Catalogne : la présidente du parlement devant la justice

Par Romaric Godin  |   |  1624  mots
La présidente du parlement catalan se rend au tribunal accompagnée des principaux dirigeants indépendantistes catalans.
Carme Forcadell a été convoquée par la justice espagnole pour avoir soumis au vote une motion favorable à l'indépendance. Un épisode crucial dans l'inévitable "choc institutionnel" entre Madrid et Barcelone.

L'année 2017 sera une année décisive pour la Catalogne et l'Espagne. Le gouvernement indépendantiste catalan dirigé par Carles Puigdemont prévoit en effet d'organiser « dans la deuxième quinzaine de septembre » un référendum sur l'indépendance de l'Espagne dont il s'est engagé à respecter le résultat. En attendant, la tension risque de ne pas cesser de monter entre Barcelone et Madrid.

Ouvertures de Madrid ?

Certes, dans les semaines qui ont suivi sa nomination par le Congrès des députés espagnol début novembre, le président du gouvernement du Royaume, Mariano Rajoy, tente quelques ouvertures. Le gouvernement espagnol se dit ainsi prêt à évoquer avec le gouvernement autonome de Catalogne 45 des 46 thèmes mis en avant par Carles Puigdemont lors de son dernier voyage à la Moncloa, le siège du gouvernement espagnol. Voici deux mois, le président catalan avait proposé une « ultime » tentative de conciliation avec Madrid en demandant l'ouverture d'un dialogue. Mariano Rajoy pourrait présenter quelques concessions financières et judiciaires, mais il reste un point sur lequel Mariano Rajoy ne souhaite pas ouvrir de discussion : celui du référendum d'autodétermination Rien d'étonnant dans la mesure où les conservateurs du PP, mais aussi leurs alliés de Ciudadanos et le PSOE socialiste, considèrent qu'une telle consultation met en danger l'intégrité territoriale de l'Espagne. On craint en outre que cette demande soit reprise par le Pays Basque où l'impact de la « rébellion catalane » sur les partis régionalistes est important.

Mais ce dernier refus risque de rendre toute autre discussion vaine, dans la mesure où, en Catalogne, le référendum est devenu une question centrale. Le gouvernement catalan qui s'est engagé sur ce référendum en septembre dernier vis-à-vis de sa majorité parlementaire alors mise en danger par les divisions internes, ne peut désormais faire marche arrière sur ce point. Dès lors, toute négociation entre Madrid et Barcelone semblent vouées à l'échec. Carles Puigdemont parle de "simulacre de discussion".  Mariano Rajoy le sait et peut ainsi prétendre ouvrir des discussions en sachant qu'elles ne mèneront nulle part. Tous les éléments d'un « choc des trains » institutionnel - comme l'on dit en Catalogne - sont réunis. L'attitude des deux parties vise davantage désormais à pouvoir imputer à l'autre la responsabilité de ce choc.

Un référendum déjà illégal...

L'impression d'une course inévitable vers un tel choc a été renforcée au cours des derniers jours. Mercredi 14 décembre, le Tribunal constitutionnel (TC) espagnol a censuré et suspendu la feuille de route du gouvernement catalan approuvé par le parlement le 6 octobre qui prévoit la convocation du référendum sur l'indépendance. Le TC a rappelé à Carles Puigdemont qu'il est tenu de faire respecter cette décision. Désormais, le président catalan est dos au mur : toute avancée vers le référendum de septembre sera une sortie de la légalité espagnole et la création ad hoc d'une légalité catalane reposant sur la souveraineté du parlement catalan hors des pouvoirs que lui donne la constitution espagnole. Le choc institutionnel deviendra alors inévitable.

... mais auquel tient le gouvernement catalan

Or, Carles Puigdemont a prévenu, après cette décision, qu'il n'entendait pas reculer. Jeudi 15 décembre, il a affirmé devant la presse : « Nous voterons, nous débattrons et nous nous réunirons », avant de confirmer que la feuille de route censurée par le TC « tient toujours ». Le sommet visant à la préparation du référendum qui doit avoir lieu avant la fin de l'année est maintenu. Le gouvernement catalan poursuit donc dans la logique d'unilatéralité qu'il a commencé à adopter en juillet dernier, en partie pour débloquer la situation avec l'Espagne, en partie pour maintenir l'unité de sa majorité. Cette détermination prouve assez que toute solution n'incluant pas la reconnaissance du droit à l'autodétermination dans le cadre du référendum - qui équivaut pour les indépendantistes à une reconnaissance de la nation catalane - sera un échec certain. L'espoir de Mariano Rajoy d'un pacte avec les nationalistes catalans, comme en 1996 entre Jordi Pujol et José María Aznar, semble totalement infondé.

La présidente du parlement catalan devant la justice

Dès lors, malgré l'apparente bonne volonté de Mariano Rajoy, la judiciarisation de l'indépendantisme catalan se poursuit et a connu, ce vendredi 16 décembre, une nouvelle étape importante. La présidente du parlement catalan, Carme Forcadell, a été convoquée devant le Tribunal supérieur de justice de Catalogne (TSJC) pour répondre du délit de désobéissance civile. On lui reproche d'avoir soumis au vote des députés un rapport d'une commission parlementaire qui préconisait le recours à l'unilatéralité en juillet dernier. Avant le vote, le TC avait réclamé de la présidente du parlement qu'elle ne soumette pas la résolution à l'avis des députés. Carme Forcadell, qui n'en avait rien fait mais qui n'avait pas pris parti dans le débat, encours notamment la suspension de sa charge.

Accompagnée par une foule compacte de partisans de l'indépendance, elle est ressortie du tribunal après un peu plus de 30 minutes et a dénoncé cette mise en cause judiciaire. Pour elle, ce qui s'est passé est « inconcevable dans un pays vraiment démocratique » et « n'aurait jamais dû se passer ». Pour Carme Forcadell, son procès est politique : « Le pouvoir exécutif utilise le pouvoir judiciaire pour réduire le droit à débattre du parlement. C'est aussi et aussi grave que cela. » Derrière cette décision, c'est le droit à débattre de l'indépendance qui est visé, explique la présidente qui met en garde : « Si l'on ouvre la porte à la censure, on ne pourra pas la fermer. »

Affaire importante pour le processus

Cette affaire Forcadell est essentiel parce qu'elle fixe les limites judiciaires au débat sur l'indépendance. Légalement, la Constitution espagnole ne prévoit aucune possibilité d'indépendance catalane et toute mesure, y compris parlementaire, pour aller dans ce sens est donc par essence inconstitutionnelle. Mais dès lors de la Catalogne dispose d'une majorité parlementaire indépendantiste, élu sur un programme indépendantiste, donc inconstitutionnel, la liberté d'action et de discussion de cette majorité se trouve nécessairement limitée par la constitution. La liberté de discussion de cette majorité, puis la légitimité parlementaire, deviennent alors problématiques, ouvrant la question de la liberté d'expression pour les idées indépendantistes non pas seulement dans l'opposition comme théorie, mais dans la majorité comme pratique.

Difficile d'accepter une déchéance de Carme Forcadell pour les indépendantistes

Dès lors, si le tribunal décide la déchéance de Carme Forcadell, le choc institutionnel entre les deux légalités pourrait avoir lieu avant même le référendum. Si la présidente a refusé de dire ce qu'elle ferait dans ce cas, Carles Puigdemont, lui, a annoncé, ce vendredi, que la décision du tribunal sera ignorée et que « Carme Forcadell continuera à être la présidente qui a écouté le peuple de Catalogne ». Formule qui laisse entendre qu'elle devrait continuer à siéger. Il est vrai que le président catalan n'a guère le choix. Respecter la décision de déchéance sera perçu comme un signe de faiblesse et augurera mal de la capacité du gouvernement à organiser un référendum malgré l'interdiction du TC. Cela mettrait aussi en danger sa coalition avec la gauche radicale indépendantiste, la CUP. Certes, il peut faire nommer un autre indépendantiste à la tête du parlement qui soutiendra aussi le débat sur le processus indépendantiste, mais cet acte de faiblesse risque de lui coûter cher.

Forcer la décision de Podemos

Du reste, refuser la décision du tribunal en cas de déchéance obligera la gauche proche de Podemos et de la maire de Barcelone, Ada Colau, de prendre position. Ce mouvement politique a protesté contre l'action de la justice espagnole. En cas de déchéance, elle devra choisir son camp. Comment dénoncer la « judiciarisation » de l'indépendance et accepter la décision de justice ? Mais si Podemos et ses alliés choisissent de soutenir la désobéissance, alors ce sera une reconnaissance de fait de la possibilité de l'indépendance. Les Indépendantiste, qui tentent d'élargir la base de soutien au référendum susceptible d'être boycotté par les non-indépendantistes n'attend pas mieux. La possibilité d'un maintien de Carme Forcadell en cas de déchéance est donc forte.

Choix difficile pour Madrid

D'autant qu'une désobéissance catalane placera Madrid en position difficile. Elle ruinera toute tentative de discussions avec Barcelone. Mais surtout elle ouvrira un choix impossible. Ne rien faire serait reconnaître qu'il a perdu le contrôle sur le territoire catalan, et donc que l'indépendance est possible. Mais faire respecter la décision du tribunal en arrêtant Carme Forcadell ou en agissant contre le parlement serait s'exposer à une mobilisation populaire et à une escalade.

Concrétisation de la tension

Jusqu'ici la tension entre Barcelone et Madrid en était restée au stade verbal : il s'agissait de déclaration, de décisions judiciaires sans conséquences ou de résolutions parlementaires. Avec la déchéance de Carme Forcadell, cette tension va prendre corps et devenir concrète. Elle va conduire inévitablement à un conflit latent depuis longtemps entre la légalité espagnole et la légitimité catalane. Un conflit dont l'effet sera nécessairement paneuropéen, posant alors la question au niveau de l'UE.