Grèce : un Eurogroupe optimiste pour la forme, mais le blocage persiste

Par Romaric Godin  |   |  1307  mots
L'Eurogroupe de ce 11 mai a marqué une volonté d'optimisme
L'Eurogroupe de ce 11 mai s'est achevé sur une communication volontairement positive. Mais en réalité, les blocages persistent et le temps presse.

Le ton était volontairement à l'optimisme ce lundi 11 mai au soir à l'issue de l'Eurogroupe, la réunion des ministres des Finances de la zone euro, concernant les négociations de la Grèce avec ses créanciers. Le court communiqué qui a suivi la réunion des Dix-Neuf « salue les progrès qui ont été réalisés jusqu'ici » dans les négociations. Certes, le communiqué « reconnaît que davantage de temps et d'efforts sont nécessaires pour combler les fossés demeurant sur les problèmes ouverts. » Mais il « salue l'intention des autorités grecques à accélérer leur travail avec les institutions afin d'atteindre une conclusion réussie de la revue en temps et en heure. »

Et Yanis Varoufakis, le ministre grec des Finances, s'est, dans la conférence de presse qui a suivi la réunion, livré à un bel exercice d'optimisme affiché. Il a assuré qu'un accord « était plus proche », qu'il y avait une « convergence considérable. » Et de poursuivre sur l'excellente « atmosphère » des discussions et sur sa rencontre personnelle avant la réunion avec Wolfgang Schäuble, son homologue allemand. « Nous avons notre discussion la plus amicale et la plus intéressante », a-t-il indiqué. Bref, l'heure est aux embrassades.

Pourquoi cet optimisme ?

Voici donc pour la mise en scène. Il s'agissait clairement de convaincre que des progrès ont eu lieu et qu'un accord est possible. Yanis Varoufakis a ainsi insisté sur la capacité de compromis de la partie grecque. Selon lui, la convergence a surtout été rendue possible « grâce aux grands efforts du gouvernement grec et à ses concessions majeures. » Le ministre des Finances hellénique a même reconnu qu'il était prêt à « revenir sur les promesses préelectorales. » Le message est donc clair : le gouvernement Tsipras n'est pas « otage » de l'aile gauche de Syriza, ce qui semble être devenu la crainte principale de l'Eurogroupe.

Le but de cette manœuvre de communication était de faire cesser la dégradation de la confiance en Grèce où la situation macroéconomique devient critique. Si un accord est désormais en vue, les agents économiques pourraient reprendre confiance et la vie économique se normaliser. L'autre ambition est clairement de convaincre la BCE de rétablir la dérogation accordée jusqu'au 4 février dernier qui permettaient de se refinancer en présentant en garantie des titres de l'Etat grec. Yanis Varoufakis a ainsi indiqué que la BCE « devrait rétablir » cette dérogation puisqu'elle a été levée uniquement parce qu'un accord n'était pas en vue. Désormais, puisque l'atmosphère est redevenue radieuse, la BCE devrait faire marche arrière...

Blocages persistants

Mais qu'en est-il réellement ? Sur le fond, le président de l'Eurogroupe Jeroen Dijsselbloem n'avait donc pas grand-chose à dire à part de se féliciter du « changement d'équipe » du côté grec. Autrement dit, de la mise à l'écart de Yanis Varoufakis. Ce qui, en retour, relativise beaucoup les propos idylliques de ce dernier... Pierre Moscovici, lui, a résumé les blocages persistants : les réformes des retraites et du marché du travail. Autrement dit, en réalité, la situation n'a pas bougé d'un pouce par rapport à la situation du 20 février. L'optimisme est donc d'abord de la communication.

Ces deux sujets sont, depuis cette date, les sujets de blocage entre les créanciers et la Grèce. La Grèce fait des concessions, mais elles sont toujours jugés insuffisantes. Ce que les créanciers cherchent à obtenir, c'est bien toujours et encore cette capitulation inconditionnelle du gouvernement grec : coupes dans les retraites, allongement de l'âge de départ en pension, fin des dernières (et rares) barrières aux licenciements collectifs. Derrière ces conditions, il y a un but politique qui a été présenté en avril par un officiel proche des négociations au Financial Times : provoquer la cassure au sein de Syriza et avec les Grecs Indépendants pour former une alliance entre la partie « modéré » de Syriza et la gauche « pro-mémorandum », formée de Potami et du Pasok.

Or, malgré ses concessions de façade, Yanis Varoufakis ne semble pas prêt à aller jusque-là. Il a établi deux lignes rouges, en apparence nouvelles, mais qui, en réalité, restent les mêmes : « mettre fin au cycle déflationniste » et « mieux répartir le fardeau des plus faibles sur les autres. » Autrement dit, les exigences de l'Eurogroupe demeurent toujours inacceptables à l'aune de ces deux conditions qui sont une simple « réécriture » des anciennes lignes rouges.

Concessions grecques, surplace européen

Derrière les sourires, les négociations demeurent donc encore difficiles et les blocages persistent. La Grèce fait des concessions, et si l'on en croit Pierre Moscovici, elle aurait accepté de revoir les taux de TVA, sans doute dans les îles touristiques, ce qui est une concession, en effet majeure. Mais il faut prendre ces concessions avec précaution : elles n'ont de sens que si les points de blocage sont dépassés, ce qui n'est pas le cas. Comme précédemment, la Grèce recule, mais l'Eurogroupe ne bouge pas. Sa stratégie reste la même : celle de la capitulation sous l'effet des circonstances. De son côté, la Grèce continue d'agiter le risque d'un défaut. Là aussi, donc rien de nouveau. On demeure dans cet « équilibre de la terreur » où l'on tente de tester la capacité de l'autre camp à aller jusqu'au bout. Du reste, cette volonté de rétablir la confiance par une communication pleine d'optimisme prouve que les deux parties tentent d'obtenir encore du temps, soit par une BCE moins sévère, soit par l'amélioration de la situation économique.

Temps compté

Mais le temps est plus que jamais compté. Le communiqué de l'Eurogroupe rappelle que les négociations actuelles se placent toujours dans le cadre de l'accord du 20 février qui prolongeait jusqu'au 30 juin seulement le programme. Le 1er juillet, la Grèce ne pourra donc en théorie plus prétendre aux 7,2 milliards d'euros de ce programme. Or, comme l'a rappelé Klaus Regling, le président du FESF, il y a des procédures de validation nationale avant le déblocage des fonds. Quant à Jeroen Dijsselbloem, il a prévenu que les fonds ne seront versés que lorsque les réformes seront « mis en place », pas lorsqu'un accord sera trouvé. Bref, un accord ne sera pas suffisant pour obtenir l'argent. Les obstacles risquent de ne pas manquer : la possibilité d'un gouvernement finlandais très défavorable à toute aide à la Grèce pourrait bloquer l'accord, par exemple.

Problème de calendriers

Parallèlement, Yanis Varoufakis a indiqué que la question de la liquidité était « urgente. » La Grèce a payé les 756 millions d'euros dus au FMI le 12 mai, mais les caisses se vident et honorer ses engagements devient très risqués pour la Grèce qui, pour payer le FMI a dû cesser de payer une grande partie de ses factures. En mars, les impayés de l'Etat ont ainsi progressé de 10,4 %. Ceci pèse fortement sur l'économie grecque. Bref, d'ici deux semaines, selon Yanis Varoufakis, la Grèce sera à court de liquidités. La situation actuelle, qui perdure depuis bientôt trois mois, va donc devenir intenable. Une décision devient imminente. Si Alexis Tsipras ne parvient pas à faire céder les créanciers sur ses « lignes rouges », il va devoir prendre un choix redoutable : ou capituler ou se lancer dans une rupture avec les Européens. Mais les calendriers se bousculent. Il n'est pas certain que les 7,2 milliards d'euros suffisent pour la Grèce alors que le pays doit rembourser 6,7 milliards d'euros à la BCE et que les arriérés du gouvernement s'élèvent à 4,43 milliards d'euros... Bref, l'optimisme de surface de cet Eurogroupe dissimule plus que jamais une impasse pour la Grèce.