
"Hors-norme", "brutale", "violente", "historique", "record", "terrible"...les qualificatifs se multiplient ces derniers mois pour décrire la récession que traverse actuellement l'Europe. Et les dernières statistiques officielles viennent confirmer ce marasme. D'après la dernière livraison d'Eurostat rendue publique ce vendredi 14 août, le produit intérieur brut (PIB) de la zone euro a plongé au cours du second trimestre de -12,1% par rapport au premier trimestre (-3,6%). Dans l'Union européenne, la croissance a reculé de -11,7% contre -3,2% entre janvier et mars. A titre de comparaison, l'économie américaine s'en sort légèrement mieux avec un recul de la croissance estimé à -9,5%. Outre-manche, l'économie britannique a enregistré un plongeon historique de son activité (-20,4%). Il s'agit du pire résultat à l'échelle européenne.
Pour les 19 pays de la zone euro, cette débâcle laisse craindre le pire. "Le chiffre global n'est pas une surprise. C'est la plus grande crise depuis la création de la zone euro. Ce recul reflète les mesures de restriction très drastiques décidées dans certains pays. Il y a eu une reprise qui se matérialise mais il reste beaucoup d'incertitudes. La reprise de l'épidémie dans certains pays n'est pas un bon signal "explique l'économiste en chef de Market Securities, Christophe Barraud, interrogé par La Tribune. Depuis quelques jours, plusieurs pays multiplient à nouveau les mesures de restriction (quarantaine pour les Français arrivant au Royaume-Uni, fermetures des boîtes de nuit en Espagne) qui illustrent la persistance du virus en Europe.
L'Europe du Sud dans la tourmente
La récession a frappé de plein fouet les pays du sud de l'Europe. L'Espagne a connu la plus forte baisse (-18,5%) entre avril et juin. Viennent ensuite le Portugal (-13,9%), la France (-13,8%) et l'Italie (-12,4%). Les estimations pour la Grèce n'ont pas encore été communiquées alors que la République hellénique a déjà traversé un premier trimestre en repli (-1,6%). "Il y a des divergences significatives entre les pays. Les mesures de confinement représentent la variable importante pour comprendre de telles différences. La France, l'Espagne, l'Italie, le Portugal ont vraiment souffert" ajoute Christophe Barraud. "L'Allemagne est sortie moins tard du confinement et a appliqué des méthodes plus rigoureuses très tôt. Certaines différences peuvent s'expliquer par certains secteurs qui ont moins souffert que d'autres" explique l'économiste. En outre, les chiffres du second trimestre ne reflètent qu'une partie du désastre. Certains gouvernements ont décidé de mettre en oeuvre des mesures de confinement plus tôt au cours du premier trimestre. Ce qui a pu contribuer à faire reculer l'économie dès le début du mois de mars.
L'Europe du Nord-Ouest s'en sort un peu mieux
Au Nord, les pays ont relativement moins souffert sur le plan économique. L'Autriche (-10,7%), l'Allemagne (-10,1%) et les Pays-Bas (-8,5%) ont enregistré un recul légèrement moindre. Plus à l'Est, les voyants sont au rouge. La Hongrie (-14,5%), la Roumanie (-12,3%) affichent des replis historiques. Ces écarts de repli de l'activité au sein de la zone euro risquent encore d'accroître les rythmes de rebond économique dans les mois à venir.
L'emploi dans le rouge
Sur le front de l'emploi, les indicateurs sont dans le rouge. Les statisticiens de la Commission européenne expliquent que le nombre de personnes ayant un emploi a baissé de 2,8% dans la zone euro et de 2,6% dans l'Union européenne au cours du second trimestre. "Il s'agit des reculs les plus importants depuis le début des séries temporelles en 1995" indique le communiqué. Si beaucoup d'Etats avaient mis des mesures de chômage partiel au moment du pic de l'épidémie au printemps, la levée progressive des mesures d'endiguement et la reprise de l'activité ont déjà provoqué des dégâts dans de nombreux secteurs en première ligne comme le tourisme, la restauration ou l'hôtellerie.
Une reprise menacée
Depuis le printemps, la plupart des instituts de statistiques ont révisé à la baisse leurs prévisions de croissance. Si la levée des mesures de confinement a permis une reprise progressive de l'activité, un retour à la normale n'est pas envisagé avant plusieurs trimestres. "La reprise s'essouffle quand on regarde les données haute fréquence. C'est lié notamment à une rebond de l'épidémie" affirme Christophe Barraud. "Le rebond devrait être important au troisième trimestre. Au T3, les pays qui ont le plus souffert vont afficher le plus fort rebond. A la rentrée, on peut cependant assister à un second choc économique avec une hausse des faillites d'entreprises. Le quatrième trimestre va être déterminant. C'est très difficile de faire une prévision pour 2021. Les plans de relance vont monter en puissance. L'Allemagne est un des rares pays à pouvoir revenir à la normale dès 2021" déclare Christophe Barraud. A cela s'ajoutent, "le dénouement du Brexit, l'élection présidentielle américaine qui créent beaucoup d'incertitudes".
> Lire aussi : En Europe, l'économie repart... en ordre dispersé
Un plan de relance suffisant ?
A ce stade, il est encore difficile d'évaluer l'ampleur des dégâts sur le continent européen alors que le virus continue de circuler. Rapidement, la Banque centrale européenne (BCE) a réagi au printemps en poursuivant sa politique monétaire accommodante, en évitant le creusement des écarts de taux entre les pays de la zone euro et en incitant les banques privées à prêter aux entreprises en difficulté. Par la suite, les chefs d'Etat et de gouvernement européens après d'âpres débats et discussions ont conclu un accord pour un plan de relance de 750 milliards d'euros sous forme de prêts et de subventions accordés aux Etats. Bien que cette somme peut paraître astronomique, elle ne représente qu'une infime partie du produit intérieur brut européen estimé à 15.300 milliards d'euros en 2017 d'après la Commission et des pertes abyssales entraînées par la récession. En outre, si les institutions européennes (BCE et Commission) ont réagi plus rapidement que lors de la crise de 2008, le manque de coordination sanitaire pour répondre à la propagation risque de favoriser la circulation du virus alors que l'économie européenne continue de s'enfoncer dans la crise.
Sujets les + commentés