L'Etat français s'oppose à la nomination controversée d'une Américaine (ancienne consultante pour les GAFAM) à un poste clé de l'UE

Par latribune.fr  |   |  665  mots
L'exécutif européen a justifié l'ouverture du poste à des candidats hors de l'UE par « les connaissances très spécifiques requises ». (Crédits : DR)
Fait rarissime, le ministre français du Numérique Jean-Noël Barrot a réclamé jeudi à la Commission européenne de « réexaminer son choix » de nommer Fiona Scott Morton au poste de cheffe économiste de l'antitrust européen. Cette dernière a notamment travaillé pour le ministère américain de la Justice, qui frappe régulièrement les multinationales européennes de lourdes sanctions extraterritoriales, puis comme consultante pour Apple ou Microsoft.

Rares sont les sujets qui forment un tel consensus dans la classe politique. L'opposition à la nomination d'une Américaine, passée par l'administration Obama et ancienne consultante des GAFAM, à un poste clé de la Commission européenne en est un. L'exécutif européen a confirmé que Fiona Scott Morton, actuellement professeure d'économie à l'université de Yale, deviendrait la nouvelle cheffe économiste de la Direction générale de la concurrence de l'UE, à compter du 1er septembre.

Fait rarissime, le gouvernement français a réclamé jeudi à la Commission européenne de « réexaminer son choix » par la voix du ministre en charge du Numérique Jean-Noël Barrot. « À l'heure où l'Europe s'engage dans la régulation numérique la plus ambitieuse du monde, la récente nomination de l'économiste en chef de la DG Concurrence n'est pas sans soulever des interrogations légitimes », pointe le ministre dans un tweet, avant d'inviter la Commission.

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Face au tollé, une porte-parole de la Commission européenne a expliqué que Fiona Scott Morton aurait un rôle de conseillère sur les questions économiques auprès de la commissaire à la Concurrence, Margrethe Vestager. L'institution se défend de tout conflit d'intérêt.

Bruxelles dit avoir accepté les candidats extra-européens en raison des « connaissances très spécifiques requises »

« La Commission a soigneusement examiné si elle avait un intérêt personnel de nature à compromettre son indépendance », a assuré la porte-parole, déclarant que la nouvelle économiste en chef ne serait « pas impliquée dans des dossiers sur lesquels elle a travaillé ou dont elle a eu connaissance dans son emploi précédent ». L'exécutif européen a justifié l'ouverture du poste à des candidats extra-européens par « les connaissances très spécifiques requises ».

La puissante Direction générale de la concurrence a pour mission de faire respecter les sacro-saints principes de libre-concurrence sur lesquels le marché européen est bâti. A ce titre, l'administration enquête sur les abus de position dominante des multinationales, notamment les géants du numérique qui ont subi des amendes élevées ces dernières années.

Pluie d'indignations dans la classe politique

Dans la classe politique française, tous les partis ont brocardé cette arrivée prochaine. Les élus se sont indignés des anciennes fonctions de Fiona Scott Morton : responsable de l'analyse économique à la division antitrust du ministère américain de la Justice, entre mai 2011 et décembre 2012, puis consultante pour des grands groupes de la tech comme Apple et Microsoft.

« Embaucher une lobbyiste américaine des GAFAM au moment où l'Europe se décidait enfin à limiter leur pouvoir, c'est un comble. Cette nomination est, au mieux maladroite, au pire dangereuse. Dans tous les cas, la Commission doit y renoncer », a dénoncé à l'AFP l'eurodéputé conservateur Geoffroy Didier (Les Républicains). « À Bruxelles, lorsqu'on sort un lobbyiste par la porte, il revient par la fenêtre ». Dans la majorité présidentielle, le député macroniste de Paris, Benjamin Haddad, y voit « une décision inexplicable ». « Aucun citoyen européen n'avait les compétences requises ? », s'est-il étonné sur Twitter.

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A gauche et à l'extrême-gauche, même musique. L'eurodéputé écologiste Yannick Jadot parle d'« un scandale » et demande à Ursula von der Leyen, régulièrement critiquée pour son atlantisme, « d'annuler cette nomination contraire à l'éthique ». « Nous avons travaillé d'arrache-pied pour réguler les GAFAM, ce n'est pas pour confier l'application de ces règles à leur lobbyiste. No way », s'est catégoriquement opposé l'eurodéputé de centre-gauche Raphaël Glucksmann. « Naufrage de la prétendue "souveraineté européenne" et annexion de notre continent par les Nord-américains. Elle est belle leur Europe ! », s'est emporté Jean-Luc Mélenchon en critiquant Ursula von der Leyen.

(avec AFP)