Mario Draghi muscle son QE pour masquer son impuissance

Par Romaric Godin  |   |  1086  mots
Mario Draghi s'est dit prêt à agir davantage. (Crédits : © Ints Kalnins / Reuters)
La BCE a annoncé une modification marginale des règles du programme de rachat d'actifs publics. Une tentative pour tenter de contrer les effets du ralentissement émergent. Mais Mario Draghi est bien seul.

Mario Draghi tente de relance sa politique de rachats d'actifs publics. Le président de la BCE a annoncé ce jeudi 3 septembre une modification du fonctionnement de son programme d'achats de titres publics, connus sous le nom d'assouplissement quantitatif (connu sous l'acronyme anglais de QE). Désormais, la banque centrale pourra racheter jusqu'à 33 % d'une émission de titres, contre 25 % jusqu'ici, si, cependant, elle ne dispose pas d'une minorité de blocage. Ceci va donc permettre de concentrer l'action de la BCE sur certaines parties de la courbe des taux des Etats membres, et donc d'agir, en cas de besoin de façon plus ciblée.

Pas d'augmentation du QE

Le montant mensuel des rachats demeure cependant le même, 60 milliards d'euros. Il ne s'agit donc pas d'élargir les montants mis à disposition de ces rachats. En revanche, Mario Draghi a, à nouveau, insisté sur la possibilité qu'avait l'institution de Francfort, d'aller plus loin que sa date de fin prévue, septembre 2016, « si cela est nécessaire et dans tous les cas jusqu'à ce que nous voyons un ajustement soutenu dans le tracé de l'inflation vers notre objectif d'un taux inférieur, mais proche de 2 %. » Bref, le QE durera tant qu'il le faudra, même si, a précisé Mario Draghi, l'augmentation du montant des rachats « n'a pas été discuté. »

Message aux agents économiques

Cette modification marginale est en réalité un message envoyé aux marchés et aux agents économiques pour rétablir la confiance dans la politique monétaire de la BCE. Car pour le moment, le bilan du QE, lancé en mars, et des autres programmes de rachats lancés en juin et septembre dernier, restent assez mitigés. Certes, ces annonces ont fait beaucoup baisser l'euro, ce qui a donné un coup de pouce bienvenu aux croissances de plusieurs pays de la région, comme l'Irlande, l'Espagne ou l'Allemagne. Certes, la baisse des taux provoqués par le QE a permis de stabiliser l'offre de crédits. Mais la situation est loin d'être réjouissante.

Reprise fragile

La reprise reste réduite et est désormais sous la menace du ralentissement des marchés émergents. Les prévisions des équipes de la BCE ont ainsi été révisées à la baisse et l'on ne prévoit plus qu'une croissance de 1,4 % en 2015, 1,7 % en 2016 et 1,8 % en 2017. L'effet reste donc assez faible. Surtout, l'impact sur l'inflation, le seul objectif de la BCE, rappelons-le, est bien peu sensible. De juin à août, le taux d'inflation de la zone euro est demeuré à 0,2 % sur un an. Sur 2015, les équipes de la BCE ont aussi révisé leurs objectifs à la baisse à seulement 0,1 % cette année et 1,1 % en 2016. Certes, Mario Draghi, comme toujours depuis plus d'un an, met en avant l'effet de la baisse du pétrole. Mais avec un tel taux d'inflation, les marges des entreprises restent sous pression. Et le QE n'aura guère aidé de ce point de vue.

Certes, Mario Draghi a insisté sur l'incertitude de la situation, jugeant qu'il est trop tôt pour dire si la crise des émergents est « temporaire » ou « durable. » Mais il a reconnu que la reprise allait se poursuivre à un rythme moins soutenu qu'auparavant (rythme qui n'était déjà guère soutenu) et que les risques principaux étaient ceux d'une dégradation. Le président de la BCE a alors laissé les portes ouvertes à toute nouvelle action, affirmant qu'il avait encore les moyens et les outils pour agir.

La politique monétaire ne suffit pas

Reste qu'il faut se rendre à l'évidence : l'action de la BCE ne suffit pas. Rien d'étonnant à cela, puisque Mario Draghi l'avait lui-même prédit voici un an, dans son fameux - mais, depuis quelques mois très oublié - discours de Jackson Hole du 22 août 2014. Dans ce discours, puis dans la conférence de presse de la BCE du mois de septembre suivant, voici donc précisément un an, l'Italien avait affirmé que « la politique monétaire ne peut pas tout. » Le QE sans l'action conjuguée des « réformes structurelles » et d'une politique de relance budgétaire active au niveau européen était voué à l'impuissance. Or, dès le mois d'octobre, Mario Draghi faisait marche arrière pour une raison simple : le refus des Etats et singulièrement de l'Allemagne de mener une politique active de relance.

Le changement de discours et l'abandon de Jackson Hole

Dès lors, le discours de la BCE a changé. La politique monétaire pouvait tout. Mario Draghi n'a gardé, évidemment, que son discours sur les « réformes structurelles » dont l'absence supposée est désormais le seul vrai obstacle à la reprise. Lors de son intervention, ce 3 septembre, le président de la BCE consacre sept lignes à ces réformes structurelles. Certes, il ajoute que « la politique budgétaire devrait soutenir la reprise », mais pour ajouter aussitôt qu'elle doit rester « dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance. » Et d'ajouter : « une mise en œuvre pleine et constante de ce pacte est cruciale. » Autant dire que ce troisième pilier est réduit à une portion congrue. C'était pourtant le cœur du programme de Jackson Hole de 2014.

La zone euro souffre évidemment d'un manque d'investissement majeur et le lent et inefficace plan Juncker, avec ses 315 milliards d'euros d'investissements rêvés, ne peut remplacer une véritable politique de relance centrée sur les pays qui en ont le plus besoin et qui, souvent, sont ceux qui sont déjà hors des clous du pacte budgétaire. Bref, la relance européenne concertée et ciblée voulue par Mario Draghi en 2014 était bien nécessaire. En passant, on pourrait remarquer que c'était une des demandes pour la Grèce du gouvernement grec d'Alexis Tsipras que la BCE elle-même a contribué à mettre à genoux.

Test de la crise émergente

Mario Draghi se retrouve donc dans le rôle qu'il voulait éviter, mais qu'il a fini par accepter : celui d'être le seul rempart contre le risque récessif et déflationniste. Mais la transmission de la politique monétaire demeure toujours assez délicate et, surtout, ce n'est pas un bouclier suffisant face aux événements exogènes. Ainsi a-t-on vu l'euro remonter nettement après la dévaluation chinoise et la panique qui s'en est suivie sur les marchés. La crise des pays émergents sera donc un véritable test pour cette nouvelle doctrine où la politique monétaire « pourrait tout. » Mais ce sera sans doute un test bien difficile.