En Pologne, les conservateurs eurosceptiques pourraient remporter les élections législatives

Par Romaric Godin  |   |  1463  mots
Beata Szydło, candidate de la droite conservatrice polonaise au poste de premier ministre.
La Pologne renouvelle sa Diète ce dimanche. Les conservateurs de Droite et Justice (PiS) sont largement en tête, mais pourrait ne pas avoir la majorité. Les Libéraux de la Plateforme Civique sont victimes de l'usure du pouvoir et d'une croissance trop déséquilibrée.

Ce dimanche 25 octobre, un peu plus de 30 millions d'électeurs polonais seront appelés aux urnes pour renouveler la chambre basse du parlement, le Sejm (Diète), dans un scrutin qui pourrait voir la première alternance au pouvoir depuis huit ans. Le parti libéral de droite au pouvoir, la Plate-forme Civique (PO) de l'ancien premier ministre Donald Tusk, aujourd'hui président du Conseil européen, et de l'actuel chef du gouvernement, Ewa Kopacz, est en effet largement devancé dans les sondages par le principal parti d'opposition, Droit et Justice (PiS) de Jarosław Kaczyński qui présente une femme pour le poste de premier ministre Beata Szydło. Les deux dernières enquêtes donnaient une avance de 7 points (33 % contre 26 % en faveur du PiS) pour TNS et de 14 points (37 % contre 23 %) pour l'institut IBRIS.

Avance de la droite conservatrice

Ce désaveu peut paraître surprenant dans un pays qui apparaît comme un modèle non seulement pour l'Europe centrale, mais aussi pour le reste du continent, en termes de croissance. Depuis 1991, la Pologne a traversé les nombreuses crises de l'économie mondiale sans connaître la récession. Chacun reconnaît le caractère théoriquement « équilibré », mêlant demandes internes et externes, de la croissance du pays. Sur un an, le PIB polonais au deuxième trimestre a progressé de 3,3 %. Mais cela ne semble pas suffisant pour assurer la victoire de PO, qui est le parti symbole du décollage économique du pays. L'élection surprise, en mai dernier, du candidat du PiS Andrzej Duda à la présidence de la République a montré la volonté d'alternance des Polonais. Pour plusieurs raisons.

Pourquoi le PiS monte

La première est évidemment l'usure du pouvoir. Les libéraux sont au pouvoir depuis huit ans, ce qui stimule naturellement la volonté de changement. D'autant qu'ils ont été politiquement affaiblis par le départ de Donald Tusk, leur leader traditionnel. Une série de scandales les a également éclaboussés et Ewa Kopacz n'a pas réussi à s'imposer suffisamment pour retenir les électeurs. Elle manque d'arguments pour leur donner des perspectives à part celui de continuer la politique menée.

Mais il y a davantage. Si la croissance polonaise est forte et si les ménages en ont profité, ce rythme de croissance est souvent jugé insuffisant par les habitants qui souffrent encore beaucoup d'un niveau salarial bas et d'une forte précarité de l'emploi. La frustration est particulièrement palpable chez les jeunes qui, souvent, n'ont comme seule perspective pour augmenter leur niveau de vie que l'émigration. La Pologne souffre aussi d'un déséquilibre géographique très prononcé, entre villes et campagne et entre est et ouest. Malgré une amélioration récente, les infrastructures demeurent encore insuffisantes pour permettre un développement plus harmonieux. Cet élément est très important, car les régions les plus déshéritées et les plus enclavées du pays, souvent dans l'est, sont également celles qui votent le plus pour PiS.

Le programme de PiS

Face à ce mécontentement, Jarosław Kaczyński et Beata Szydło ont joué la carte du social. Il a promis un modèle qui profite davantage aux ménages et s'est engagé à revenir sur plusieurs « réformes » de PO, comme la retraite pour tous à 67 ans qu'il propose de supprimer pour revenir à 60 ans pour les femmes et 65 ans pour les hommes, la création d'une nouvelle allocation familiale pour les familles pauvres et nombreuses et le relèvement des taux d'imposition sur le revenu. Le parti développe également depuis septembre une rhétorique anti-migrants qui est assez populaire en Pologne et a été exacerbée par l'idée de quotas. De plus en plus, PiS se dit inspiré du Hongrois Viktor Orbán, russophilie à part, évidemment.

Le système électoral

La question sera cependant de savoir si le PiS pourra disposer ou non de la majorité absolue ou s'il lui faudra former une coalition. De ce point de vue, les sondages, comme on l'a vu, envoient des messages assez incertains sur l'ampleur de l'avance de PiS. Ils sont, de plus, assez peu fiables. Le système électoral polonais est assez proche de celui en vigueur en Espagne ou au Portugal : c'est un scrutin de liste à la proportionnelle selon la méthode de répartition de D'Hondt dans des circonscriptions régionales, ce qui induit souvent un bonus en faveur des grands partis. A cela s'ajoute des seuils de 5 % pour les partis seuls et de 8 % pour les coalitions, ce qui renforce encore cet effet « majoritaire. » Plus le PiS est proche de 40 % et moins il y aura de partis au parlement, et plus les chances d'une majorité absolue seront élevées. Mais depuis la chute du régime communiste, aucun parti n'a gagné la majorité absolue en Pologne.

Les alliés possibles de PiS

Le scénario le plus probable sera cependant une victoire sans majorité de PiS. Dans ce cas, le parti de Jarosław Kaczyński devra trouver des alliés au Sejm. Ce sera une tâche malaisée. En théorie, il n'existe que deux alliés potentiels pour la droite conservatrice. Le premier est le parti de l'ancienne rock star Paweł Kukiz, qui avait obtenu 10 % lors de l'élection présidentielle de mai. Ce parti a été baptisé modestement Kukiz'15 et est donné entre 7 % et 10 % des voix. C'est un parti qui aime à critiquer l'establishment politique et économique incarné par le PO. Il est sans doute l'allié le plus pratique pour le PiS. Mais une alliance PiS-Kukiz'15 est loin d'être sûr d'avoir la majorité à la Diète.

Néanmoins, la seule alternative pour le PiS serait le KORWiN, parti de Janusz Korwin-Mikke, allié du Front National au parlement européen, violemment eurosceptique, libertarien, misogyne et islamophobe. Son leader est relativement incontrôlable et poserait sans doute un problème à PiS au niveau européen. Il n'est cependant pas certain que KORWiN passe le seuil des 5 % nécessaire pour entrer au Sejm : le dernier sondage TNS lui attribue 5 % des voix.

Une alliance « tous contre le PiS » ?

Bref, PiS pourrait gagner les élections, mais avoir bien des difficultés à constituer une majorité. D'autant que ses leaders ne sont guère prêts à former une coalition. Il pourrait donc tenter de constituer un fragile gouvernement minoritaire, mais il lui faudra obtenir un vote de confiance au Sejm avec la majorité absolue des députés. Du coup, depuis quelques semaines se dessine la possibilité d'une coalition alternative constituée des partis opposés au retour du PiS au pouvoir : le PO devrait alors non seulement s'allier à son partenaire actuel, le PSL agrarien (qui pourrait obtenir 5 %), mais aussi à la Gauche Unie (ZL, alliance des partis de gauche donnée à 9 ou 10 % d'intentions de vote) et peut-être même au petit parti libéral Nowoczesna (« Pologne Moderne ») donné à 6 % par les derniers sondages. Ce serait une alliance de circonstance, très fragile. La dernière option serait, après une centaine de jours de tentatives, une dissolution du Sejm et l'appel à de nouvelles élections. Dans ce cas, on peut estimer qu'elles pourraient se tenir en mars 2016.

Politique intérieure attendue de PiS

Si, néanmoins, PiS revient aux affaires, quel sera sa politique ? Sur le plan intérieur, Beata Szydło devra tenter de mettre en œuvre ses promesses. Toutes ne le seront peut-être pas, certains experts économiques du PiS refusant de revenir sur la retraite à 67 ans. Pour le reste, la nouvelle majorité pourrait mener une politique d'inspiration hongroise finançant des soutiens à l'activité par des taxes sur certains secteurs de l'économie. Un élément central sera la nomination du nouveau gouverneur de la banque centrale, la Banque Nationale de Pologne (NBP) qui pourrait être un franc partisan des mesures non conventionnelles et se montrer moins prudent que l'actuel gouverneur.

Quelles politiques étrangère et européenne ?

En politique étrangère, le parti est très nationaliste, et, partant, violemment anti-russe. La position polonaise sur la Russie au sein de l'UE ne devrait donc pas vraiment évoluer. En revanche, il faudra s'attendre à un durcissement des positions de Varsovie sur les migrants et notamment sur la question des quotas. D'autant que PiS, allié des Conservateurs britanniques, pourrait apporter plus généralement son soutien aux propositions de réformes de David Cameron en faveur d'une plus grande subsidiarité dans l'Union. Sur le plan environnemental, PiS est peu enclin aux efforts dans une Pologne où le charbon domine encore largement et où les mineurs représentent une force politique importante. La victoire de PiS entraînera naturellement un coup de barre à droite du pays le plus peuplé d'Europe centrale (38 millions d'habitants) dont le poids est devenu central dans l'UE ces dernières années.