Présidentielle 2017 : la très épineuse question des travailleurs détachés

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1118  mots
Lors du débat pour la présidentielle du 4 avril, la question des travailleurs étrangers détachés en France a encore enflammé les esprits. Marine Le Pen, notamment, fait ses choux gras des fraudes à la directive de 1996. Un sujet récurrent que la France voudrait régler via l'adoption d'une nouvelle directive.
A chaque débat de la présidentielle, revient la question des détournements de la directive européenne sur le détachement des salariés étrangers en France. Les fraudes sont en effet nombreuses. La France milite d'ailleurs pour l'adoption d'une nouvelle directive.

Les travailleurs détachés ! Voilà un thème récurrent qui enflamme les esprits lors de chaque débat organisé dans le cadre de l'élection présidentielle. Et ça n'a pas raté mardi 4 avril, lors du débat entre les onze candidats diffusé par BFMTV et CNews. C'est Nicolas Dupont-Aignan, candidat de Debout la France qui a lancé les hostilités :

« Du premier jour de mon élection, je supprimerai la directive "travailleurs détachés", c'est inacceptable que des personnes viennent de Roumanie, de Pologne, d'Espagne et ne paient pas les charges sociales quand nos artisans, nos indépendants les paient. »

Marie Le Pen aussi, y est allée de son appréciation sur la directive "travailleurs détachés" :

« Je ne veux pas de cette directive détachement, même si on respecte la loi. Je la trouve profondément injuste parce qu'elle crée une priorité étrangère à l'emploi... Le travailleur étranger est moins cher que le travailleur français ».

Réplique immédiate de Jean-Luc Mélenchon :

« Le travailleur détaché, ce n'est pas la personne qui est en cause, ce n'est pas sa nationalité qui compte. Il a été embauché, mais il n'a pas les mêmes cotisations sociales ».

Emmanuel Macron, quant à lui, a défendu la fameuse directive et a rappelé que sa loi de 2015 durcissait les contrôles contre le détachement illicite de travailleurs européens.

"Le problème, c'est le travail détaché illégal [...]. Je suis pour un contrôle, pour l'harmonie sociale. Je vous dis que le cœur du problème est dans un contrôle accru, qui a été mis en place et se renforce, mais qui est insuffisant."

Une directive de 1996 régulièrement détournée

Un sujet très chaud donc, mais quel est véritablement le problème ? Du fait que la fraude au détachement des salariés étrangers est une véritable plaie. Le fléau est de fait très consistant. Un rapport sénatorial estimait qu'entre 220.000 à 300.000 travailleurs seraient détachés illégalement en France... Un nombre quasi équivalent à celui des détachés "légaux".

Une directive européenne de 1996 - que la France et d'autres pays européens souhaitent totalement revoir - prévoit qu'une entreprise peut envoyer provisoirement des salariés dans un autre pays de l'Union européenne (UE), à condition d'appliquer certaines règles du pays d'accueil (salaires, conditions de travail). Problème : pendant une durée de deux ans, ce sont les règles de protection sociale du pays d'origine qui peuvent continuer de s'appliquer.

Résultat, ces salariés et leurs employeurs n'ont à acquitter aucune cotisation sociale à la Sécurité sociale française, ce qui peut conduire à des situations de "dumping social" de moins en moins acceptées par les entreprises... et par les salariés français en ces périodes de faible croissance.

Déjà, en 2013, Michel Sapin, alors ministre du Travail, avait réussi à faire bouger les lignes en faisant adopter une "directive d'application" de la directive de 1996, qui permettait à chaque état membre d'exiger les documents de son choix auprès d'une entreprise étrangère qui souhaite détacher des salariés dans un pays d'accueil. Surtout, elle crée une responsabilité solidaire entre donneurs d'ordre et sous-traitants dans le secteur de la construction en cas de fraude au détachement. Une mesure qui a été précisée quelques mois plus tard, en juillet 2014, dans une « loi Savary » qui tenait à éviter au donneur d'ordre de se « défausser » sur le sous-traitant.

Concrètement, par exemple, en cas de fraude, un donneur d'ordre dans le bâtiment sera obligé de payer les salaires (ou compléments de salaires) ainsi que les cotisations sociales non payées par des sous-traitants employant frauduleusement des détachés. Un décret, publié en 2016, est venu étendre cette règle à tous les autres secteurs d'activité.

Des mesures de renforcement des contrôles aux effets limités

Depuis l'adoption de la loi Macron en 2015, d'autres mesures ont aussi été instituées pour tenter de freiner le travail détaché illégal. Ainsi, depuis le 1er janvier 2016, il a été instauré une carte d'identification professionnelle, obligatoirement portée par tout employé sur un chantier. Cette carte est munie d'un code avec le nom de l'ouvrier, celui de l'employeur, la nature de son contrat et s'il est étranger, la date d'entrée et de sortie de France.

Reste, que de savants montages permettent encore de contourner la directive détachement. Pis, des résidents français se retrouvent parfois dans une situation de détachés... en France. Quel est le mécanisme? Certaines entreprises de travail temporaire s'implantent dans des pays où les taux de charges sociales sont faibles pour ensuite recruter et détacher du personnel résidant dans le pays d'accueil. Par exemple - cas réel - des Français seront « invités » à s'inscrire dans une entreprise de travail temporaire luxembourgeoise ou monégasque pour ensuite effectuer leur mission... en France mais en étant soumis aux règles de protection sociale luxembourgeoise ou monégasque... Certes, depuis la loi Macron, de tels montages sont plus difficiles, car une entreprise « étrangère » ne peut plus détacher des salariés en France lorsqu'elle exerce une activité « habituelle, stable et continue en France ou, à l'inverse, qu'elle n'exerce aucune activité hors simple gestion dans son État d'origine ».

L'absence d'unanimité pour une nouvelle directive

Mais rien ne sera vraiment réellement efficace sans une refonte totale de la directive de 1996 sur le détachement. La France est très en pointe sur ce sujet, elle a réussi à entrainer d'autres pays comme l'Allemagne, la Suède, la Belgique. En revanche, les pays Baltes, la Roumanie, la Pologne... freinent des quatre fers. Pour faire avancer les choses, huit ministre du Travail européens avaient même cosigné une tribune en décembre 2016, publiée dans le quotidien « Le Monde ». Les ministres demandent notamment que la nouvelle directive prévoit que les travailleurs détachés puissent bénéficier d'une rémunération équivalente à celle des travailleurs du pays d'accueil dès le premier jour de leur détachement. Il n'en reste pas moins que ce projet de nouvelle directive reste pour l'instant dans les cartons à Bruxelles du fait de l'absence de consensus sur la question au niveau du Conseil européen.

En attendant, le Front National peut donc continuer de faire ses choux gras de ce dossier, véritable épine plantée dans le pied de tous les gouvernements successifs, tant les contournements incessants de la directive de 1996 nourrissent l'euroscepticisme.  

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