
Cela fait des mois que les chefs d'Etat européens, Emmanuel Macron en tête, somment Bruxelles de riposter au grand plan climat de Joe Biden qui prévoit 370 milliards de dollars d'investissements climatiques notamment pour les entreprises fabriquant sur le sol américain des batteries de voitures électriques ou les panneaux solaires. Très attachée jusqu'ici au principe de libre concurrence, la Commission européenne a entrouvert la possibilité pour les Etats d'accorder des subventions... mais seulement à certains secteurs et à titre temporaire.
Les dirigeants européens examineront les propositions de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, qui souhaite donner plus de flexibilité aux Etats membres dans l'octroi d'aides aux entreprises impliquées dans les énergies renouvelables et la décarbonation de l'industrie. Certains investissements dans de nouvelles usines pourraient notamment être soutenus par des « avantages fiscaux ». La mesure divise les Vingt-Sept, alors que les règles d'attribution des subventions nationales sont déjà assouplies depuis le début de la crise sanitaire en 2020.
L'Union européenne doit-elle autoriser définitivement des subventions massives au « made in EU » ? C'est la question du débat de La Tribune de cette semaine.
Le contexte actuel impose d'accorder des aides publiques ciblées. Elles doivent profiter aux entreprises européennes qui investissent et produisent en Europe dans les industries vertes : énergie, mobilité, santé et agro-alimentaire. Dans ces secteurs très dépendants de l'énergie, l'Europe est menacée de perte de compétitivité et les délocalisations. A cause de l'IRA et des prix de l'énergie beaucoup plus faibles aux Etats-Unis, on voit déjà certains projets industriels prévus en Europe être déplacés de l'autre côté de l'Atlantique. L'UE accuse du retard face aux Etats-Unis, qui avaient déjà une politique industrielle offensive pour développer la Silicon Valley, ou à la Chine qui subventionne ses industries depuis les années 2000. Cela va continuer et d'autres pays tels que le Japon ou l'Inde s'emparent des mêmes outils protectionnistes.
En Europe, l'ambition in fine doit être de construire un écosystème dans les industries vertes à forte valeur ajoutée, doté de ses banques et de ses fonds pour financer, sa R&D pour innover et ses entreprises industrielles pour produire. Il ne s'agit pas de subventionner tous les secteurs, ce qui fausserait la concurrence, mais simplement de flécher les aides vers les domaines de pointe comme l'hydrogène ou l'électricité. Ces subventions ont vocation à être temporaires, jusqu'à ce que des leaders soient positionnés sur des technologies clés. Cette stratégie industrielle peut néanmoins prendre du temps, peut-être plus d'une décennie. La révolution industrielle que l'on vit remet les compteurs à zéro et l'on ignore encore ce que seront les futures innovations de rupture.
L'Europe dispose d'atouts suffisants grâce à son marché totalement intégré de 500 millions de personnes bien formées à fort pouvoir d'achat. Parmi les outils disponibles, les États membres peuvent entrer au capital des firmes les plus prometteuses, ou injecter directement des fonds conditionnés à un éco-label pour stimuler l'offre et la demande de produits « made in EU ». Du côté des industriels, cet éco-label doit leur imposer de produire en Europe mais aussi d'être une entreprise européenne s'ils veulent percevoir les subventions. Du côté des consommateurs, l'éco-label doit accorder une subvention à l'achat des produits faits en Europe, tout en représentant un argument écologique de vente. A la manière de l'IRA, un tel éco-label coche la case écologique - on produit à proximité -, la case industrielle - on relocalise - et politique - on ne parle pas ouvertement de protectionnisme et on ne braque pas les pays plus libéraux de la zone euro.
L'Europe a tout à gagner à travers cette politique de subventions, qui est un investissement sur l'avenir. Le financement de notre protection sociale, le vieillissement de la population et le ralentissement des gains de productivité rendent nécessaire de trouver des relais de croissance autre que le financement par toujours plus de dette publique. Les industries de haute technologie génèrent une très forte valeur ajoutée. Encore une fois, on ne pourra pas tout réindustrialiser mais l'on peut revenir à une part de l'industrie entre 13 et 15% du PIB. Un tissu industriel performant créera des millions de postes, dans l'industrie mais aussi les services qui fleuriront dans son sillage, capables de compenser les destructions d'emplois dans les vieux secteurs. Du point de vue de l'Etat, réindustrialiser est un enjeu social. Par la richesse et les gains de productivité qu'elle dégage, l'industrie fait vivre une classe moyenne qualifiée. Joe Biden l'a bien compris. N'oublions pas que les délocalisations des trois dernières décennies ont rimé avec paupérisation dans les anciens bastions industriels, qui ne s'en sont jamais relevés.
La course aux subventions poursuit avant tout un objectif politique et politicien. Les motifs économiques d'une surenchère de subventions pour répondre au plan américain me semblent fragiles. Quels objectifs économiques poursuit-on ? Anticipe-t-on tous les effets d'une telle course ?
Tout d'abord, il faut rappeler que rien n'empêche les subventions à la production en Europe. Bien sûr les aides publiques aux entreprises sont réglementées en Europe, mais non seulement les dérogations sont nombreuses, existent par ailleurs les plans importants d'intérêt commun européens offrant des cadres d'intervention de plus en plus larges. Et par nature, une subvention à la production impose des contraintes de localisation.
En revanche, les subventions à l'achat ne peuvent être strictement conditionnées à la production en Europe. Or dans de nombreux secteurs, cette absence de condition conduit à importer et donc à subventionner des producteurs étrangers et notamment chinois. C'est ce que voulaient éviter les Américains. En Europe, en l'état actuel des capacités de production, il faut se passer de subventions à l'achat et utiliser l'argent public pour les infrastructures et la production.
Ensuite, peut-on éviter le déclin relatif de l'attractivité du marché européen par une surenchère aux subventions ? Non, car la cause principale du déclin actuel réside dans le coût de l'énergie. Non, car les autres éléments de l'attractivité européenne que sont les engagements sur le long terme à la réduction des émissions, les préférences des consommateurs européens, les qualifications dans la construction, l'énergie et les emplois liés à la décarbonation, la densité urbaine et les atouts géographiques de l'Europe sont les principaux éléments qui permettent l'absorption des subventions, c'est-à-dire la capacité des subventions à générer des capacités de production durables et décarbonées. L'argent seul ne fait pas un programme de changement des spécialisations. Par ailleurs, en matière de comportement, inscrire le fonctionnement d'une industrie sous le régime des subventions, c'est conforter les entreprises dans une course à un abaissement des coûts fictifs qui ne repose pas sur des améliorations technologiques réelles.
Enfin, sur le plan macroéconomique, une surenchère à la subvention est purement et simplement inflationniste. Le niveau de chômage étant très bas aux Etats-Unis, les emplois nécessaires à l'augmentation de la production attendue des divers plans américains vont se payer très chers en salaires. Dans un contexte de restrictions à l'immigration, les emplois de construction, de techniciens et d'ingénieurs dans la décarbonation vont se faire rares.
Les Etats-Unis font une erreur économique à contraindre la localisation à leur marché nord-américain insuffisamment capable d'absorber ces montants de subventions. Faut-il accentuer leur erreur pour avoir tort avec eux et subir inflation et excès de capacités ou faut-il parier sur une autre voie ?
Sujets les + commentés