Europe : feu le pacte budgétaire ?

Par Romaric Godin  |   |  1316  mots
François Hollande a suspendu les engagements budgétaires de la France. Quelles conséquences pour l'Europe ?
La suspension par la France de ses objectifs budgétaires ne met pas fin au "pacte de stabilité", mais elle met à jour ses insuffisances et son inadaptation.

Après trois ans et demi de tentative de sauvegarde, tant bien que mal, du cadre budgétaire européen, François Hollande a finalement décidé d'en finir. Devant le Congrès réuni à Versailles, il a déclaré que le « pacte de sécurité l'emporte sur le pacte de stabilité. » Autrement dit, les circonstances obligent la France à se libérer des obligations contractées par le traité de Maastricht et ses corolaires.

Conséquence de l'entrée « en guerre »

C'est la suite logique de la reconnaissance par l'exécutif français de l'entrée du pays « en guerre. » La première mesure économique d'un pays entrant dans un conflit est de se donner la capacité financière liée au conflit en se libérant d'engagements externes. Dès les premiers jours d'août 1914, les banques centrales des pays belligérants ont ainsi suspendu la convertibilité en or de leurs monnaies, elles ont ainsi brisé le contrat implicite qu'elles tenaient avec les détenteurs de leur devise. La France n'en est pas encore à sortir du « gold standard » actuel, autrement dit de l'euro, mais elle se libère logiquement de limites « externes » que sa situation ne lui permet plus de respecter.

Un pacte déjà plusieurs fois suspendu

Ce n'est pas la première fois que le pacte de stabilité et de croissance inclus dans le traité de Maastricht est ainsi « suspendu » temporairement suite à certaines circonstances. En 2003, Jacques Chirac et Gerhard Schröder avaient accepté de l'ignorer pour un temps. En 2008-2009, la crise avait conduit à la même situation. Mais les circonstances sont ici fort différentes. Ces décisions avaient été souvent prises collégialement, soit entre tous les pays de la zone euro, comme durant la crise de 2008, soit, en 2003, par une entente franco-allemande. Cette fois, c'est un pays seul qui décide unilatéralement d'ignorer les « règles » européennes, sous des circonstances d'attaques subies sur son sol.

La justification juridique

Certes, ce mouvement sera sans doute enrobé dans une sauce juridique adéquate. La France a réclamé la mise en place de l'article 42.7 du traité de l'UE qui prévoit une assistance des Etats membres. On pourra considérer que cette solidarité inclut un oubli « temporaire » du cadre budgétaire dans la mesure où la France est « en première ligne » que ce soit sur son sol ou sur les terrains extérieurs. Logiquement, elle supporte l'essentiel du coût d'une lutte qui, par l'article 42.7, devient celle de l'UE.

Surtout, le pacte de stabilité et le pacte budgétaire (le fameux « Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire » (TSCG) que François Hollande a fait ratifier en septembre 2012) prévoient un possible dérapage budgétaire lors de « circonstances exceptionnelles » définies par l'article 3.3.b du TSCG comme « des faits inhabituels indépendants de la volonté de la partie contractante concernée et ayant des effets sensibles sur la situation financière des administrations publiques. » Mais ce même paragraphe pose immédiatement une limite : « pour autant que l'écart temporaire de la partie contractante concernée ne mette pas en péril sa soutenabilité budgétaire à moyen terme. »

Nul doute que le gouvernement français ne cherchera pas à enterrer les règles budgétaires et tentera de placer son action dans le cadre de ces « circonstances exceptionnelles. » A priori, cet écart a été déjà limité à 2019 et aux dépenses militaires. Mais ce mouvement pose plusieurs questions. D'abord, la crise terroriste est-elle une crise « temporaire » ? On doit l'espérer, mais si ce n'est pas le cas, les circonstances « exceptionnelles » prévues par le pacte de stabilité et le pacte budgétaire risquent de devenir une norme, ce qui, dans l'esprit des experts de Bruxelles pourrait « mettre en péril la soutenabilité budgétaire à moyen terme. »

Des compensations ?

Bruxelles pourrait donc autoriser après coup le dépassement à condition qu'il soit uniquement lié aux « circonstances », autrement dit pour des dépenses de sécurité et de défense et que ces dépenses n'engagent pas à moyen terme. Autrement dit, Paris pourrait peiner à recruter de nouveaux fonctionnaires, même dans l'armée ou la police. Et surtout, pour assurer la « soutenabilité budgétaire », la Commission pourrait exiger des baisses de dépenses publiques par ailleurs. Ceci poserait un problème : la lutte contre le terrorisme peut-elle s'organiser avec des baisses du nombre des fonctionnaires dans des fonctions aussi stratégiques que l'éducation, la santé, la protection civile ? Surtout, si l'impact terroriste sur la croissance française est notable, Paris pourra-t-elle se priver d'activer de nouvelles ressources pour maintenir à flot l'économie ? La réaction de la Commission et la réponse française seront donc décisives pour l'avenir du cadre budgétaire européen. Mais Bruxelles est-elle en position de force ? Peut-elle priver la France des moyens de sa défense et du maintien à flots de son économie ? Vouloir défendre le « pacte de stabilité » à tout prix mettrait en réalité en danger l'existence de la zone euro.

Une sortie du cadre comme « rattrapage »

Reste que cette décision française pose deux problèmes sur lesquels la zone euro ferait bien de se pencher. D'abord, l'inadaptation du pacte de stabilité aux circonstances contemporaines. Sur le plan économique, la politique violente qui a conduit à vouloir faire revenir rapidement et souvent de gré ou de force les pays dans le cadre du pacte a conduit à des désastres aujourd'hui bien connus. Il conviendra que les économistes se penchent sur les effets sociaux et politiques de ces stratégies et sur leurs rôles dans l'instabilité qui s'empare de l'Europe, pas seulement en raison du terrorisme. Mais surtout, si la France doit aujourd'hui sortir du cadre, c'est aussi pour « rattraper » en partie seulement les contractions du budget de la défense imposées depuis des années pour rentrer coûte que coûte dans les limites du pacte. Il serait fort inopportun que, dans quelques temps, il faille réaliser ce type de « rattrapage » sur des budgets comme celui de la santé publique, par exemple.

Un cadre inadapté

La deuxième leçon de la décision française est l'inadaptation de la nouvelle architecture mise en place de 2011 à 2013 pour empêcher les « dérives » des Etats (Two-Pack, Six-Pack, TSCG). Le principe était de placer sous la surveillance de la Commission les Etats dépensiers. C'était donc d'éviter « l'unilatéralisme. » Mais ce désir est vain dans un monde comme le nôtre et cette vanité ramène à celle de ce désir de « stabilité financière », obsession européenne qui semble aujourd'hui si dérisoire et inadaptée. La France a imposé sa réalité et ses priorités politiques. La Commission pourra toujours feindre d'accepter et comprendre cette situation, comme l'a tenté Pierre Moscovici dès mardi 17 novembre en insistant sur la "souplesse" des régles. Mais, la réalité est que, les priorités politiques d'un pays sont bien supérieures à ces « règles européennes. » Le pacte de stabilité n'est donc pas mort, mais il a une fois de plus montré ses limites et son inadaptation.

Risque de surenchère ailleurs ?

Reste un risque et non des moindres : que pour faire passer la "pilule" française, Bruxelles, visée par Wolfgang Schäuble pour son "laxisme" cet été, fasse du zèle par ailleurs, notamment sur les budgets espagnols et italiens, mais aussi vis-à-vis du futur gouvernement de gauche portugais ou encore dans le cadre des négociations avec la Grèce. C'est le scénario qui se dessine, du reste, au regard des remarques de la Commission qui a blâmé ce mardi le budget espagnol et mis en garde sur le budget italien. Cette dureté pourrait être conçue comme une façon de "sauver" un pacte de stabilité moribond.