Salaire minimum européen : le chantier périlleux de von der Leyen

Par Grégoire Normand  |   |  807  mots
La présidente la Commission européenne Ursula von der Leyen au forum économique de Davos. (Crédits : Reuters)
La Commission européenne s'attaque au chantier du salaire minimum dans l'UE, un grand projet pour permettre à l'Europe de mieux lutter contre le dumping social mais qui se heurte à des réticences dans l'est et le nord de l'Union.

C'est un sujet qui risque de mettre le feu aux poudres dans les prochains mois. Dans une communication présentée il y a une semaine, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a lancé le chantier du salaire minimum sur le Vieux continent. Selon des documents communiqués par les services européens, ce travail doit commencer par une première phase de consultation des partenaires sociaux sur les salaires minimums équitables. Cette phase doit se dérouler au cours du premier trimestre 2020. "Pour des raisons pragmatiques et doctrinales, on a intérêt à avoir cette approche. Si on ne consulte pas, on risque de faire des impasses" affirme une source européenne qui rappelle que les textes européens "imposent de consulter les partenaires sociaux pendant six semaines".

Même si 22 pays sur 28 pays ont adopté un salaire minimum, les sujets de division demeurent très vifs. Pour le commissaire à l'emploi et aux questions sociales, Nicolas Schmit, ce sujet périlleux pourrait à nouveau mettre en exergue les profondes divisions au sein des pays de l'Union européenne. La lutte contre le dumping social et le détachement des travailleurs restent au coeur des problématiques européennes même si certaines avancées ont pu être constatées ces dernières années.

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Le commissaire Nicolas Schmit lors de sa prise de fonction en octobre dernier. Crédits : Yves Herman/Reuters.

Des marges de manoeuvre limitées

Face aux inquiétudes des milieux d'affaires, les membres de la Commission tiennent à préciser qu'"une initiative de l'Union européenne sur le salaire minimum équitable ne cherchera pas à harmoniser les salaires minimums. En particulier, une initiative de l'Union européenne ne fixerait pas et ne pourrait pas fixer un salaire minimum européen uniforme, ni n'imposerait un modèle de fixation du salaire minimum par rapport à un autre".

Visiblement, l'exécutif veut éviter au maximum les crispations dans chaque pays. Dans le document de consultation, l'institution bruxelloise explique qu'elle "respecterait en outre les traditions nationales, l'autonomie des partenaires sociaux et la liberté de négociations collectives". Cette stratégie qui fait le pari de la prudence devrait aboutir en avril. Si les marges de manoeuvre de l'organisation européenne sont limitées sur le plan juridique, "elle peut intervenir sur la couverture et les dynamiques de salaires minimums" précise un membre proche de l'exécutif. "C'est plus les dynamiques que les niveaux qui vont compter dans les prochaines années"ajoute-t-il.

Des propositions "bien légères" pour les syndicats

Les organisations syndicales n'ont pas tardé à réagir à la suite des propositions. Dans un récent communiqué, la secrétaire générale adjointe de la confédération européenne des syndicats, Esther Lynchn, regrette le manque d'ambitions de la nouvelle commission.

"Malheureusement, les propositions contenues dans le document de consultation de la Commission paraissent bien légères. Porter le salaire minimum légal à 60% du salaire médian, soit l'équivalent officiel du seuil de pauvreté, est une exigence de base mais n'est pas suffisant. Certains travailleurs connaîtraient toujours des fins de mois difficiles".

Et il y a des marges de progression. Selon le rapport Benchmarking Working Europe de l'Institut syndical européen, seuls la France et le Portugal affichent un salaire minimum à 60% du salaire médian. De son côté, l'organisation patronale BusinessEurope, présidée par l'ancien responsable du Medef Pierre Gattaz, a également rappelé, dans une communication, que si elle "soutient l'objectif d'une économie sociale de marché qui fonctionne pour les gens [...] la fixation du salaire minimum est une compétence nationale [...] BusinessEurope est fortement opposé à la législation européenne sur les salaires minimums [..] C'est important de rappeler que les salaires ne sont pas le bon outil pour la redistribution des richesses".

Des contrastes saisissants

A l'échelle européenne, une majorité de pays de l'Union -22 sur 28- dispose d'un salaire minimum légal, mais de fortes disparités subsistent entre la Bulgarie (286 euros bruts mensuels) et le Luxembourg (2.071 euros), selon les derniers chiffres de l'Office européen des statistiques. Et six en sont totalement dépourvus - le Danemark, la Finlande, la Suède, l'Autriche, l'Italie et Chypre - car ils fonctionnent par conventions collectives. Et si la comparaison des salaires en parité de pouvoir d'achat réduit les écarts, la différence entre le Luxembourg et la Bulgarie demeure vertigineuse d'après les chiffres d'Eurostat.  Avec son projet de socle européen des droits sociaux, la Commission pourrait susciter encore des résistances dans certains pays européens. "On veut un rattrapage rapide de certains Etats sur les salaires sans les faire exploser" confie l'entourage du commissaire Schmit. Ce défi pourrait être une gageure pour l'équipe bruxelloise.

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