Theresa May, la dame de « faire » du Brexit, prend ses fonctions

Par Philippe Mabille  |   |  795  mots
Seule en lice pour prendre la succession de David Cameron, démissionnaire, la ministre de l'Intérieur britannique est devenue mercredi soir la deuxième première ministre de l'histoire du pays. Celle qui est surnommée « la nouvelle Margaret Thatcher » veut faire du Brexit « un succès ». Sacré challenge.

Son nom est déjà tout un programme. « May » en anglais, signifie « pouvoir » au sens de "elle pourrait", "peut-être", « avoir la possibilité de »... sauver le Royaume-Uni. Theresa May, ancienne ministre de l'Intérieur du gouvernement Cameron, succède à son Premier ministre, ce mercredi soir. Elle a été chargée par la reine Elizabeth II de former le nouveau gouvernement qui devra mettre en oeuvre le Brexit.

Dans une déclaration faite lundi devant le 10 Downing Street, l'ancien locataire avait laissé peu de place au doute : "Nous aurons un nouveau ministre dans ce bâtiment derrière moi mercredi soir".

Surnommée « la nouvelle Margaret Thatcher », dont elle a ces derniers temps adopté jusqu'à la tenue stricte et austère, tailleur en tweed, chemisier blanc et brushing soigné, cette fille de pasteur (comme Angela Merkel) ne fait pas que ressembler physiquement à la Dame de fer qui a gouverné la Grande-Bretagne de 1979 à 1990 et s'était rendu célèbre en Europe avec son désormais fameux « I want my money back ! ». A 59 ans, ministre de l'Intérieur depuis six ans, un poste clé dans un pays soumis à la menace terroriste, elle veut s'affirmer comme la dame du « faire » du Brexit, et promet d'âpres négociations avec Bruxelles et les 27 lorsque le Royaume-Uni ouvrira officiellement l'article 50 du traité qui régit la sortie d'un pays de l'Union européenne.

Élue pour la première fois sous Thatcher, en 1986, comme conseillère du district londonien de Merton, cette ancienne de la Banque d'Angleterre est Member of Parliament depuis 1997, représentant la circonscription de Maidenhead, dans le Berkshire, l'un des plus anciens comtés du sud de l'Angleterre.

Son expérience dans la finance (son époux, Philip May est aussi financier) en fera une redoutable négociatrice pour défendre les intérêts de la City de Londres, dont plusieurs villes européennes, dont Paris, mais aussi Francfort ou Amsterdam espèrent se partager les dépouilles quand le Royaume-Uni perdra le bénéfice du passeport européen, voire la compensation des opérations financières en euro. Mais c'est surtout son poste au ministère de l'Intérieur qui pèsera dans la balance, alors que l'un des sujets qui ont le plus pesé dans le vote des Britanniques en faveur du Brexit est l'immigration et la libre circulation des personnes.

« Le prochain à trouver que je suis une femme sacrément difficile sera Jean-Claude Juncker », le président de la Commission européenne a prévenu Theresa May en faisant campagne pour convaincre les 330 députés Tory et les 150.000 membres du parti conservateur d'en faire leur nouvelle Premier ministre. Discrète, peu présente jusqu'ici dans les médias, cette eurosceptique avait soutenu du bout des lèvres le « Remain », par solidarité gouvernementale, mais affiche la couleur. « Brexit signifie Brexit », et donc, comme l'a indiqué récemment David Cameron en coupant court aux espoirs de ceux qui pensaient pouvoir revenir sur le vote du 23 juin. « Il n'y aura pas de tentative pour rester au sein de l'UE », a-t-elle indiqué.

Le Royaume-Uni a souvent dans son histoire été gouverné par des femmes : de la reine Victoria qui incarna l'Empire britannique et l'apogée de la première révolution industrielle au XIXe siècle à Élisabeth II, la souveraine actuelle dont le règne est le plus long de l'histoire, en passant par Margaret Thatcher, il est frappant de voir Theresa May s'imposer au moment où le Royaume-Uni connaît sa plus grave crise politique depuis l'entrée du pays dans l'Union européenne, en 1972.

Près de soixante ans après l'entrée de la première femme à la Chambre des communes, Nancy Astor, en 1919, Theresa May, future leader des Tory, compte bien marquer l'histoire. Elle annonce déjà « un programme radical de réformes sociales » pour « faire du Royaume-Uni un pays au service de tous ». La tâche s'annonce ardue alors que le référendum sur le maintien ou non dans l'UE a profondément divisé la société britannique, avec 17,5 millions de « Brexiters » et 16 millions de « Remainists », et a révélé la dramatique fracture du pays, entre les « gagnants de la mondialisation » (le Grand Londres, principalement) et ceux qui, au Nord de l'Angleterre et au Pays de Galles, se sentent oubliés. Pour Theresa May, dans ce pays en proie au doute et menacé de récession, ce sera le principal chantier que de tenter de réconcilier ces extrêmes et d'éviter qu'au divorce avec l'Union européenne s'ajoute un, voire deux divorces internes au Royaume-Uni, alors que l'Écosse « pro-Remain », envisage de « filer à l'anglaise » et que l'Irlande du Nord « pro-remain aussi) regarde du côté du sud de l'île, au risque de réveiller la guerre civile.