Quels "populismes" en Europe ?

Par Romaric Godin  |   |  1246  mots
Geert Wilders, président du PVV néerlandais pourrait remporter les élections aux Pays-Bas l'an prochain.
En Europe, la victoire de Donald Trump a été saluée par les mouvements autoritaires d'extrême-droite qui espèrent profiter de ce précédent. De fait, ces mouvements ont actuellement le vent en poupe en Europe.

Après le Brexit, Donald Trump. L'élection aux Etats-Unis est venue confirmer que « l'impossible » est désormais possible. Elle a relancé l'idée d'une « montée des populistes » des deux côtés de l'Atlantique. Mais qu'en est-il exactement en Europe ?

La crise débutée en 2007, la plus violente depuis 1929, a naturellement laissé des traces politiques. Dix ans après, les effets s'en font encore sentir, en termes d'inégalités de revenus et de territoire, mais aussi en termes de richesses créées. Partout, les classes moyennes se sentent menacées d'une paupérisation que les classes les plus modestes éprouvent déjà au quotidien. Ceux qui ont géré cette crise, et qui sont pour la plupart issus des grands partis traditionnels de l'après-guerre, sont naturellement sur la sellette. Dès lors, des partis alternatifs utilisent cet échec des élites en place pour tenir un discours contre « l'establishment » et promettent de « rendre le pouvoir au peuple » pour effacer les erreurs d'élites qui seraient coupées de la réalité. Ces mouvements sont souvent qualifiés de « populistes » en ce qu'ils opposent une élite qu'ils rejettent à un peuple qu'ils entendent incarner. Mais ils représentent aussi une alternative à un jeu politique traditionnel qui, en donnant l'impression de « tourner à vide », se montre incapable de répondre aux attentes de l'opinion.

Le « populisme » de gauche

Ce « populisme » prend plusieurs formes très diverses qui s'appuie sur différentes réalités historique, sociologique et économique. On peut en distinguer trois formes. Le premier, à gauche, rejette la mondialisation libérale et appelle à un réinvestissement de l'Etat dans l'économie ainsi qu'au maintien des services publics et des protections sociales. Il est fort dans les pays qui ont le plus souffert des politiques d'austérité : en Irlande avec le Sinn Féin, en Espagne avec Podemos, au Portugal avec le Bloc de Gauche et en Grèce avec Syriza. Mais il existe aussi dans des pays où l'austérité a été moins dure, quoique réelle, comme en France, en Belgique ou au Pays-Bas. Ces mouvements s'appuient sur les victimes de la mondialisation et de la crise, mais leur progression semble freiner par plusieurs éléments. D'abord, leur difficulté à convaincre des classes moyennes qui ne sont pas séduits par leurs projets. Cette classe moyenne ne souhaite pas une redistribution des richesses, mais des perspectives pour son propre compte. Ensuite, par le rejet « culturel » de l'héritage marxiste dans la société occidentale contemporaine qui est un élément souvent utilisé contre ces mouvements. En Espagne, Mariano Rajoy et parfois même les Socialistes ont agité le risque « bolchéviste » contre Podemos. On a vu le même mouvement en Grèce contre Syriza. Enfin, l'échec de l'expérience de Syriza en Grèce, organisée par les créanciers européens, a beaucoup contribué à discréditer dans l'opinion ces options. Aujourd'hui, ces mouvements demeurent parfois forts dans certains pays d'Europe, mais leur perspective de progression dans l'opinion demeure limitée. L'expérience espagnole a montré leurs limites.

Le « populisme » libéral

La deuxième forme de « populisme » est un populisme centriste et libéral. Il rejette des élites qui utiliseraient l'Etat à leur profit et entretiendrait une bureaucratie coûteuse et des règles obsolètes à leur profit. Ce populisme se veut « moderne » et s'appuie sur certaines recettes miracles, celles de la libéralisation à outrance et des « réformes », clés pour un paradis futur. Ces mouvements prétendent notamment réduire les impôts grâce à une baisse drastique de la finance publique et aux effets de la libéralisation. Ce « populisme » insiste beaucoup sur la corruption des élites ou leur caractère de castes. Ciudadanos en Espagne en est un exemple, En Marche d'Emmanuel Macron en France, en est un autre. En Allemagne, les Libéraux de la FDP en 2009 avaient beaucoup joué sur cette corde. Ces mouvements « neufs » qui entendent s'imposer dans le jeu politique sont cependant souvent très fragiles. S'ils peuvent séduire certaines parties de la société, si leur audience peut parfois dépasser les 10 % comme la FDP en 2009 ou Ciudadanos en Espagne, leur marge de progression est également très réduite. Ils peinent à s'imposer dans les milieux populaires, ruraux et périurbains et, souvent choyés par une partie de l'élite, ne parviennent pas à s'imposer comme un mouvement de « rupture ». Du reste, souvent, ces partis se fondent dans le paysage politique et y perdent leur caractère subversif. Ainsi de la FDP allemande et de Ciudadanos.

Le « populisme » autoritaire

Reste la forme de populisme la plus répandue et celle qui progresse le plus : l'extrême-droite. C'est celle qui se reconnaît le plus dans Donald Trump. La critique de la mondialisation s'y accompagne d'un rejet de l'immigration, la critique du système politique s'accompagne d'une promesse d'un Etat fort mais peu coûteux. Ce positionnement leur permet de jouer sur plusieurs tableaux : celui d'une défense des classes populaires et des classes moyennes. Aux classes les plus fragilisées, on promet un Etat fort et protecteur. Aux classes moyennes, on promet une protection contre la paupérisation par les baisses d'impôts et le protectionnisme censé défendre l'emploi. C'est pour cette raison que ces mouvements ont le potentiel de progression le plus important. C'est, du reste, un phénomène qui avait permis aux mouvements fascistes de l'emporter durant l'entre-deux-guerres et qui leur permet de faire florès dans des pays en apparence prospères, mais où la crise a fragilisé les structures sociales. Comme ils sont souvent hors du système d'alliance et qu'il ne participe pas au pouvoir, à la différence des deux autres mouvements précités, ils peuvent de plus se prévaloir d'une certaine « pureté antisystème » et donc se présenter comme une authentique alternative. Tous ces "populismes" se renforcent, profitant des faiblesses des deux autres "alternatives" : le FN sera au deuxième tour de la présidentielle française l'an prochain, le PVV pourrait être le premier parti des Pays-Bas aux législatives de mars 2017, la FPÖ pourrait remporter l'élection présidentielle autrichienne en décembre prochain, l'AfD pourrait dépasser les 10 % aux élections fédérales et la Ligue du Nord italienne pourrait plus que doubler son score.

Quelle réponse ?

Ce « populisme » autoritaire et xénophobe est celui qui a donc le plus de perspectives en Europe aujourd'hui. La victoire de Donald Trump apparaîtra désormais comme son modèle. D'ailleurs, ces mouvements ne s'y sont pas trompés et tous ont salué la victoire du milliardaire au nez et à la barbe des sondeurs, du FN français à l'AfD allemand en passant par la FPÖ autrichienne et le PVV néerlandais. En espérant évidemment être la prochaine « surprise ». Les partis traditionnels se doivent donc désormais de trouver une réponse à ce danger, car on sait que ces surprises sont possibles. Il semble évident qu'ils ne peuvent plus se contenter de la défense d'un modèle de croissance qui a échoué et qu'ils doivent proposer des alternatives à leurs propres erreurs et des réponses aux inquiétudes des électeurs. Et cela, sans "perdre son âme" et tomber dans la singerie des programmes de l'extrême-droite, ce qui ne conduit qu'au renforcement de ces mouvements. Une tâche qui semble des plus délicates.

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