L'Europe, grande oubliée du débat à cinq de la présidentielle

Par Romaric Godin  |   |  1336  mots
Un débat présidentiel avec un minimum d'Europe...
Réduit à une passe d'armes sur la sortie de l'euro, le débat européen a été absent des discussions entre candidats. Non sans raison.

C'est une absence qui aurait dû frapper, voire indigner. Or, à part une remarque timide et pour la forme d'Emmanuel Macron, aucun des cinq « principaux » candidats du « grand débat » de ce 21 mars ne s'est réellement inquiété de l'absence des enjeux européens dans la discussion. Cette absence révèle évidemment une réalité : aucun de ces candidats n'a réellement envie de porter un projet européen. On préfère donc se concentrer sur les bons vieux sujets avec lesquels on sait faire mouche auprès des éditorialistes politiques et de sa clientèle électorale : les impôts, l'immigration, le marché du travail, la retraite, la défense, etc.

Silence impardonnable sur l'Europe

Mais ce silence est impardonnable. D'abord parce que rien n'empêchait ces candidats « principaux » d'imposer le sujet comme un des thèmes de ce débat. Ensuite, parce que, dans un pays qui est membre d'une union monétaire, économique ou commerciale, il est assez vain de parler à l'envie de compétitivité et de fiscalité sans prendre en compte le cadre européen. Autrement dit, la plupart des propositions défendues par les candidats ce lundi soir étaient suspendues à des choix européens implicites qui n'ont pas été abordés. Comment espérer que les seules « réformes » amélioreront la compétitivité de la France sans dégâts considérables sur l'économie dans une zone euro où chacun joue de ces « réformes » pour améliorer sa compétitivité ? Comment espérer dépenser des centaines de milliards d'euros ou faire autant de cadeaux fiscaux dans le cadre européen durci depuis 2011-2013 ? Ces questions ont été soigneusement évitées. C'est en cela que le silence est le plus lourd de conséquence : il y a là une forme de tromperie envers l'électeur.

Le débat sur la sortie de l'euro

En réalité, l'Europe a bien fait irruption dans le débat lorsque François Fillon a mis en avant les dangers d'une sortie de l'euro proposée par Marine Le Pen. Il est assez piquant de souligner que ce n'est pas cette dernière qui a amené le sujet et que, jusqu'ici, elle déroulait tranquillement ses propositions sans évoquer cet aspect majeur de son programme, ni ses éventuelles conséquences. Preuve que Marine Le Pen elle-même - qui se cache pour le moment derrière un éventuel référendum - est assez peu à l'aise avec le sujet. La discussion l'a prouvée puisqu'elle n'a pas répondu sur le fond aux accusations de François Fillon qui menaçait la France « d'hyperinflation ». Elle s'est lancée dans une comparaison avec le « projet peur » du Brexit en évitant de tenter de démonter l'argument du candidat républicain qu'Emmanuel Macron ne manquait pas d'appuyer. Dès lors, la discussion s'ensablait dans un débat superficiel sur l'état du Royaume-Uni, permettant rapidement de clore l'affaire.

Le seul moment « européen » du débat aura donc été une passe d'armes bien décevante sur la sortie de la monnaie unique. Une telle position réduit le choix européen des électeurs à un tout ou rien qui, il faut bien l'avouer, est assez stérile et, surtout, qui est peu à même de faire bouger les positions. Ceux qui sont persuadés des bienfaits de la sortie de l'euro pourront railler le discours alarmistes de François Fillon, ceux qui sont persuadés du contraire verront dans Marine Le Pen une forme de Boris Johnson inconscient. Les autres, qui perçoivent les limites de la construction actuelle de la monnaie unique sans croire à la magie d'un retour à la souveraineté monétaire, c'est-à-dire sans doute une grande majorité des électeurs, en auront été pour leurs frais.

Absence fâcheuse de débat

Rien ne leur aura été dit sur les moyens de réformer vraiment la zone euro et sur les stratégies du futur président français pour peser face à une Allemagne qui joue son avantage, c'est-à-dire le maintien du statu quo. Or, seul le débat permet d'avancer sur le sujet pour déjouer le piège qui consiste à se contenter d'un « scénario idéal », par exemple que le gouvernement allemand acceptera sans sourciller un parlement de la zone euro qui le mettra en minorité ou que les réformes françaises suffiront à le convaincre de construire une solidarité interne à cette zone, etc. Il faut espérer que les prochains débats, permettent d'y voir plus clair. Rien n'est cependant moins sûr, d'autant qu'il n'est pas certain que les « grands » candidats aient intérêt à entrer dans un tel débat.

L'avantage du tout ou rien

Car en fait réduire le débat sur l'Europe au « Frexit » arrange tout le monde. Marine Le Pen peut se présenter comme seule contre tous, candidate de « l'anti-système », ce qui lui convient à merveille. Ses adversaires, en se concentrant sur les conséquences supposées de la sortie de la zone euro, lui font la grâce de ne pas lui poser des questions embarrassante sur la méthode, sur son idée parfois émise de « monnaie commune », sur ce pour quoi elle veut réellement sortir de la zone euro. Mais il est vrai que c'est une situation qui arrange fort les deux principaux adversaires de Marine Le Pen dans l'optique du second tour, Emmanuel Macron et François Fillon, pour, au moins deux raisons : réduire ce second tour à un « référendum sur l'euro » pour pouvoir agréger une majorité autour de cette défense de la monnaie unique. C'est très clairement la stratégie menée par Emmanuel Macron qui entend jouer sur son nouveau statut de dernier rempart contre le FN. Et c'est ce qui explique qu'il a si explicitement approuvé l'offensive de François Fillon contre la dirigeante frontiste.

Justifier le statu quo

Mais il existe aussi un autre avantage. François Fillon et Emmanuel Macron développent tous deux une vision où la France doit mener un ajustement unilatéral de sa compétitivité afin de décider l'Allemagne à réformer la zone euro. De ce fait, ils acceptent - avec des délais distincts - le maintien du fonctionnement actuel de l'union monétaire pendant un certain temps. La stratégie du « tout ou rien » permet donc de faire accepter le statu quo comme un « moindre mal ». C'est, du reste, ce qu'a remarqué François Fillon dans son commentaire approuvé par Emmanuel Macron. Ce dernier a, du reste, confirmé brièvement qu'il défendait le statu quo et la "conformité aux engagements". Cette stratégie centrée sur la sortie de l'euro permet donc d'évincer la question de l'efficacité de cette stratégie unilatérale que devront mener de conserve la France et l'Italie, avec une Allemagne qui continue de sous-investir et de faire croître son excédent courant. Elle a l'avantage de ne pas présenter d'alternative crédible autre qu'une explosion chaotique de l'euro à cette politique.

Attendre le résultat des élections allemandes

Les trois candidats en tête des enquêtes d'opinion ont donc tout intérêt à éviter un vrai débat sur l'avenir de la zone euro. Comme les deux candidats de gauche ne sont guère venus troubler cet équilibre, le débat européen risque donc bien de rester à l'état de bonnes intentions. C'est évidemment fâcheux car la construction actuelle de la monnaie unique, encore déséquilibrée par les réformes de 2011-2013 qui renforce la nécessité de l'ajustement unilatéral, est des plus fragiles. Faute de disposer de candidats ayant une vraie vision, l'électeur français attaché à l'euro risque donc d'élire un président dont la principale politique européenne sera d'attendre le résultat des négociations de coalition issues des élections allemandes du 24 septembre. Et d'en accepter l'issue. Et toute la politique de l'Elysée pourrait se limiter à cette stratégie.