Espagne : Et si la Catalogne suivait le chemin de l'Ecosse ?

Par Romaric Godin  |   |  1344  mots
Le succès du PP en Espagne est-il une chance pour l'indépendantisme catalan ?
La défaite de Podemos aux élections espagnoles est celle d'un changement de politique espagnole du point de vue catalan. Le succès des Conservateurs pourrait donner un nouvel élan aux Indépendantistes et compliquer les scénarios européens de l'après-Brexit.

Les élections générales espagnoles du 26 juin ont clairement donné un mandat - certes incomplet - à Mariano Rajoy et à son parti conservateur, le PP, pour continuer de diriger l'Espagne. La forme de cette continuité, autrement dit la coalition avec laquelle le PP gouvernera demain n'est pas encore fixée et peut encore faire l'objet de longues discussions. Mais le renforcement du gouvernement sortant est le principal message de ce scrutin.

Le divorce entre le PP et la Catalogne

Or, ce résultat n'est pas anodin dans le contexte européen actuel. Car il va avoir un impact essentiel sur le mouvement indépendantiste catalan. En effet, la force de ce dernier dépend très étroitement de ce qui se passe à Madrid. Le Parti populaire, tenant de la ligne dure contre le mouvement sécessionniste, est en effet pour beaucoup de Catalans le symbole de « l'Espagne qui ne changera jamais » et ne veut pas entendre parler de plus de dévolution du pouvoir à la Catalogne.

Il convient de se souvenir que la forte poussée du mouvement indépendantiste et la conversion du parti de l'ancien président catalan Jordi Pujol, Convergencia (CDC), à l'idée de sécession est issu de la censure en 2010 par la Tribunal constitutionnel espagnol (TC) d'une partie du statut catalan de 2006. Or, ce recours a été déposé par des députés « populaires » et le TC est considéré comme étant aux mains de la droite espagnole en Catalogne. La gestion purement juridique du PP des aspirations indépendantistes pendant le premier mandat de Mariano Rajoy a conduit à renforcer l'idée d'un dialogue impossible avec l'Espagne. Le résultat est connu : le 27 septembre 2015, lors des élections catalanes, les partis indépendantistes ont obtenu 47,8 % des voix et la majorité des sièges. Quant au PP en Catalogne, il a certes gagné 50.000 voix le 26 juin, mais avec 462.000 votes, il perd encore 254.000 voix par rapport à 2011.

Pour autant, ce processus est un processus dynamique. Si certains Catalans sont acquis complètement à l'indépendance et si d'autres sont absolument unionistes, il existe un groupe nombreux d'indécis et d'hésitants, attachés à l'Espagne, mais souhaitant une évolution de ce Royaume sur trois points essentiels : une forte dévolution des pouvoirs, la reconnaissance de la nation catalane et du « droit à décider » par référendum de l'indépendance, et une politique permettant de préserver et développer l'Etat-providence. Ces hésitants sont donc prêts à donner une chance à une Espagne d'accord pour évoluer. La traduction politique de ce mouvement était le mouvement En Comú Podem, alliance régionale de la gauche et de Podemos.

La Catalogne choisit toujours Podemos

A mesure que, en Espagne, Podemos était susceptible de peser, de plus en plus de Catalans ont choisi de voter pour En Comú Podem afin de soutenir leurs aspirations catalanes à Madrid. Aussi, les 20 décembre et 26 juin, ce parti a remporté les élections générales en Catalogne. Alors que, le 27 septembre 2015, il n'avait obtenu que 9 % des voix, il est passé à 24,74 % le 20 décembre et 24,51 % le 26 juin. Dans les deux cas, En Comú Podem a été le premier parti de Catalogne. Ce vote a clairement été celui d'une chance donnée à l'Espagne de pouvoir changer. Il convient donc de ne pas se laisser tromper par la répartition des voix le 26 juin : si les deux partis indépendantistes (ERC et CDC) ont obtenu 32,09 % des voix contre 40,41 % aux trois partis « unionistes » (PS catalan, PP et Ciudadanos), une grande partie de l'électorat potentiellement indépendantiste s'est soit abstenue ( on compte 644.000 électeurs de moins en Catalogne que le 27 septembre 2015), soit ralliée à En Comú Podem.

Or, alors que cette coalition autour de Podemos maintient sa position en Catalogne, il a nettement reculé dans le reste de l'Espagne, où la coalition Unidos Podemos n'a obtenu que 21,1 % des voix contre 24,4 % le 20 décembre. Avec ce recul, associé à la poussée du PP, la perspective d'une majorité espagnole acceptant les aspirations des « hésitants » s'éloigne fortement. La ligne dure du PSOE face à l'indépendantisme catalan lui a permis de conserver sa place de deuxième force politique d'Espagne, elle ne sera donc pas remise en cause. La majorité Podemos-PSOE semble désormais impossible.

L'échec du rêve de « changer l'Espagne »

Cette perspective aura nécessairement des conséquences en Catalogne où les électeurs d'En Comú Podem vont devoir revenir de leur rêve de changement en Espagne. Ils vont donc devoir choisir entre une Espagne attachée au statu quo institutionnel et social et une indépendance potentiellement plus favorable à leurs aspirations. Le référendum d'autodétermination reconnu par Madrid semble s'éloigner. Et du coup, l'option incarnée par le processus mis en place par le gouvernement catalan, celle d'un processus de séparation débouchant sur un référendum unilatéral, gagne en force. Entre le 27 septembre et le 26 juin, plus de 650.000 électeurs, soit potentiellement 15 % de l'électorat, ont rejoint cette alliance et se retrouve face à ce choix. Il y a donc de fortes chances pour qu'une grande partie des hésitants rejoignent le camp de l'indépendance. Sans compter évidemment le poids des abstentionnistes du 26 juin.

La Catalogne comme l'Ecosse ?

En d'autres termes, le succès du PP en Espagne pourrait conduire en Catalogne au même phénomène que la victoire du Brexit au Royaume-Uni pour l'Ecosse. La divergence politique majeure entre une région tentée par l'indépendance et la majorité du reste du pays renforce les aspirations sécessionnistes. A noter, du reste, que ce phénomène n'est pas propre à la Catalogne en Espagne, il se retrouve dans le Pays Basque, où Unidos Podemos est arrivé en tête. Euskadi et Catalogne sont les deux seules communautés autonomes (régions) où le PP n'arrive pas en tête. Ce sont aussi celles qui aspirent à devenir des nations.

Certes, le camp indépendantiste catalan traverse une crise importante puisque le gouvernement catalan de Carles Puigdemont s'est vu rejetée son budget par l'extrême-gauche indépendantiste CUP. Une question de confiance sera posée en septembre. Mais si cette crise est dépassée, soit par la reconstitution de la majorité parlementaire existante, soit par de nouvelles élections, il se peut que l'indépendantisme connaisse, après ce 26 juin, une nouvelle poussée.

Le sac de nœud de la Catalogne dans le contexte post-Brexit

Or, ceci ne sera pas sans conséquences dans le contexte très agité actuel. L'UE semble désormais ouverte à l'indépendance écossaise pour « punir » le Royaume-Uni de sa « désertion » (ou, du moins, pour exercer une pression sur Londres dans les négociations). Plusieurs responsables conservateurs allemands ont fait savoir depuis le 23 juin qu'ils y étaient ouverts. En Catalogne, ce processus est observé de très près et pourrait servir de précédent. Si l'UE accepte d'intégrer l'Ecosse sans une procédure complète d'adhésion, le gouvernement catalan pourra s'en prévaloir pour affirmer que la Catalogne indépendante pourra demeurer dans l'UE. Ce pourrait alors être encore un moyen de convaincre encore davantage d'électeurs de la possibilité de la Catalogne.

La Catalogne pourrait donc bien engager ses pas dans ceux de l'Ecosse. Et, dans ce cas, Madrid pourrait répondre en refusant catégoriquement la stratégie écossaise de l'Union européenne. Il serait étonnant de voir un gouvernement Rajoy soutenir la sécession écossaise et refuser toute démarche vis-à-vis de la Catalogne. Voilà qui annonce bien des tensions dans la définition de la stratégie européenne commune face au Royaume-Uni. Or, l'affaire est sérieuse car si l'Ecosse se sépare du Royaume-Uni, ce sera pour rester dans l'UE. Mais si l'UE ne veut pas d'elle, ce sera le vote des Ecossais du 23 juin qui sera contesté par les Européens eux-mêmes. La position de l'Europe sera alors intenable : elle devrait refuser un nouveau pays prêt à l'indépendance pour la rejoindre. Le sac de nœud de l'après-Brexit passe donc aussi par la Catalogne.