de son électorat également échaudé par les bisbilles internes au parti. Et, du côté de Jean-Luc Mélenchon, certains de ses propos un peu extrêmes - quand il traite « d'assassin » l'ancien premier ministre Bernard Cazeneuve - n'ont pas joué non plus en sa faveur.

Autre phénomène, la même enquête Ipsos observe que 38% des électeurs de François Fillon à la présidentielle se sont abstenus au premier tour des législatives. Or, il s'agit d'un électorat âgé et habituellement très porté à se rendre aux urnes. Il est certain que ce désengouement subit et passager ( ?) a porté un rude coup à LR.

Les jeunes et les ouvriers votent peu

Ce phénomène d'abstention politique a donc été beaucoup plus marqué en 2017 que lors des scrutins législatifs précédents. Parallèlement, l'abstention socio-professionnelle et liée à l'âge, plus classique, est toujours bien présente et s'est même amplifiée. Ainsi, toujours selon Ipsos, 66% des ouvriers et 63% des 18-24 ans ne sont pas allés voter. Autant de voix en moins pour le Front National et la France Insoumise dont une grande partie de l'électorat se retrouve dans ces populations. A l'inverse, les cadres ont plus massivement voté (le taux d'abstention chez les personnes gagnant plus de 3.000 euros mensuel est limité à 42%) et essentiellement pour les listes LREM/MoDem (36%).

Il faudra donc au président, à son gouvernement et à la future majorité sortie des urnes faire une analyse lucide de la situation pour éviter très vite les désillusions et les quiproquos. Emmanuel Macron ne rassemble pas une majorité de Français derrière lui. Il bénéfice en revanche non seulement d'un mode électoral qui amplifie les victoires mais surtout de la résignation d'une partie des Français qui a préféré rester chez elle plutôt que d'aller voter. La prochaine réforme du Code du travail va constituer à cet égard un premier test sur la perspicacité du nouveau pouvoir.