Grèce : que va faire la commission de "vérité sur la dette publique" ?

Par Romaric Godin  |   |  1596  mots
Quelle est la légitimité et la légalité de la dette grecque ? Une commission devra y répondre.
La présidente du parlement grec a établi une commission d'audit de la dette publique. Le travail va commencer par la période 2009-2014. Eric Toussaint, membre de cette commission, explique son objet et ses buts.

Samedi 4 avril, la présidente du parlement hellénique, la Vouli, Zoé Konstantopoulou a établi une « commission de vérité sur la dette grecque. » Cette commission n'est pas une commission parlementaire, composée de députés, comme celle sur les conditions du mémorandum de 2010 qui a été mis en place le mardi 7 avril, c'est une commission d'experts.

Éric Toussaint, Belge et membre du comité pour l'annulation de la dette du tiers monde (CADTM), est le coordinateur de l'équipe scientifique internationale au sein de cette commission. Pour la Tribune, il explique l'objet de celle-ci. « Il ne s'agit pas, précise-t-il, de formuler des recommandations, mais d'établir un diagnostic et des faits sur la légalité et la légitimité de la dette. » D'ici à la fin, un premier rapport d'étape sera présenté au parlement. Il portera sur les conditions dans lesquelles la Grèce a contracté sa dette depuis 2009. « Puis nous remonterons plus loin dans le temps », ajoute Éric Toussaint.

 Un rapport en juin et ce n'est pas un hasard

Cette date de juin n'est pas un hasard. En juillet et en août, le pays doit rembourser pas moins de 6,7 milliards d'euros de dettes détenues par la BCE. Or, ces dettes posent clairement problème car il s'agit de titres rachetés dans le cadre du programme SMP de la BCE en 2010 et 2011 sur le marché secondaire. En théorie, ces titres ont donc le même statut que ceux détenus par les créanciers privés qui ont été mis à contribution dans le cadre du programme de restructuration de la dette privée (programme PSI) en mars 2012. La BCE, en tant que créancier parapublic avait été dispensée de la coupe de 75 % imposée aux autres. La Commission devra s'interroger sur la légalité de ce traitement spécial réservé à un créancier ayant acheté des titres sur le marché et, donc, in fine, sur la légitimité de la demande de la BCE d'un remboursement intégral. Or, les échéances de cet été sont cruciales pour la solvabilité de la Grèce et, donc, pour les négociations avec les créanciers.

La question de la légalité

Dans le détail, donc, Éric Toussaint explique que le travail de la Commission va consister à déterminer « comment l'on est passé d'une dette publique détenue à 80 % par des créanciers privés, en particuliers des banques de la zone euro et du Royaume-Uni, à une dette détenue à 80 % par des créanciers publics ou parapublics. » Le premier travail sera d'analyser la légalité des prêts bilatéraux accordés en 2010 par les pays de la zone euro à la Grèce. « Il faudra observer les conditions de ces prêts du point de vue du droit grec et du droit des 16 pays concernés », explique Éric Toussaint. De même, la légalité de l'établissement du FESF, le Fonds européen de stabilité financière, structure ad hoc, qui a organisé le deuxième plan d'aide.

 La question de la légitimité

 Mais la commission ne s'arrêtera pas à la question de la légalité. Il explorera celle de la légitimité. « Il s'agit d'établir si le crédit a été accordé en respectant l'intérêt général ou en favorisant des intérêts particuliers et si oui, de déterminer lesquelles », explique Éric Toussaint. Un des éléments de cette légitimité est l'établissement du caractère « odieux » ou non de la dette publique contractée. La notion de « dette odieuse » est désormais bien documentée et établie en droit international. « Il s'agit de savoir si l'octroi de la dette et les conditions fixées par les créanciers a, ou non, violé les droits fondamentaux reconnus par les traités internationaux », remarque Éric Toussaint.

 La particularité du cas grec

 De ce point de vue, l'expert belge souligne la particularité du cas grec : « dans le cas des programmes classiques d'ajustement du FMI, les gouvernements proposaient des mesures qui étaient ensuite validées par le FMI et qui pouvait toujours se retrancher derrière cette démarche pour exclure sa responsabilité. Dans le cas grec, nous disposons de documents montrant que les versements sont directement liés à des demandes très précises des créanciers. Nous avons même des cas de non-déboursement liés à la non mise en œuvre de mesures réclamées. Dans ce cas, si ces mesures ou leurs conséquences violent les traités internationaux, ceci peut être directement considéré comme une preuve que la dette est odieuse car le lien est direct. »

La soutenabilité économique, mais pas seulement...

 Autre question que devra explorer la commission, celle de la soutenabilité de la dette qui détermine sa légitimité. « De ce point de vue, il existe évidemment une question financière et économique, mais aussi une question plus générale, souligne Éric Toussaint : le remboursement de la dette contractée empêche-t-il les autorités du pays de pouvoir garantir l'exercice des droits humains fondamentaux ? » Dans ce cas, le droit international reconnaît la possibilité d'établir un moratoire sur la dette.

Enjeux essentiels

L'enjeu de cette commission est donc fondamental. Quel que soit le résultat des négociations actuelles, de nouvelles discussions devront avoir lieu concernant les échéances de l'été. Et le gouvernement grec, s'il a renoncé officiellement à ouvrir le dossier de l'annulation de la dette publique, n'a pas renoncé à l'idée d'une restructuration de cette dette afin d'éviter des situations comme celle que vit le pays aujourd'hui où des milliards d'euros nécessaires à l'économie sont mobilisées pour rembourser les créanciers. Les rapports de cette commission seront aussi un formidable moyen de pression sur les créanciers, car s'ils déterminent des illégalités ou des illégitimités, il sera difficile pour eux de continuer à répéter que la Grèce doit « respecter des règles et des accords » qui ne sont pas eux-mêmes valides.

Il était donc important pour la Grèce de disposer de fondations solides pour cette commission. Lancée par la présidente de la Vouli, elle a reçu la validation du président de la République qui est, rappelons-le, issu du camp conservateur. Il y a de nombreux membres officiels et les travaux seront le plus transparent possible, assure-t-on à Athènes. Mais la question centrale restera celle du fonctionnement de la Commission.

La question des témoignages

 Éric Toussaint ne cache pas son intention d'inviter plusieurs acteurs à venir témoigner devant la Commission, y compris des acteurs de haut rang issus des institutions européennes. Parmi eux, il pourrait notamment y avoir l'ancien président de la BCE, Jean-Claude Trichet et l'ancien président du FMI Dominique Strauss-Kahn. Un rapport publié le 7 avril du think tank américain Centre International pour l'Innovation dans la Gouvernance (CIGI) révèle que le FMI avait, dans le plus grand secret, travaillé à un plan de restructuration de la dette grecque au printemps 2010. Mais le refus de principe déjà énoncé clairement par Jean-Claude Trichet a dissuadé Dominique Strauss-Kahn de proposer un tel plan de peur de voir le Fonds exclu du sauvetage. Les conséquences de cette pusillanimité et de la posture de la BCE ont sans doute été redoutables pour l'avenir de la dette grecque. La Commission pourrait donc vouloir entendre les deux hommes.

 Le problème est que Jean-Claude Trichet refuse de rendre des comptes devant des commissions nationales. Et la BCE non seulement le soutient, mais refuse aussi de s'expliquer devant de telles instances. Elle estime qu'en tant que structure purement européenne, elle n'a de compte à rendre que devant le parlement européen. Lequel, rappelons-le, ne peut cependant pas influer sur la BCE qui est strictement indépendante. Aussi ni la BCE, ni Jean-Claude Trichet n'ont accepté de participer aux travaux de la commission d'enquête sur la crise bancaire du parlement irlandais. Il y a fort à parier qu'il en soit ainsi aussi dans le cas grec, autrement plus sensible du reste. La participation des membres et des fonctionnaires de la Commission européenne est aussi incertaine. Quant aux autres Etats membres de la zone euro, souvent créanciers, on voit mal comment ils accepteraient de participer à des travaux qui pourraient dénoncer leurs pratiques et juger invalides leurs créances.

 La Grèce s'appuie sur un règlement du parlement

Éric Toussaint est cependant décidé à inviter qui il jugera utile. Il rappelle que la commission grecque pourra s'appuyer sur le règlement européen 472/2013 du 21 mai 2013 qui renforce la surveillance budgétaire, mais qui, dans son article 7.9 indique qu'un « État membre faisant l'objet d'un programme d'ajustement macroéconomique réalise un audit complet de ses finances publiques afin, notamment, d'évaluer les raisons qui ont entraîné l'accumulation de niveaux d'endettement excessifs ainsi que de déceler toute éventuelle irrégularité. » Autrement dit, comme le fait remarquer Éric Toussaint, la Grèce est le premier pays européen à appliquer ce règlement voté par le parlement européen. Or, il le juge par l'emploi du présent de l'indicatif (« réalise ») « très contraignant. » Refuser de comparaître devant la commission reviendra à refuser d'appliquer ce règlement. Ce serait, pour les institutions européennes, une faute grave. Du reste, Éric Toussaint s'interroge sur les raisons pour lesquelles Bruxelles n'a pas contraint Antonis Samaras, l'ancien premier ministre grec, à réaliser cet audit. Les débats ne font que commencer...