SMIC, protectionnisme, revenu universel : ce que proposent les candidats

Par Grégoire Normand  |   |  2238  mots
(Crédits : Reuters/Charles Platiau)
Alors que le scrutin européen démarre ce jeudi aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, La Tribune a passé au crible les programmes économiques des sept listes françaises en tête dans les intentions de vote. Le protectionnisme apparaît dans quasiment tous les programmes.

Après une campagne jugée atone par de nombreux observateurs, les craintes d'une forte abstention se multiplient. Selon le dernier baromètre BVA réalisé pour La Tribune, Europe 1, la presse régionale et Orange, le niveau de participation oscille entre 46% et 52%. C'est un niveau légèrement supérieur à celui de 2014 au même moment (44%). La liste du Rassemblement national (RN) conduite par Jordan Bardella pourrait obtenir 23% des suffrages exprimés contre 22% pour la liste Renaissance (LREM-MoDem).

En France, les débats se sont cristallisés autour de ces deux forces politiques, empêchant les autres groupes de vraiment émerger. Avec 34 listes inscrites, la multiplication des propositions a ajouté de la confusion dans l'esprit des électeurs. Pour tenter d'y voir plus clair, voici un tour d'horizon des grandes propositions économiques des sept principales listes.

Impôt sur les géants numériques pour Renaissance

Nathalie Loiseau et les représentants de la liste Renaissance. Crédits : Reuters.

Le programme de la liste Renaissance menée par l'ancienne ministre chargée des Affaires européennes, Nathalie Loiseau, envisage de "bâtir une Europe de la justice sociale et fiscale". Face à la montée des contestations et de l'euroscepticisme, la liste de la majorité présidentielle composée entre autres de l'ancien directeur général de WWF Pascal Canfin, de la navigatrice et ancienne journaliste Catherine Chabaud, ou de l'ancien chroniqueur Bernard Guetta propose "de faire payer un impôt aux grandes entreprises de l'informatique, créer un salaire minimum dans tous les pays de l'Europe et mettre en place l'égalité pour les travailleurs détachés".

Sur ce dernier point, l'Europe a fait des avancées mais de nombreux pays notamment à l'Est s'y opposent. En matière de fiscalité du numérique, le gouvernement a également dû faire face à quelques réticences européennes comme l'Irlande et les Pays-bas. Face à ces difficultés, la tête de liste de Renaissance a expliqué que pour parvenir à unifier la fiscalité européenne, il faut "mettre fin à l'exigence de l'unanimité pour prendre des décisions" dans ce domaine et "passer à la majorité qualifiée", estime-t-elle. Et si cette unanimité en matière fiscale est aujourd'hui inscrite dans les traités européens, elle fait valoir qu'"un traité, ça se réforme".

Protectionnisme et meilleur contrôle des investissements étrangers chez les Républicains

François-Xavier Bellamy, tête de liste des Républicains aux Européennes, est en troisième position dans les intentions de vote. Crédits : Sipa.

Dans le contexte du délitement du multilatéralisme à l'échelle de la planète, la liste des Républicains emmenée par François Xavier Bellamy plaide dans son programme pour "l'Europe qui défend nos entreprises, nos emplois et nos intérêts face aux géants de la mondialisation". La liste de droite met clairement le cap sur un protectionnisme affirmé pour l'Europe avec "la mise en place d'une  'double préférence' : européenne et française, sur le modèle du ' Buy American Act', en assumant de donner la priorité à nos entreprises et nos emplois".

Dans le prolongement de cette doctrine, l'équipe, composée de la vice présidente de la région Ile-de-France Agnès Evren, du député européen Arnaud Danjean ou encore de l'ex-ministre de l'Intérieur Brice Hortefeux, propose également de "créer un droit permettant de réserver 50% de nos marchés publics aux entreprises locales, particulièrement les PME". Les conservateurs veulent également "imposer une stricte réciprocité dans les échanges internationaux : un pays qui ne laisse pas entrer nos entreprises françaises et européennes sur son marché ne doit plus pouvoir accéder au marché européen". L'accès aux marchés chinois notamment est régulièrement soulevé par les économistes. Enfin sur le plan du commerce international, les Républicains "veulent refonder la politique de négociations commerciales de l'Union européenne". Sur le plan agricole, les Républicains s'opposent "à la baisse prévue du budget de la Politique agricole commune (jusqu'à 15%) et le maintenir intégralement, en conservant notamment pleinement les paiements directs, pour protéger notre agriculture française en Europe".

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Abrogation de la directive sur le travail détaché pour le Rassemblement national (RN)

La tête de liste du Rassemblement national (RN) Jordan Bardella. Crédits : Christian Hartmann.

Le Rassemblement national (RN), qui fait la course en tête avec la liste Renaissance dans les sondages depuis plusieurs semaines, promeut un programme axé sur un protectionnisme renforcé. Au niveau du commerce mondial, l'équipe menée par Jordan Bardella suggère de remplacer "le libre-échange par le juste-échange [...] Il faut en finir avec le sans frontiérisme commercial consistant à fabriquer des produits en Asie, à les vendre en Europe et retraiter les déchets en Afrique. Nous devons au contraire rétablir des protections douanières (taxes, quotas et contingentements) aux frontières de l'Europe comme le font d'ailleurs toutes les grandes économies (les États-Unis, l'Inde, le Japon, etc.)." Le parti extrémiste veut en outre favoriser la production locale "en détaxant les circuits courts et en surtaxant les importations mondialisées anti-écologiques".

En revanche, le Rassemblement national ne prône plus la fin de l'euro, le retour à l'Ecu et la sortie de la zone monétaire. Le parti nationaliste a sur ce point clairement changé de position depuis la campagne présidentielle de 2017. La liste propose "d'aligner la création monétaire sur l'économie réelle plutôt que sur la finance et Intégrer la lutte contre le chômage dans le mandat de la Banque centrale européenne".

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Sur le plan social, le parti eurosceptique s'oppose à la mise en oeuvre de règles communes à tous les pays pour l'instauration d'un salaire minimum. "Le SMIC se situant par exemple à 280 euros bruts en Roumanie et à 1.500 euros bruts en France, cette harmonisation aboutirait en pratique à l'effondrement des salaires et donc du pouvoir d'achat dans les pays d'Europe occidentale".

Au niveau fiscal, le RN rejette également  "les alignements sociaux et fiscaux qui ne peuvent se faire qu'au détriment des Français". Le parti, qui est arrivé en tête du scrutin des européennes en 2014 sur le sol français, propose de baisser les impôts pour les Français, baisser les taxes sur les TPE-PME et baisser la contribution de la France au budget de l'UE. Le RN mélange ainsi les enjeux nationaux et européens en ce qui concerne les finances publiques. Enfin, pour l'agriculture, le groupe xénophobe envisage d'arrêter la politique agricole commune (PAC), pilier fondateur de la construction européenne, et de mettre en place une politique agricole française.

Europe Ecologie Les Verts plaide pour un "protectionnisme vert"

La tête de liste Europe-Ecologie Yannick Jadot. Crédits : Charles Platiau/Reuters.

L'urgence du réchauffement climatique a amené les principales forces politiques aux élections européennes à prendre en compte cet enjeu dans leur programme. Parmi elles, la liste emmenée par Yannick Jadot, actuellement en quatrième position dans les intentions de vote, défend la mise en place d'une taxe carbone aux frontières de l'Europe et un protectionnisme vert. La liste propose de mettre fin aux accords de libre-échange du CETA (Canada), JEFTA (Japon), APE (Afrique et Caraïbes), et Mercosur. A la place, les écologistes défendent "une politique commerciale décidée démocratiquement, avec et au service des territoires, des régions et des pays, strictement conditionnée au respect des droits humains, sociaux et de la protection du climat, des animaux et des communs".

Ils veulent également réformer en profondeur le fonctionnement de la Banque centrale européenne "en instaurant une gouvernance démocratique [...] notamment à travers l'instauration d'un vote des parlementaires quant à sa composition et à ses orientations politiques -ce qui nécessite un changement des traités mais peut déjà être entamé dans le cadre actuel". Au niveau des banques, le groupe emmené par M.Jadot indique vouloir mettre en oeuvre "une séparation totale des activités de banque de détail (nécessaires au fonctionnement de l'économie réelle) et des autres activités financières et à plus haut risque sur les plans juridique, organisationnel et opérationnel".

La France insoumise veut stopper "la fuite en avant libérale"

Jean-Luc Mélenchon et Manon Aubry. Crédits : Reuters.

La liste de la France insoumise conduite par Manon Aubry pour les élections européennes a mis l'accent sur le souverainisme dans son programme. Elle propose la sortie "des traités européens actuels en cohérence avec notre stratégie
plan A / plan B : nos députés européens demanderont que soit engagée la procédure de révision des traités prévue par l'article 48 du traité sur l'Union européenne pour aboutir à un nouveau traité fondateur". Ils veulent permettre aux Etats de s'exonérer "des règles du pacte de stabilité et du traité budgétaire, de refuser l'application du semestre européen et le mécanisme de contrôle des budgets nationaux en attendant que de nouveaux traités européens soient négociés".

Manon Aubry propose de supprimer la directive de détachement des travailleurs et prône une harmonisation sociale "par le haut grâce à une clause de non-régression des droits sociaux dans les pays les plus protecteurs". Au niveau de l'Union monétaire, la liste de gauche radicale "refuse le gouvernement austéritaire de la zone euro et l'indépendance de la Banque centrale européenne qui agit sans aucun contrôle démocratique". Pour la France insoumise, "l'euro doit être transformé pour servir l'emploi et la transition écologique et la BCE doit rendre des comptes à une instance démocratique".

Place publique et le Parti socialiste pour un budget européen de 500 milliards en faveur du climat

La tête de liste Raphael Glucksmann en meeting à Lyon le 16 mai dernier. Crédits : Emmanuel Foudront/ Reuters.

La liste Envie d'Europe, soutenue par le Parti socialiste et Place publique, veut mettre l'accent, dans son programme, sur l'écologie et la justice sociale. Pour parvenir à leur dessein, les personnes engagées sur la liste suggèrent de mettre en place "un Pacte Finance-Climat-Biodiversité qui rendra possible les nouveaux investissements nécessaires à la transition écologique".

Outre ce pacte, les socialistes veulent mettre en place un budget européen pour le climat et la biodiversité de 500 milliards d'euros pour les cinq prochaines années. Cette enveloppe pourrait être financée entre autres par un impôt européen sur les bénéfices des sociétés. Au niveau fiscal, l'équipe formée notamment de l'économiste Pierre Larrouturou propose de taxer le kérosène sur tous les vols à l'intérieur de l'Europe et d'exclure de la fameuse règles des 3% de déficit public toutes les dépenses liées à la transition écologique. Sur le front du marché du travail, Envie d'Europe défend également un salaire minimum au sein de l'Union européenne "permettant de lutter contre la pauvreté et favoriser la convergence sociale en Europe.Dans ce cadre, nous défendrons l'objectif chiffré d'au moins 65 % du
salaire médian dans chaque pays".

Générations pour un "Green New Deal"

Benoît Hamon, tête de liste de Générations aux élections européennes. Crédits : Reuters.

L'ancien candidat socialiste à la présidentielle de 2017 et ministre sous François Hollande propose, dans son programme un grand plan d'investissements de 500 milliards d'euros par an pour favoriser "les économies d'énergie, le logement et la rénovation thermique, les énergies renouvelables, et les mobilités propres par un engagement financier". Ce "Green New Deal" permettrait de mettre en oeuvre une Europe zéro carbone en 2050. Benoît Hamon reste cependant flou sur les modalités de financement de son plan d'investissement. Le groupe qui plafonne à 3% dans les sondages suggère d'arrêter les traités de libre-échange. "Nous refuserons que les produits importés en Europe favorisent le dumping social et détruisent l'environnement au nom du moindre coût".

Au niveau fiscal, Benoît Hamon met en avant l'instauration d'un impôt sur les grandes fortunes européennes (ISF européen). "L'Europe doit être un instrument de redistribution, pour faire disparaître le fossé entre les ultra-riches et les classes moyennes et populaires qui y habitent. Les premiers doivent participer à l'effort de solidarité, de même que les grandes firmes qui échappent à l'impôt grâce à de savants montages quand les contribuables honnêtes participent à l'effort collectif".

Outre cette fiscalité sur les plus fortunés, l'ancien conseiller de Martine Aubry alors ministre du Travail pendant le gouvernement de Lionel Jospin a remis en avant son idée de revenu universel en l'élargissant au continent européen. "Pour casser le mur de la pauvreté et émanciper pleinement les citoyen.es, nous porterons un Revenu Universel européen, financé par la Banque centrale européenne et par toute entreprise lors de son introduction en bourse". Reste à savoir, si la liste "vive l'Europe libre", qui a fait une alliance avec le mouvement lancé par l'ancien ministre des Finances grec Yanis Varoufakis, DiEM25, va réussir à décoller à la sortie des urnes.