Grèce : après trois mois, quel bilan budgétaire pour le gouvernement Tsipras ?

Par Romaric Godin  |   |  1749  mots
Le ministère grec des Finances, à Athènes.
Les recettes fiscales se sont redressées en mars et en avril, tandis qu'un effort de réduction des dépenses de fonctionnement de l'Etat est engagé. Mais les créanciers refusent toujours d'y voir un signe positif...

Un des arguments des créanciers de la Grèce pour justifier leur méfiance vis-à-vis du nouveau gouvernement serait son « populisme », autrement dit sa capacité à dépenser sans compter et son manque de volonté à faire rentrer les impôts pour satisfaire une popularité immédiate. C'est là le vrai sens de « la confiance brisée », qui est le nouveau mantra des responsables européens (et qui cache le confllit déjà existant avec l'administration Samaras). Lorsque, en février, les Européens ont exigé que le gouvernement qu'il renonce à toute « mesure unilatérale », c'était une traduction de cette méfiance. Méfiance qui est demeurée même après l'accord grec sur ce point puisque, à la mi-mars, la Commission européenne a refusé le vote de la loi d'urgence humanitaire. Elle demeure encore aujourd'hui.

Avec la dégradation en janvier et février des recettes fiscales, beaucoup d'observateurs occidentaux ont fustigé le retour aux « mauvaises habitudes » des Grecs et en ont déduit un peu vite que le nouveau gouvernement ne pourrait rien faire pour freiner ce mouvement. Ceci a sans doute beaucoup contribué à la méfiance des créanciers, même si Syriza avait un programme qui visait précisément à améliorer les recettes fiscales. Mais que disent les faits ?

La dégradation des rentrées fiscales de décembre à février

De janvier à février, la dégradation des rentrées fiscales est évidente. Les recettes fiscales sont tombées sur ces deux mois à 7,79 milliards d'euros contre 9,46 milliards d'euros sur ces deux mois de 2013 et contre des attentes de 8,47 milliards d'euros. Ce phénomène s'explique par deux raisons. La première est, dès décembre, un mouvement d'arrêt des paiements classique en Grèce en période électoral, sans doute exacerbé par l'inconnu de l'arrivée de Syriza au pouvoir. La seconde est l'exacerbation de cette insécurité par la « prophétie auto-réalisatrice » des créanciers et de la BCE. Le blocage des discussions en février et la pression de la BCE le 4 février ont créé une peur du Grexit et un phénomène de thésaurisation. En gros, on a préféré conserver son argent dans la crainte du Grexit plutôt que de payer ses impôts. Le gouvernement a sans doute sa part de responsabilité, mais la BCE et les Européens qui n'ont eu en février que des menaces à la bouche.

La dégradation freinée

Durant ce mois de février, le nouveau gouvernement s'est progressivement mis en place et n'a rien pu faire face à cette baisse des recettes. Mais, en mars, la situation a radicalement changé. Sur ce seul mois, les recettes fiscales de l'Etat grec ont dépassé de 590 millions d'euros les objectifs à 3,28 milliards d'euros. Un an auparavant, les recettes fiscales de l'Etat avaient été de 2,81 milliards d'euros. « Cette tendance à la hausse a commencé à apparaître dans les derniers jours de février et a accéléré après le 10 mars », précise une source proche du gouvernement grec qui ajoute que les chiffres d'avril semblent également « bons. »

Ces chiffres sont en effet particulièrement étonnants compte tenu de deux faits souvent négligés. D'abord, la dégradation de l'environnement économique qui devrait peser sur les recettes (et qui, du reste, a également pesé sur celles des mois de janvier à février). Ensuite, le fait que les chiffres dont on dispose sont validés par le Bureau général des Comptes de l'Etat (GAO), une instance « indépendante » et, dit-on à Athènes, « très hostile à l'actuel gouvernement. » Aucun changement n'a pu être réalisé dans ce GAO sans l'accord des créanciers et c'est cette instance qui a établi les prévisions « catastrophiques » de mars qui, on l'a vu, ont été déjoué. C'est assez  amélioration doit donc être prise au sérieux et elle prouve que la baisse de décembre à février pourrait bien n'être que provisoire.

Les raisons du redressement, et ses limites

Comment expliquer cette amélioration de recettes grecques ? D'abord par la mise en place d'un règlement des dettes fiscales en mars qui a permis, moyennant des étalements, d'apporter près de 147 millions d'euros dans les caisses de l'Etat. Une mesure à laquelle les créanciers étaient opposés. Symboliquement, la traque aux évadés fiscaux a commencé, comme le prouve l'arrestation de l'oligarque Leonidas Bobolas la semaine dernière, accusé d'avoir organisé une évasion de 4 millions d'euros à lui seul. Enfin, la mise en place de la nouvelle administration au ministère des Finances a permis de stabiliser, puis d'améliorer la situation. L'amélioration des chiffres de rentrées fiscales de mars est une preuve de la volonté du gouvernement de ne pas laisser s'effondrer les recettes fiscales. Elle est d'autant plus remarquable que le « nœud coulant » financier auquel est soumis le gouvernement n'a pas permis de commencer à procéder aux embauches promises de fonctionnaires du fisc. Or, la troïka, si prompte à réclamer la discipline fiscale au gouvernement hellénique, a obtenu au cours des cinq dernières années la réduction d'un tiers du nombre de fonctionnaires de l'administration fiscale...

Des dépenses sous contrôle

Qu'en est-il des dépenses ? De janvier à mars, ces dernières ont reculé de 13,17 milliards d'euros en 2014 à 12,52 milliards d'euros en 2015. Le tout avec un poids du service de la dette en augmentation de 1,99 milliard d'euros à 2,24 milliards d'euros. Le GAO avait prévu des dépenses de 13,32 milliards d'euros sur cette période. Sur le seul mois de mars, les dépenses ont augmenté sur un an de 4,19 milliards d'euros à 4,54 milliards d'euros, principalement en raison du poids des paiements au FMI. Le GAO avait prévu des dépenses de 5,21 milliards d'euros.

En réalité, cette différence s'explique en grande partie par le report de plusieurs paiements compte tenu de la situation de liquidité du pays. En gros, pour payer le FMI, le gouvernement grec a repoussé une partie de ses paiements. Cette volonté des créanciers à faire payer la dette a donc clairement un impact sur l'état de l'économie grecque. Il n'est donc pas juste d'estimer que le gouvernement grec est le seul responsable de la dégradation de la conjoncture, comme le répète les économistes éminents.

Un effort de maîtrise des dépenses

Néanmoins, le nouveau gouvernement a entamé un effort notable de réductions des dépenses de fonctionnement de l'Etat. La promesse de réduire le nombre de conseillers dans les ministères et de ministres a été largement tenue. Selon les chiffres émanant du gouvernement, 11,4 millions d'euros ont déjà été économisés par la réduction de 1.173 à 554 du nombre de conseillers. Le passage de 45 à 37 ministres et vice-ministres a permis d'économiser 1,1 million d'euros. D'autres mesures ont été prises, comme la réduction du nombre de policiers attachés à des « personnalités » qui a été réduit de 792 et a permis d'économiser 17,9 millions d'euros. 10 millions d'euros ont été économisés par la réduction des salaires et des avantages de plusieurs hauts fonctionnaires dans les ministères. Bref, si les chiffres peuvent apparaître faibles, ils montrent une volonté de ne pas « déraper. »

Pour l'avenir, le gouvernement s'est lancé dans un vaste programme de revue des dépenses d'ici à la fin de l'année. Une « task force » a été créée pour simplifier les 4770 lignes de coûts actuelles et les rationnaliser. L'ambition est de pouvoir économiser dans les prochains mois 40 millions d'euros. Un travail sera aussi mené pour réduire les 130 millions d'euros annuels de loyers payés par le gouvernement. Athènes a aussi lancé un appel d'offre pour réduire le coût des transports des fonctionnaires (aujourd'hui à 177 millions d'euros par an) et l'on a vu qu'Alexis Tsipras a voyagé en classe économique à plusieurs reprises.

Le poids du service de la dette

Mais ces efforts restent évidemment limités. Car le principal poids qui pèse sur les dépenses publiques, c'est bien celui de la dette. Quoique relativement faible en moyenne, ce oids est insupportable à un pays n'ayant plus accès aux marchés financiers. En termes primaires, l'Etat est demeuré en excédent de 1,73 milliard d'euros entre janvier et mars 2015, contre un excédent de 1,54 milliard d'euros sur la même période de 2014. Le déficit final (533 millions d'euros sur le premier trimestre 2015 contre 551 millions d'euros sur celui de 2014) s'explique donc par le poids de la dette. Autrement dit, tant que les créanciers n'accepteront pas de faire un geste sur la dette, les efforts fiscaux des Grecs et ceux du gouvernement seront vains. Et le remboursement de la BCE en juillet et août à hauteur de 6,7 milliards d'euros est simplement impossible.

Des buts clairement politiques

Les accusations des créanciers sont d'autant plus injustes que, contrairement à ce que l'on entend souvent, la Grèce n'a plus reçu un euro du FMI et des Européens depuis le 14 août 2014 et que, pourtant, le pays s'est acquitté de toutes ses obligations à ce jour. Depuis le début de l'année, la Grèce a donc remboursé avec ses propres moyens budgétaires près de 6 milliards d'euros, soit un mois et demi de revenus de l'Etat ! Accuser un pays capable d'un tel effort dans un contexte de crise de liquidité et de fuite des dépôts bancaire d'être dépensier n'est guère sérieux, surtout lorsqu'on refuse de négocier la dette. Le gouvernement grec semble avoir prouvé sa détermination en matière budgétaire. Mais il existe un aveuglement à ne pas le voir de la part de créanciers qui trahissent ainsi leurs buts clairement politiques.

Du reste, il faut rappeler que ces créanciers semblent assez peu en mesure de donner des leçons de confiance. Le précédent premier ministre Antonis Samaras le sait bien puisque, lorsqu'il est parvenu à dégager un excédent budgétaire primaire à la fin de 2013, il a rappelé aux créanciers leur engagement de 2012 d'étudier un rééchelonnement de la dette. Et il a dû faire face à un mur. La zone euro semble en réalité ne pas se soucier de cette réalité, ni des efforts grecs. Elle ne cherche qu'une chose : faire capituler le gouvernement hellénique pour imposer « son » agenda.

Le compte rendu budgétaire de mars du ministère hellénique des Finances (en anglais) : ici.