Grèce : les scénarios de l'après-référendum

Par Romaric Godin  |   |  1863  mots
Partisans du "non" place Syntagma, à Athènes.
Les partisans du "oui" et du "non" ont manifesté vendredi soir à Athènes. Mais que risque-t-il de se passer lundi une fois le résultat connu ? Tentative de réponses.

Une place Syntagma, au centre d'Athènes, noire de monde. Une foule qui s'étend dans les avenues et les rues environnantes et qui a été estimée à 25.000 personnes par l'AFP, mais à plus de 50.000 par Reuters. Vendredi 3 juillet au soir, la manifestation pour le « non » au référendum organisé ce dimanche en Grèce sur les propositions des créanciers du 25 juin dernier a fait le plein. Alexis Tsipras, le premier ministre hellénique, a prononcé un discours (que l'on peut lire ici traduit en français) pour donner confiance au partisans du « non. » « Nous célébrons aujourd'hui la victoire de la démocratie. Nous sommes déjà victorieux, quelle que soit l'issue du scrutin de dimanche, car la Grèce a envoyé un message de dignité, un message de fierté », a-t-il déclaré. Il a également présenté l'enjeu du scrutin de dimanche : «  nous ne laisserons pas l'Europe entre les mains de ceux qui souhaitent soustraire l'Europe à sa tradition démocratique, à ses conquêtes démocratiques, à ses principes fondateurs, aux principes de démocratie, de solidarité et de respect mutuel. »

A moins d'un kilomètre de là, dans le stade des Panathénées, les partisans du « oui » s'étaient aussi réunis. Ils étaient, selon l'AFP 22.000. La vedette de ce rassemblement a été le présentateur de télévision franco-grec Nikos Aliagas, arrivé de Paris, qui a déclaré que « le oui donnera un meilleur avenir à nos enfants. » Les partisans du « oui », qui se présentent volontiers comme des partisans de l'Europe et de l'euro, étaient certes moins nombreux vendredi soir mais ils ont actuellement le vent en poupe dans les sondages, aidé par la dégradation rapide de la situation économique et le ralliement quasiment complet des médias privés grecs. Dans les derniers sondages, le oui et le non sont donnés au coude-à-coude.

Les scénarios : la réunion cruciale de la BCE lundi

Quels sont les scénarios possibles après ce référendum ? Dès lundi 6 juillet, le Conseil des Gouverneurs de la BCE se réunira pour examiner l'accès du système bancaire grec au programme d'aide à la liquidité d'urgence (ELA). C'est une réunion très importante. Les banques grecques ont reconnu n'avoir de la liquidité que jusqu'à lundi midi. Si le « oui » l'emporte, la BCE devrait considérer qu'un accord est possible entre la Grèce et ses créanciers puisque le peuple grec a validé le plan des créanciers. Elle devrait alors relever le plafond de l'ELA disponible pour les banques grecques et permettre ainsi rapidement la réouverture des banques fermées depuis lundi. En cas de « non », la BCE pourrait considérer qu'aucun accord n'est en vue. Elle pourrait alors estimer que les garanties déposées par les banques grecques pour son accès à l'ELA ont une valeur moindre. Sans relever le plafond, elle pourrait réduire la valeur de ces garanties et donc en demander davantage. Dans ce cas, les banques grecques ne seraient plus en mesure de fournir des liquidités à l'économie grecque. Elles resteraient fermées et l'accès à l'argent liquide et aux comptes bancaires deviendraient pratiquement impossible.

En prenant une telle décision, la BCE prendrait donc le risque d'expulser de fait la Grèce de la zone euro. On voit déjà que sa décision du 29 juin de ne pas relever le plafond de l'ELA qui a conduit le gouvernement à imposer des restrictions d'accès aux comptes et un contrôle des capitaux a poussé la Grèce à la limite de la zone euro : les entreprises grecques n'ont plus accès au système de transfert électronique interne à la zone euro. Nul ne sait réellement jusqu'où ira la détermination de la BCE, mais, cette semaine, deux membres du directoire, Benoît Cœuré et Vitor Constancio, ont, pour la premier fois, estimé que le « Grexit » était possible. L'irréversibilité de l'euro n'existe donc plus et l'expulsion de la Grèce est une option. Etait-ce du bluff pour effrayer les électeurs grecs ? Etait-ce une vraie détermination ? On ne le saura que lundi 6 juillet en cas de « non. »

Les scénarios : le « oui » l'emporte, un accord ?

Le lendemain, mardi 7 juillet, l'Eurogroupe se réunit. La zone euro refuse toujours de traiter avec la Grèce, quel que soit le résultat, au niveau des chefs d'Etats et de gouvernements. La Grèce demeure un « problème technique » laissée aux techniciens. En cas de « oui », l'Eurogroupe sera sans doute ravi de signer un accord avec la partie grecque sur la base du texte validé par les électeurs. Mais ce ne sera pas pour autant la fin de l'histoire. D'abord, il faut tout reprendre depuis le début. Le programme de 2012 n'existe plus. Il faut refonder un programme avec le MES, dans un nouveau cadre. Bref, rédiger un troisième mémorandum qui reprennne les propositions du 25 juin. Il y aura donc nécessairement des négociations. Mais avec qui signer ? Avec qui négocier ? Sur qui s'appuyer pour l'appliquer ?

L'avenir d'Alexis Tsipras

 En cas de victoire du « oui », en effet, la question du maintien au pouvoir d'Alexis Tsipras, qui s'est engagé pour le « non », se posera immédiatement. S'il reste au pouvoir, les créanciers n'auront eu qu'une victoire partielle. Depuis une semaine, ils ne cessent en effet de fustiger l'attitude du chef du gouvernement hellénique et affirment avoir perdu confiance en lui. Martin Schulz, le président du parlement européen, a ainsi prétendu dans le Handelsblatt du vendredi 3 juillet, que la Grèce devait « mettre fin à l'ère Syriza. » Accepteront-ils alors de traiter avec Alexis Tsipras ? Rien n'est moins sûr. Mais il n'est pas davantage sûr qu'Alexis Tsipras puisse se maintenir au pouvoir. Son parti acceptera-t-il en effet, malgré le verdict populaire, d'approuver au parlement, les accords et d'accompagner leur application ? Rapidement, la position du gouvernement risque d'être intenable. Sans compter que ledit gouvernement risque de se déliter rapidement. Le ministre des Finances Yanis Varoufakis a annoncé qu'il démissionnerait en cas de « oui » et il ne sera sans doute pas le seul.

Quel gouvernement ?

Il est plutôt probable donc qu'Alexis Tsipras démissionne en cas de « oui. » Mais alors, qui pour le remplacer ? Martin Schulz a proposé un gouvernement technique et chacun, en Grèce, sait que le président de la Banque centrale, Yannis Stournaras, brûle d'envie d'entrer à Maximou, le Matignon grec. Mais avec quelle majorité ? Compte tenu de l'opposition radicale des Communistes du KKE et des néo-nazis d'Aube Dorée à tout gouvernement, la majorité ne peut se faire pour ce gouvernement technique qu'avec un ralliement d'une grande partie des députés de Syriza. Tout dépendra donc des réactions de ces derniers à la démission d'Alexis Tsipras et de la décision du premier ministre de rester ou non à la tête de Syriza après sa démission. L'équation est donc très complexe. D'autant plus que ce gouvernement technique ne pourra sans doute pas tenir longtemps sans appeler à de nouvelles élections.

Crise politique

Or, l'issue de telles élections est très incertaine. Il n'y a pas en réalité dans le paysage politique grec d'alternatives à Syriza aujourd'hui. Le parti pro-européen To Potami, poulain de Bruxelles, peut sans doute profiter d'un « oui », mais son implantation reste très faible dans la population et les liens de son leader Stavros Theodorakis avec l'oligarchie et les anciennes élites politiques n'en font pas une vraie option. Les électeurs ont choisi Syriza en janvier aussi et surtout parce que ce parti représentait une chance de se débarrasser des partis traditionnels et de leur système clientéliste. Dans de nouvelles élections, et malgré un « oui », ils pourraient renouveler ce choix. D'autant que ces élections se feront dans des conditions moins extrêmes que le référendum et sous des pressions économiques moins fortes. Enfin, l'opposition « pro-troïka » est très divisée entre le Pasok, To Potami et Nouvelle Démocratie. Or, en Grèce, le parti arrivé en tête glane 50 des 300 députés de la Vouli, le parlement. Bref, les créanciers risquent de devoir, même avec un « oui », compter encore avec Syriza. Et comme les propositions soumises au peuple ce dimanche ne concernent que les années 2015 et 2016, la tension risque rapidement de revenir, compte tenu des besoins énormes de financement du pays et de la volonté d'un gouvernement Syriza à reprendre la main une fois le plan validé par le peuple arrivé à échéance. Surtout si, comme c'est probable, ce plan est encore un échec en termes d'objectifs chiffrés comme l'ont été tous les plans de la troïka depuis 2010...

Les scénarios : en cas de « non », blocage ou accord ?

Et en cas de « non » ? Alexis Tsipras sortira évidemment renforcé. Il a assuré que, dans ce cas, la position grecque sera plus forte dans les négociations et qu'il pourrait signer un accord dès mardi. C'est sans doute fort optimiste, mais il est vrai que l'accord avec les créanciers est en réalité assez proche. Le gouvernement grec a accepté l'essentiel des mesures d'austérité exigées par les créanciers, sauf la fin du rabais de TVA dans les îles et la suppression de la retraite complémentaire EKAS pour les plus fragiles en 2018 (il propose 2019). Le vrai point de désaccord, c'est la dette. Athènes ne veut pas d'une vague promesse sur la restructuration de la dette, mais un vrai calendrier engageant. Les créanciers refusent. Un « non » les fera-t-il fléchir ? Pas sûr. D'autant que, comme on l'a vu, la BCE pourrait rapidement remettre la pression sur le gouvernement grec en réduisant l'accès à l'ELA. Alexis Tsipras devra donc rapidement faire son choix entre une poursuite incertaine des négociations et un Grexit. Il a cependant toujours rejeté cette option, et ce n'est pas une posture. Syriza est fondamentalement et historiquement un parti pro-européen. Mais nécessité fait parfois loi.

Il ne faut cependant pas oublier qu'un « non » serait un désaveu du peuple grec envers l'attitude des créanciers. Il leur sera alors difficile de ne pas tenir compte de ce vote. Eux aussi, avec la BCE, seront confrontés à un choix grave. Nier le « non » en refusant de négocier davantage et en coupant encore la Grèce de la zone euro serait désastreux à terme pour l'image de l'Europe et on ignore si la BCE est réellement prête à prendre le risque d'un Grexit.

Le scénario le plus « acceptable » semble donc être celle d'un « non » suivie d'un attentisme de la BCE, d'une courte négociation où les Grecs accepteraient un plan légèrement modifié des créanciers et accompagné d'un engagement à ouvrir des discussions sur la dette. Dans ce cas, on éviterait la crise politique en Grèce et chacune des parties sortirait la tête haute. L'économie grecque pourrait alors retrouver un fonctionnement normal, nonobstant les effets des mesures annoncées. Mais ce scénario n'est pas aujourd'hui le plus probable.