« La désindustrialisation a bien été une décision idéologique » (Anne-Sophie Alsif, économiste)

ENTRETIEN. L'économiste, spécialiste des relations économiques internationales, se réjouit de voir Emmanuel Macron prendre des mesures protectionnistes en faveur des voitures fabriquées en Europe. Sur le modèle de l'Inflation Reduction Act (IRA) de Joe Biden, Anne-Sophie Alsif appelle désormais le gouvernement français à débloquer des subventions simples et rapides pour les industriels qui produisent localement des batteries, des véhicules électriques et d'autres technologies d'avenir.
Anne-Sophie Alsif.
Anne-Sophie Alsif. (Crédits : Reuters)

LA TRIBUNE - Emmanuel Macron a prévenu hier que le bonus automobile serait à l'avenir conditionné à des critères écologiques. Objectif, tenir compte de « l'empreinte carbone de la production du véhicule ». En quoi cette mesure peut-elle soutenir la réindustrialisation française ?

ANNE-SOPHIE ALSIF - C'est une très bonne idée. Quand vous faites du protectionnisme, vous pouvez prendre des mesures tarifaires, c'est-à-dire augmenter les droits de douane, comme l'a fait Donald Trump sur certaines marchandises chinoises. Cela enfreint ouvertement les règles du commerce international, même si tous les pays du monde s'en affranchissent déjà, sauf l'Union européenne.

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Pour respecter en façade ces règles, vous pouvez également faire du protectionnisme non-tarifaire, en imposant des normes aux produits importés. Le principe d'un écolabel pour percevoir des aides d'Etat à l'achat d'un véhicule revient à prendre en compte le bilan carbone des véhicules achetés, donc à favoriser les voitures produites localement en Europe ou en France, avec des lois environnementales strictes.

Le chef de l'Etat a expliqué hier que la désindustrialisation était un choix « presque idéologique ». Les annonces d'hier marquent-elles le retour d'un protectionnisme industriel assumé ?

La désindustrialisation a bien été une décision idéologique. Lorsque les pays en développement sont apparus dans les chaînes de production, les pays développés ont admis que leur industrie ne pourrait pas rivaliser avec des coûts de main-d'œuvre beaucoup plus faibles et serait inévitablement délocalisée, particulièrement en Asie. Le projet économique était de tout miser sur les services, par définition pas délocalisables.

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Le choc de compétitivité subi par l'industrie française et européenne ne peut se comprendre qu'à travers cette doctrine, encore très présente chez les économistes. Aujourd'hui, nous en sommes progressivement sortis. En tant qu'économiste, je parle ouvertement d'un retour du protectionnisme car c'est de cela dont il s'agit. Ce mouvement est visible depuis quinze ans. Avant même la crise de 2008, l'Inde, la Chine, la Russie, l'Amérique Latine avaient déjà de plus en plus recours à des barrières non-tarifaires pour défendre leur marché intérieur.

Pourquoi préfère-t-on parler de « souveraineté » que de « protectionnisme » ?

Le terme de « protectionnisme » est politiquement sensible. Certains pays du Nord de l'Europe y sont hostiles. Emmanuel Macron parle donc souveraineté pour ne pas froisser ses partenaires européens. Au fond, l'enjeu reste le même. Les chocs géopolitiques vont être de plus en plus nombreux. Ainsi, il faut être un minimum autosuffisant sur le plan industriel pour réduire ses dépendances à l'extérieur. Aujourd'hui, la géopolitique a pris le dessus sur l'économie, à l'image du conflit qui se profile entre la Chine et les Etats-Unis.

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Emmanuel Macron en a pris acte. Néanmoins, ce n'est pas du tout le paradigme de l'Union européenne, construite sur un marché le plus ouvert possible et des prix bas pour les consommateurs. Redonner la priorité à la production industrielle aura pour conséquence une hausse des prix. Cette politique de souveraineté industrielle est inflationniste. Il faut clairement dire qu'acheter un jean à 20 euros produits dans 50 pays ne sera plus possible.

Un crédit d'impôt en faveur des industries vertes, sur le modèle de celui de l'IRA (Inflation Reduction Act, aux Etats-Unis) se prépare. De quels outils utilisés à l'étranger la France doit-elle s'inspirer pour se réindustrialiser ?

Il est d'abord nécessaire de débloquer des subventions industrielles et surtout de les conditionner à l'achat de produits faits localement, à la manière de ce qu'exigent les Etats-Unis. Les aides publiques doivent, en outre, être simples et rapides à toucher, sur le modèle du crédit d'impôt de l'IRA.

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Enfin, le dernier levier, peut-être le plus important, est le prix de l'énergie. La France possède un avantage comparatif sur l'Allemagne et l'Italie avec le nucléaire pour fournir aux industriels de l'énergie bon marché. Sur ce point, les Etats-Unis, autosuffisants en hydrocarbures, sont très en avance.

Le plan pour les industries vertes de la France intervient près d'un an après le vote de l'IRA. Le crédit d'impôt annoncé par Emmanuel Macron suppose encore d'attendre que les Européens s'accordent sur les produits concernés. Dans le même temps, les investissements affluent aux Etats-Unis et la Chine a des années d'avance sur les véhicules électriques ou les panneaux solaires. Est-ce que l'industrie française et européenne pourra rattraper son retard ?

Non, on ne rattrapera pas notre retard sur les technologies existantes comme les panneaux solaires ou les batteries actuelles. En revanche, nous sommes au tout début de l'émergence de technologies d'avenir. Les batteries produites dans cinq ans n'auront rien à voir avec les modèles actuels. Elles seront plus puissantes, plus économes, plus rapides à charger. Il nous appartient de nous positionner maintenant comme leader sur ces innovations pour se réindustrialiser dans des secteurs d'avenir.

Propos recueillis par Paul Marion

Commentaires 16
à écrit le 13/05/2023 à 16:29
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Eh oui depuis Giscard qui voulait faire de la france une Puissance "PENSANTE"uniquement de la matière crise mais pas de bras ni de muscles, et donc plus d'usines à polluer le paysage. Puis CHIRAC et SARKOZY n'ont rien fait pour changer la donne et au...

à écrit le 13/05/2023 à 9:34
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Et que dire de Pascal Lamy, commissaire européen du commerce et ensuite directeur de l'organisation du commerce mondial, protégé de Jacques Delors, qui a détricoté les taxes qui nous protégeaient des bas coûts de la Chine et autres pays a bas salaire...

à écrit le 13/05/2023 à 1:33
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"des subventions simples et rapides" lol La France c'est compliqués et lent ! Si en plus c'est localement, il y aura les contraintes et les lois, plus beaucoup d'administratif, de paperasses et d'attente. Malheureusement quand tout passe au vert, l...

le 13/05/2023 à 8:22
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enfin on commence a exprimer que les delocalisation n'avait qu'un seul but creer du chomage et la peur de perdre sont emploi par des represailles du pouvoir droite et gauche comprise apres les greves de 68...

le 13/05/2023 à 8:24
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enfin on commence a exprimer que les delocalisation n'avait qu'un seul but creer du chomage et la peur de perdre sont emploi par des represailles du pouvoir droite et gauche comprise apres les greves de 68. et eux n(ont pas hesite pour ruine un pays...

à écrit le 12/05/2023 à 18:54
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Une fois que le mal est fait, on ne peut que se réjouir de l'idée contraire qui n'a plus lieu d'être ! La seule idée McKronienne est de gagner du temps en le faisant perdre aux Français ! ;-)

le 12/05/2023 à 19:51
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Le verbeux nous fait du en même temps, il n' a pas les manettes qui sont à l' UE et donc, doit se contenter de suivre le plan de petit père "Schwab de davos" expédié par l' UE des GOPE. Mieux, lui et les siens ne pe...

à écrit le 12/05/2023 à 18:47
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"Lorsque les pays en développement sont apparus dans les chaînes de production, les pays développés ont admis que leur industrie ne pourrait pas rivaliser avec des coûts de main-d'œuvre beaucoup plus faibles et serait inévitablement délocalisée, part...

le 12/05/2023 à 21:05
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En Allemagne il n’y a pas d’ISF. Une grosse PME ne verse pas de dividendes, car elle s’autofinancent généralement. Les héritiers sont donc taxés sur un capital qui ne leur rapporte pas. Ils le vendent. Voilà une des réalités qui échappe au socialis...

à écrit le 12/05/2023 à 18:04
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C'est plutôt : décision stratégique stupide d'un patron n'ayant rien compris au fonctionnement d'une entreprise industrielle et qui ne voulait pas se casser la tête à produire. C'est tellement plus difficile de produire que de délocaliser et de laiss...

à écrit le 12/05/2023 à 17:41
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Bonjour, personnellement je crois que cela a était avant tous une décision politique et économique... Lâcheté des politiques a s'opposer à la mondialisation.... ( Voulut par les américains) . Avantage importants du capitalisme qui fait fabriqués a b...

à écrit le 12/05/2023 à 16:32
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Le coup d'envoi de la désindustrialisation a été donné par Alex Tchuruk en 2001 alors PDG d'Alcatel quand il a annoncé lors d'une conférence " nous souhaitons être très bientôt une entreprise sans usine "

le 12/05/2023 à 16:49
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@ldx: Décision stratégique logique d'un patron souhaitant s'appuyer sur ses point forts; décision stupide d'un homme d'Etat puisqu'il ne peut condamner une partie de ses électeurs à l'émigration.

le 14/05/2023 à 13:13
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Bonjour, Non , une entreprise sans ouvriers, juste des consommateurs, des pauvres et des riches... Les pauvres bien sûr ne sont plus pris en compte depuis longtemps... Bien sûr ils ne faut pas le dire...

à écrit le 12/05/2023 à 16:12
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Idéologique effectivement! Comme pour Alstom, Photonis, Exxelia, et les tubulures pour sous-marins nucléaires...???

à écrit le 12/05/2023 à 16:06
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cela serait une bonne décision SI C'ETAIT FINANCE mais , tous les chèques sans provisions de MR MACRON vont encore se retourner contre nous !!!! n'oublions pas la baisse de notre note

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